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la nation, «< d'être fidèles à la nation, à la loi et au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. » M. Bailly, maire, s'est avancé auprès de l'autel, s'est tourné vers l'Assemblée nationale, et, après l'avoir saluée, il a prononcé à haute voix la formule de ce serment civique. Dans le même instant, toutes les mains ont été levées, les drapeaux ont été inclinés, les épées balancées en l'air, tous les spectateurs ont juré de maintenir la Constitution; le roulement des tambours, le son des cloches, le bruit du canon ajoutaient encore au spectacle imposant et majestueux de ce serment solennel. La cérémonie a été terminée par un Te Deum et par le Domine, salvum fac Regem ; ensuite l'Assemblée nationale s'est retirée et a reçu les mêmes honneurs qu'à son arrivée. »

De Paris, cet enthousiasme et cette fureur de serments s'étendirent sur toute la France. « Ce fut comme une traînée de poudre, dit M. Victor Fournel (1). Partout on se réunit pour jurer solennellement fidélité à la nation, à la loi et au Roi. Le canon tonnait, les tambours battaient, les drapeaux flottaient, et les citoyens, ivres de ce tapage, grisés du spectacle qu'ils se donnaient à eux-mêmes et de la fièvre que la Révolution avait allumée dans leurs veines, juraient, une main sur leur cœur, l'autre levée au ciel. Ce fut pendant un mois la grande cérémonie à la mode, la cérémonie sacro-sainte. On jurait dans les districts, on jurait dans les sections, on jurait sur la place publique, on jurait à l'église, on jurait au théâtre, on jurait à la tribune; les sol

(1) Le Patriote Palloy et l'exploitation de la Bastille, p. 23.

dats juraient, les gardes nationaux juraient, les représentants, les magistrats, les fonctionnaires, les ouvriers et les paysans, les révolutionnaires et les aristocrates eux-mêmes juraient. Ceux qui avaient juré venaient voir jurer les autres, et ils juraient de nouveau avec eux. >>

Cette immense, cette universelle conjuration (1), pour employer le mot dans son sens étymologique, laissa d'ailleurs la situation politique exactement au même point, si ce n'est pourtant qu'elle en accrut la gravité, par la déception qui devait, conséquence inévitable, suivre cet accès, ce transport d'enthousiasme. La séance royale du 4 février, inspirée par la politique sentimentale de Necker, n'eut qu'un effet sentimental. Ce fut en vain que Malouet essaya,

(1) Le serment civique du 4 février fut prêté à l'Assemblée par les membres de la droite comme par ceux de la majorité, soit ce jour-là même, soit dans les séances ultérieures. Il y eut bien quelques essais d'interprétation et d'atténuation, mais en petit nombre, et tels que l'Assemblée, qui s'était d'abord volontiers laissé porter à voter des mesures coercitives contre les récalcitrants, n'y prit pas garde. Elle s'abstint même de délibérer sur une lettre de Bergasse, député du tiers-état de la sénéchaussée de Lyon, qui, sans donner encore sa démission, s'abstenait depuis le 6 octobre de paraître aux séances, et qui refusa formellement le serment. Mgr de Juigné, archevêque de Paris, qui, vers la fin de l'année 1789, avait cru devoir, devant les menaces à lui adressées, quitter la capitale et même sortir du royaume, envoya son serment par une lettre qui fut lue à la séance du 14 avril. Dès le 18 février, le président avait donné connaissance à l'Assemblée de la lettre envoyée de Londres par le duc d'Orléans pour le même objet, et dans laquelle ce prince déclarait partager« les sentiments d'amour et de respect qu'a inspirés à l'Assemblée la démarche vraiment royale et paternelle de Sa Majesté, quand, sans autre cortège que ses vertus, sans autre motif que son amour pour son peuple, elle est venue se réunir aux représentants de la nation, pour affermir et pour presser, s'il est possible, l'heureuse régénération qui assure à jamais la gloire et le bonheur de la France. »

