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aujourd'hui leurs amis et leurs frères, ou donnant le bras aux amazones qui les avaient combattus à Versailles. Partout on les applaudissait; partout on s'empressait de les consoler par des témoignages multiples d'affection et de bienveillance (1). »

Les effusions de ce royalisme sentimental étaient accompagnées, chez la majeure partie de la bourgeoisie parisienne, d'un vif désir de réaction contre les idées de désordre et d'anarchie qui venaient de remporter (on essayait en vain de se le dissimuler) un si scandaleux triomphe aux journées d'octobre. Plusieurs arrêtés de districts sont significatifs à cet égard et, entre tous, cette délibération du district des Minimes, en date du 9 de ce même mois :

« Le Comité général du district des Minimes, prenant en considération les désordres qui se succèdent tous les jours et qui font craindre que la licence la plus dangereuse n'ait pris la place de cette liberté sage qui distingue une nation éclairée ; - considérant que la présence du Roi dans le sein de la capitale doit être pour nous l'époque du bonheur et de la tranquillité comme elle est devenue celle de l'abondance; considérant que quiconque troublerait cette paix précieuse, sans laquelle la France ne peut être régénérée, et persisterait dans une insubordination qui annonce évidemment le mépris des lois, n'est plus digne d'être regardé comme citoyen ni comme sujet d'un

(1) Histoire de la Révolution de 1789, par deux amis de la liberté, t. IV, pp. 1-3. En ce qui concerne les gardes-du-corps, Louis XVI faisant, avec raison, peu de fonds sur les dispositions actuelles des gardes-françaises et de la population parisienne à leur égard, crut devoir se résigner à licencier ce corps d'élite. Le service du château fut laissé à la garde nationale.

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monarque restaurateur de la liberté et mérite d'être réprimé par les moyens les plus sévères; a arrêté que M. le maire serait instamment prié de se retirer par-devers le Roi à l'effet d'obtenir de sa bonté un bienfait nouveau le retour de l'ordre, la sûreté des honnêtes gens et la punition des perturbateurs du repos public (1). »

Cet appel à l'autorité royale, immédiatement après le coup terrible qui venait de lui être infligé, est un remarquable symptôme des dispositions et des forces conservatrices dont un homme d'État de génie aurait encore pu disposer à Paris même. L'Assemblée communale était en immense majorité dans un accord certain de vues et d'espérances avec les meilleurs districts. Mais toutes ces bonnes volontés avaient besoin d'être concentrées et dirigées par un esprit sûr et par une main ferme. C'est assez dire qu'elles devaient demeurer stériles sous la conduite de Necker, de Bailly et de La Fayette.

La principale préoccupation du maire et de la municipalité à ce moment était d'obtenir de Louis XVI une déclaration de sa volonté définitive de s'établir dans la capitale et d'y appeler l'Assemblée, et une proclamation aux provinces témoignant que cette résolution était prise par lui dans la plénitude de son libre arbitre. Cette double satisfaction leur fut accordée. La proclamation suivante fut publiée le 9 octobre :

« Le Roi, craignant que ses fidèles habitants des provinces n'apprennent avec peine le récit des circonstances qui l'ont déterminé à venir résider à

(1) Manuscrit du fonds des Nouvelles acquisitions françaises à la Bibliothèque nationale, no 2613, fol. 82.

Paris, croit devoir les avertir qu'informé à l'avance de la marche de la milice nationale de Paris et du désir qu'elle avait d'obtenir de Sa Majesté l'honneur de lui servir de garde, il cût été facile au Roi de se transporter de Versailles ailleurs qu'à Paris; mais Sa Majesté a craint que cette détermination de sa part ne fût la cause d'un grand trouble, et se reposant sur les sentiments qu'elle est en droit d'attendre de tous ses sujets indistinctement, elle est venue avec confiance vivre dans sa capitale où elle a reçu les témoignages les plus respectueux de l'amour et de la fidélité des habitants de sa bonne ville de Paris; elle est certaine qu'ils n'entreprendront jamais de gêner en aucune manière la libre détermination de leur souverain; et c'est au milieu d'eux qu'elle annonce à tous les habitants de ses provinces que lorsque l'Assemblée nationale aura terminé le grand ouvrage de la restauration du bonheur public, elle réalisera le plan qu'elle a conçu depuis longtemps d'aller sans aucun faste visiter ses provinces, pour connaître plus particulièrement le bien qu'elle y peut faire et pour leur témoigner dans l'effusion de son cœur qu'elles lui sont toutes également chères. Elle se livre d'avance à l'espoir de recevoir d'elles les marques d'affection et de confiance qui seront toujours l'objet de ses vœux et la véritable source de son bonheur. Le Roi se flatte encore que cette déclaration de sa part engagera tous les habitants de ses provinces à seconder par leurs encouragements les travaux de l'Assemblée nationale, afin qu'à l'abri d'une heureuse constitution, la France jouisse bientôt de ces jours de paix et de tranquillité dont une malheureuse division la prive depuis si longtemps. >>

