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sous la monarchie; nous verrons se renouveler les proscriptions contre les sectes religieuses; nous serons de nouveau soumis à cette jurisprudence qui proscrivait des communions protestantes, en se fondant sur ce qu'elles n'étaient pas reconnues par la loi. Ai-je besoin de rappeler l'inique arrêt de la cour d'Amiens contre les protestants Baptistes, et l'inique arrêt de la cour de Cassation confirmant la dispersion des Mennonites, expulsés du lieu de leur réunion par un commissaire de police! Voilà ce qui se passa sous la monarchie, et je déclare que je vis alors avec chagrin le Protestantisme officiel ne point protester contre cette violation de la liberté des cultes.

LE CITOYEN COQUEREL 1 a protesté, j'ai dressé moimême la protestation.

LE CITOYEN PIERRE LEROUX. Le principe du Protestantisme supérieur à toutes les questions qui divisent les sectes protestantes, c'est la tolérance. Luther, Zwingle, Arminius, OEcolampade, Calvin, ne s'accordent pas et ne s'excluent pas pour cela absolument les uns les autres. Aussi trouve-t-on les Mennonites depuis longtemps établis dans toute l'Allemagne, en Hollande, en Angleterre. N'est-il donc pas étrange qu'on leur interdise la manifestation de leur culte en France, dans la patrie de Montaigne, de Voltaire, de Rousseau, et de Montesquieu, qui, certes, étaient des protestants d'une autre trempe, et après le dix-huitième siècle, dans un pays régi par des lois dites de liberté? Une secte qui politiquement est si peu à craindre qu'elle se trouve vivre en sécurité dans les États despotiques du Nord, une secte qui religieusement est d'accord, ou peu s'en faut, avec tout le Protestantisme officiel de France; cette secte, parce qu'elle porte le nom de Mennonite, au lieu de s'appeler Calviniste ou Luthérienne, ne pourrait avoir d'église en France!

Ah! il est temps qu'un pareil état, indigne de la France, indigne de la religion, indigne des ministres des cultes qui jusqu'ici ont vécu du monopole, cesse et ne se renouvelle plus. Nous avons voulu écrire en tête de notre Constitution que nous adoptions la république pour conserver à la France l'initiative du progrès et le poste le plus avancé de la civilisation. Si, après réflexion, nous avons supprimé ce programme, certes ce n'est pas à dire que nous voulions rester en arrière de tous les peuples libres. Hé bien! sur ce point de la liberté des sectes, nous ne pouvons pas rester en arrière des ÉtatsUnis, sans abandonner .complètement le programme que nous avions eu l'intention de proclamer. Pour nous élever au degré de liberté des États-Unis, et je dirai même de toutes les nations éclairées de l'Europe, nous n'avons, dans la position où nous sommes, qu'un moyen : c'est de voter l'abolition du salaire des prêtres de tous les cultes.

LE CITOYEN COQUEREL. Je demande la parole pour un fait personnel. (Oh! oh! - Réclamations diverses. Bruit.)

LE CITOYEN PRÉSIDENT. M. Coquerel a la parole pour un fait personnel.

Un membre. Il n'y a pas de fait personnel.
Voix diverses. Parlez! parlez!

en peu

de

LE CITOYEN COQUEREL. Je viens seulement, mots, relever une assertion inexacte de l'honorable préopinant qui descend de la tribune. Les arrêts de la cour de Cassation et de la cour royale d'Amiens qu'il a rappelés ont été, en effet, le sujet d'une protestation que j'ai rédigée moi-même, et qui a été signée par tous les pasteurs des deux églises de Paris.

Le Protestantisme officiel, comme l'honorable préopinant l'a appelé, n'a jamais voulu de la liberté pour lui

seul; il l'a toujours voulue pour tout le monde et pour toutes les communions.

LE CITOYEN PRESIDENT. L'amendement de M. Pierre Leroux est-il appuyé? (Non! non!-Oui!) Je le mets aux voix. (L'amendement est rejeté.)

Séance du mercredi 20 septembre 1848.
PRÉSIDENCE DU CITOYEN ARMAND MARRAST.

Dans le Projet de la Commission, la liberté de la presse figure aussi au nombre des droits des citoyens garantis par la Constitution. Mais la liberté de l'imprimerie, sans laquelle il n'y aura jamais de véritable liberté de la presse, n'y figure pas. Un amendement additionnel fut, en conséquence, proposé, pour rendre cette industrie aussi libre que toutes les autres.

