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tation une pierre qu'elle enveloppait dans sa robe, en même temps elle faisait le geste de la décollation. Les prisonnières comprirent; un frisonnement de joie parcourut les sombres demeures, tous les opprimés se croyaient déjà délivrés.

Il était cinq heures et les charrettes venaient de s'arrêter comme de coutume à la porte de la prison, mais cette fois elles attendaient les bourreaux. Le cortége défila devant une foule pressée; toutes les fenêtres étaient garnies de spectateurs, toutes les boutiques étaient ouvertes, la joie éclatait sur tous les visages. Robespierre et ses amis avaient lassé de supplices le peuple de Paris; les sanguinaires émotions auxquelles il avait été si longtemps accoutumé retrouvaient leur saveur première c'était Robespierre qu'on allait voir mourir. Il était à demi étendu dans la charrette, livide et le visage entouré d'un linge ensanglanté. Lorsque l'exécuteur le lui arracha sur l'échafaud, un cri terrible se fit entendre, premier signe de douleur qu'eût donné le condamné; des cris de joie lui répondirent sur la place, répétés à chaque coup de la hache fatale. En deux jours, cent trois exécutions scellèrent violemment la vengeance de la Convention; la justice de Dieu et de l'histoire attendaient leur jour.

Robespierre avait successivement vaincu tous ses ennemis; froidement habile et hardi, protégé et servi par sa réputation de vertu, secondé par la terreur croissante qu'inspirait son nom, il avait usurpé le pouvoir tout entier et confisqué la Révolution au profit du despotisme; il succomba sous les coups de ceux qui l'avaient constamment poussé en avant, lassés ou effrayés par la tyrannie dont ils redoutaient eux-mêmes les vengeances. Les mains qui renversèrent le terrible dictateur n'étaient pas des mains pures, et les passions révolutionnaires continuaient d'animer beaucoup d'âmes, mais l'instinct public ne s'y trompa pas un instant. Les vainqueurs du 9 thermidor pouvaient à leur tour s'emparer du pouvoir, et la plupart d'entre eux n'avaient pas eu d'autre pensée : ils ne pouvaient plus verser le sang à leur gré sans obstacle et sans contrôle; le point culminant des souffrances et des crimes était atteint sans le vouloir et sans le savoir, par envie ou par crainte, les Thermidoriens, comme on commençait à les appeler, en abattant le triumvirat, avaient changé le cours de la Révolution. La nation, toujours prompte à concentrer sur le nom d'un homme ses tendresses ou ses haines, commençait à respirer, haletante et déchirée; les détenus cessaient d'attendre chaque jour la mort, leurs amis

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espéraient déjà leur liberté; les timides se hasardaient hors de leurs cachettes; les hardis manifestaient hautement leur joie. On osait porter le deuil de ceux qui étaient morts sur l'échafaud; les veuves sortaient des maisons où elles s'étaient tenues renfermées; les absents reparaissaient au foyer de la famille. Robespierre n'était plus.

La Convention s'était soulevée tout entière contre le tyran; à peine était-il abattu, qu'elle se trouva de nouveau divisée. Un mouvement public de joie et de soulagement s'était partout manifesté ; ce mouvement inquiéta quelques-uns des meneurs de la conspiration dirigée naguère contre Robespierre; ils avaient cru le renverser pour occuper euxmêmes sa place, et déjà ils s'apercevaient qu'une double tendance se manifestait dans le pays : l'une, encore faible dans la Convention, sans autre appui que les restes du côté droit, disposée à remonter le cours des événements et même à poursuivre sur leurs auteurs les iniquités commises; l'autre, inquiète, ombrageuse, décidée à défendre à tout prix la Révolution, fût-ce au prix de nouveaux sacrifices. Le petit parti des Thermidoriens, Tallien à sa tête, commençait à se former entre ces deux partis irréconciliables. La réaction ne portait point encore de nom, elle n'exerçait et ne pouvait exercer aucun pouvoir; désirée ou redoutée, elle était au fond de toutes les pensées, elle influait sur toutes les décisions, lui fussent-elles en apparence contraires. C'est la terrible gloire de Robespierre et le poids accablant qui pèse sur sa mémoire que la soudaine transformation opérée par sa mort. En apparence et pour quelque temps encore le langage resta le même, le fond de la situation était définitivement changé.