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dans la séance du 5, d'en faire sortir un résultat politique. «< La séance d'hier, dit-il, a été trop intéressante pour que nous nous bornions à de stériles applaudissements. La démarche du Roi a eu de grands motifs; son discours renferme de grands objets. Je demande que l'Assemblée s'occupe des principaux points de ce discours et je retiens la parole. » Son intention était de présenter une motion destinée à rendre quelque vigueur au pouvoir exécutif, à rétablir quelque subordination dans l'administration et dans l'armée. Il voulait aussi demander l'a bolition du Comité des recherches et autres organisations de ce genre, établies dans plusieurs villes du royaume, et dont l'empiètement inquisitorial sur la justice et sur la police régulières étaient manifestes. Mais l'Assemblée ne consentit même pas à l'écouter. Elle décida à une grande majorité de passer à l'ordre du jour. Elle se préoccupait bien davantage de maintenir et de fortifier sa propre autorité que de relever celle du monarque en qui elle n'entendait acclamer que le serviteur couronné de sa toute-puissance. L'adresse au peuple français rédigée par Talleyrand et votée par l'Assemblée dans sa séance du 11 février, ne fut qu'une habile apologie de l'œuvre déjà accomplie par elle et de celle qu'elle se proposait d'accomplir encore.

Cette disposition de l'Assemblée et l'état général de l'opinion rendaient assurément fort difficile la situation des députés du côté droit, de ceux surtout de la droite extrême. Ils se cantonnèrent dans une opposition intransigeante, trop souvent stérile et tracassière. Ce fut une taquinerie à l'adresse de la gauche, plutôt qu'un sérieux effort de politique efficace, que la motion présentée le 17 février par Caza

lès et tendant à la prochaine convocation d'une législature nouvelle, dont aucun des membres de la présente assemblée ne pourrait faire partie et qui se réunirait dans une ville distante de Paris au moins de trente lieues. La gauche répondit en renouvelant le serment du jeu de paume et l'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur la motion.

Toutefois l'idée conçue par Cazalès parut à la droite susceptible d'être reprise avec quelque chance de succès à l'occasion de la formation des assemblées de département et de district, conséquence de la nouvelle organisation administrative et politique du royaume. Les pouvoirs de quelques-uns des députés aux États généraux avaient été limités par leurs électeurs à la durée d'une année. Les députés de la droite et leurs amis dans les provinces en profitèrent pour essayer d'engager les assemblées des départements, où étaient comprises les anciennes circonscriptions de ces députés, à procéder spontanément à des élections nouvelles, avec l'espoir que leur exemple serait suivi par les autres départements. L'Assemblée s'émut de cette tentative, d'ailleurs assez mal conçue. Dans la séance du 19 avril Chapelier présenta sur ce sujet un rapport au nom du Comité de Constitution et conclut à la prolongation pure et simple des pouvoirs des quelques députés dont rigoureusement le mandat était expiré.

L'abbé Maury combattit ces conclusions dans un discours d'une grande habileté dialectique, mais où il se laissa entraîner par les besoins de son argumentation à la théorie révolutionnaire de la subordination persistante de chaque député à la portion de la nation dont il est le représentant et qui conser

verait le droit de rappeler et de révoquer son mandataire. Il fit d'ailleurs ressortir avec force et avec justesse l'usurpation commise par l'Assemblée nationale quand, s'élevant au-dessus de tous les pouvoirs et de ses propres mandats, elle s'était transformée en Convention souveraine.

Mirabeau, qui ne faisait de l'Assemblée qu'un cas médiocre, mais qui, aussi longtemps qu'il ne tiendrait pas le gouvernail, voulait, dans l'intérêt de son ambition, et même dans celui de la Royauté, y conserver son influence, saisit cette occasion de rafraîchir et de raviver sa popularité quelque peu atteinte. Dans une de ces improvisations audacieuses, qui étaient l'une des puissances de son génie, il avoua carrément et il glorifia l'usurpation dénoncée par l'orateur du côté droit. « Vous vous rappelez, dit-il en terminant, le trait de ce grand homme qui, pour sauver sa patrie d'une conspiration, avait été obligé de se décider, contre les lois de son pays, avec cette rapidité que l'invincible tocsin de la nécessité justifie. On lui demandait s'il n'avait pas contrevenu à son serment, et le tribun captieux qui l'interrogeait croyait le mettre dans l'alternative dangereuse ou d'un parjure ou d'un aveu embarrassant. Il répondit: «Je jure que j'ai sauvé la république. » Messieurs,

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je jure que vous avez sauvé la chose publique ! Mirabeau fut applaudi avec transport et l'Assemblée adopta le décret suivant : « L'Assemblée nationale déclare que les assemblées qui vont avoir lieu pour la formation des corps administratifs dans les départements et dans les districts, ne doivent point dans ce moment s'occuper de l'élection de nouveaux députés à l'Assemblée nationale; que cette élection ne peut avoir lieu qu'au moment où

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