LE CITOYEN PRÉSIDENT. M. Pierre Leroux propose un amendement additionnel ainsi conçu :

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Il a la parole pour développer son amendement.

Le citoyen PierrE LEROUX. Citoyens représentants, je n'ai vraiment que quelques mots à dire pour soutenir l'amendement que je propose. Il me paraît impossible que vous ne le votiez pas. Vous ne pouvez laisser subsister un monopole qui viole tous les principes d'une bonne Constitution.

Ce monopole résulte d'un décret despotique de Napoléon, qui a frappé en même temps la presse non périodique, le journalisme, et l'imprimerie, instrument de la liberté de la presse.

Vous savez ce qui s'en est suivi; l'imprimerie est

devenue la proie des hommes de police et des bureancrates. Il est certain que cet art a été livré complé tement à une véritable inquisition pendant de longues années. Ceux qui exerçaient cet art, et j'étais un de ceux-là, avaient à côté d'eux des commissaires de police et des agents chargés de venir examiner les écrits qu'ils imprimaient, de surveiller d'une façon occulte tout le travail des imprimeries.

Cela constitue évidemment une censure préalable, et rend la liberté de la presse illusoire.

Or, tout à l'heure, j'ai entendu des membres de la Commission déclarer à cette tribune qu'ils repoussaient toute censure préalable.

Je déclare que le monopole de l'imprimerie est une censure préalable de la plus forte espèce, et il est facile de le démontrer. Il n'y a pas long-temps, M. Guizot, voulant intimider la presse, n'eut pas autre chose à faire que d'intimider les possesseurs de brevets; et ce jour-là, les journalistes ne trouvèrent pas d'imprimeurs pour imprimer leurs revues et leurs journaux.

Il est certain que quand un pouvoir despotique voudra intimider les possesseurs de brevets, les faire craindre pour

leur fortune, à l'instant même la liberté de la presse sera suspendue; car à l'instant même les possesseurs de brevets deviendront les arbitres de la pensée des écrivains. Avant et depuis 1830 cette situation s'est souvent reproduite.

Donc, si vous laissez subsister le monopole de l'imprimerie, il est certain que vous laissez subsister une censure préalable, que le ministère de l'intérieur ou le ministère de la police peuvent exercer arbitrairement et quand ils le veulent. Cela est incontestable; c'est un fait connu de tout le monde.

Vous savez, citoyens, qu'il y a déjà longtemps que

les abus de cet état de choses ont été appréciés. Après 1830, Benjamin Constant présenta une loi pour l'abolition du monopole de l'imprimerie. Cette loi fut même votée et adoptée, article par article, par la Chambre des Députés; seulement, cette Chambre, qui apparemment ne voulait pas de la liberté de la presse, et qui, en général, n'aimait pas la liberté (la suite l'a bien montré), rejeta cette loi, quand il s'agit de voter l'ensemble. Voulez-vous faire ou ne pas faire quelques progrès sur la Chambre de 1830?

Ce monopole n'existe dans aucun pays libre; il n'existe ni en Angleterre, ni en Suisse, ni en Belgique, ni aux ÉtatsUnis. Permettez-moi de répéter à ce sujet ce que je disais la dernière fois que j'ai eu l'honneur de monter à cette tribune. Vous avez eu quelque temps l'intention de déclarer, dans le Préambule de votre Constitution, que la France se placerait à la tête des nations pour leur donner l'exemple, résolue à s'avancer de plus en plus dans les voies du progrès. Eh bien, je dis que le monopole dont il s'agit n'existe dans aucun pays libre; il n'existe ni en Angleterre, ni en Suisse, ni en Belgique, ni en Amérique. Il est évident que, si vous ne détruisez pas ce monopole, vous ne serez pas en avant, mais en arrière.

Enfin, j'ajouterai que ce monopole est complétement contraire aux principes mêmes que vous avez posés. Ainsi, vous avez posé comme un principe la liberté d'industrie; eh bien, il est évident que si la liberté d'industrie est un principe, vous ne pouvez pas permettre le monopole de l'imprimerie. Tous les hommes qui s'occupent de cet art ont droit à l'usage de leur propriété ; l'usage de leur propriété est l'exercice du talent qu'ils ont acquis; ils ne peuvent pas exercer librement ce talent sous l'empire du système actuel. Ce système est donc attentatoire à la liberté d'industrie et contraire au droit de propriété. Vous

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