Le premier et significatif symptôme de cet important changement fut le renouvellement du tribunal révolutionnaire. La loi du 22 prairial fut rapportée. Fouquier-Tinville figurait sur la liste des membres nouveaux présentés à l'approbation de la Convention. « Je vois ici avec un étonnement mêlé d'horreur, dit Fréron, indiquer des hommes réprouvés par l'opinion publique; j'y remarque le nom de FouquierTinville, lorsque tout Paris vous demande de l'envoyer au supplice qu'il a si justement mérité. Je demande qu'il aille aux enfers expier tout le sang qu'il a versé; je propose contre lui un décret d'accusation! » Fouquier-Tinville fut envoyé en prison; il y resta longtemps, défendant avec acharnement sa misérable vie. Lorsqu'il fut enfin condamné, après une procédure plus longue et plus équitable qu'il n'en accordait naguère à ses victimes, il rejeta ses crimes sur la Conven

tion elle-même. « Je n'ai fait qu'exécuter vos ordres, citoyens représentants, et vous m'accusez! Lequel de vous m'a jamais fait entendre. une parole de réprimande? Le sang découlait de tous vos orateurs, et vos décrets surpassaient encore vos tribuns. Si je suis coupable, vous l'êtes tous, et j'accuse l'Assemblée entière. Je n'ai été que la hache de la Convention. Punit-on une hache? » Fouquier-Tinville fut exécuté, et la hache de la Convention ralentit ses coups. Déjà, sur les instances de Mme de Fontenay ou Thérèse Cabarrus, comme on l'appelait de son nom de fille depuis son divorce, Tallien avait ordonné la libération de quelques détenus. Les membres du gouvernement étaient assiégés de sollicitations. Le Comité de sûreté générale fut obligé de s'excuser de son indulgence auprès des Montagnards indignés. « Depuis quelques jours, s'écriait Duhem, on rencontre des aristocrates délivrés. Avant le 22 prairial, le tribunal marchait avec vigueur dans le sentier de la justice. Parce qu'un scélérat a outrepassé les bornes de cette institution salutaire, faut-il énerver sa vigueur? Naguère l'organisation du tribunal ne menaçait pas l'innocence, et elle conservait l'énergie nécessaire pour sauver la république.

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Le Comité de sûreté générale et le Comité de salut public avaient été renouvelés; les affaires étaient désormés confiées à seize commissions indépendantes relevant directement de la Convention. « Nous avons abattu les triumvirs, nous ne voulons pas les remplacer par des décemvirs,» avait dit Tallien en dépouillant le Comité de salut public de son autorité suprême. Le Comité de sûreté générale était rentré en possession de la police. En dehors de la Convention, l'anarchie subit le plus redoutable coup. On supprima le salaire de quarante sous par jour accordé aux membres présents dans les assemblées des sections. C'était la récompense de l'oisiveté et du désordre, en même temps que la source des plus honteux abus, « la liste civile des intrigants, disait Cambon. Les ouvriers se remirent à chercher de l'ouvrage.

Malgré la résistance des Montagnards à la Convention et des sociétés. jacobines à Paris et dans les départements, l'espérance renaissait partout et le courage renaissait avec l'espérance. Les tyrans, sous le joug desquels on gémissait naguère en silence, étaient maintenant hautement dénoncés. « On ne peut plus siéger à côté de Lebon, » disait-on dans l'Assemblée. Des pétitionnaires du Midi se plaignaient du pouvoir qu'exerçait encore Maignet. « Chaque jour le sang coule encore dans les départements des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et de l'Ar

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