Le même jour, le Roi écrivit en ces termes à l'Assemblée :

« Les témoignages d'affection et de fidélité que j'ai reçus des habitants de ma bonne ville de Paris et les instances de la Commune me déterminent à y fixer mon séjour le plus habituel, et dans la confiance où je suis toujours que vous ne voulez pas vous séparer de moi, je désire que vous nommiez des commissaires pour rechercher ici le local le plus convenable et je donnerai sans délai les ordres nécessaires pour le préparer. Ainsi, sans ralentir vos utiles travaux, je rendrai plus faciles et plus promptes les communications qu'une confiance mutuelle rend de plus en plus nécessaires. >>

L'Assemblée ne pouvait plus évidemment faire autre chose que de se rendre à cette invitation et de subir, comme le Roi, la main-mise de Paris sur le gouvernement. Mais il ne faut pas croire que cette résolution ait été prise par elle avec enthousiasme. Il y eut, même dans la gauche avancée, des signes manifestes d'hésitation et de répugnance. Plusieurs membres de la députation qui avait accompagné le Roi à Paris le 6 octobre avaient été, à l'aller et au retour, l'objet de manifestations peu agréables, et cela ne laissait pas de faire réfléchir leurs collègues. Les insultes qui commençaient à se multiplier dans les rues de la capitale contre les membres du clergé ne paraissaient pas encourageantes à l'abbé Grégoire, qui s'en était plaint, le 8 octobre, avec amertume et n'avait pas dissimulé son peu de goût pour le transfert. La majorité fit contre fortune bon cœur en décidant qu'elle se transporterait dans la capitale aussitôt qu'il y aurait un local prêt pour la recevoir. Mais un grand nombre de députés de la droite ou

du parti constitutionnel modéré, irrités, découragés ou épouvantés, étaient partis ou se disposaient à partir pour leurs provinces. L'Assemblée, effrayée de cette désertion, décréta, sur la proposition de Mirabeau, que jusqu'à nouvel ordre aucun passeport ne serait plus accordé à ses membres que sur des motifs exposés publiquement. Mounier, abdiquant la présidence de l'Assemblée et la direction du groupe dont il était le chef, avait déjà pris le chemin du Dauphiné en agitant dans son esprit des projets qui devaient bientôt aboutir à une nouvelle et cruelle désillusion. Lally-Tollendal envoya de Saint-Germain-en-Laye, dès le 10 octobre, sa démission motivée de « député aux États libres et généraux de la France ». Malouet, Virieu, ClermontTonnerre eurent le courage et le bon sens de demeurer à leur poste de combat. Il en fut de même de Maury et de Cazalès.

La gravité de la situation aurait exigé de la part des défenseurs de la monarchie et de l'ordre social une grande entente, en dépit des nuances qui les séparaient, beaucoup de fermeté, mais aussi beaucoup de tact, et une juste appréciation de l'opinion publique et des circonstances. Mais c'est trop demander aux hommes. La véhémence peu calculée d'un zèle intempérant se déployait en face des déplorables capitulations d'une faiblesse également déraisonnable. Tandis que Necker, par exemple, continuait maintenant encore à se bercer de l'illusion que l'on pourrait peut-être venir à bout des exigences révolutionnaires en s'abstenant de les trop combattre, et que la seule chance de gagner le port était de se laisser aller à la dérive, un digne et pieux prélat de Bretagne, Mgr Le Mintier, évêque

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