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qu'ils avaient une lettre pour elle. La voici : Messieurs, les habitans de Compiègne ayant » été informés que M. Berthier de Sauvigny, in» tendant de Paris, était ici, l'ont arrêté sur le >> bruit que la capitale le faisait chercher. En con

séquence, Messieurs, les citoyens vous dépêchent » la présente, et vous prient de les éclairer sur la >> conduite qu'ils ont à tenir. Signé les officiers >> municipaux et citoyens de Compiègne. »

Il n'y a pas de doute que les meurtres commis ont été préparés, ou par des ennemis particuliers de ceux qui en ont été les victimes, ou par des ennemis publics, qui voulaient perpétuer les troubles, et entacher la révolution de ces atrocités. D'où venait ce bruit que la capitale faisait chercher M. Berthier, tandis que parmi les citoyens, fort aises peut-être d'être délivrés de son administration, il en était peu qui pensassent encore à lui ; du moins je n'en avais nullement entendu parler.

L'assemblée me fit inviter de me rendre au milieu d'elle, ce qui est assez extraordinaire, car ce n'était pas son usage; ce qui cependant était naturel et juste, car elle aurait toujours dû tâcher de ne prendre les décisions importantes qu'avec le chef de la municipalité. Je m'y rendis sur-lechamp, et, après une mûre délibération, elle prit un parti fort sage. Je transcrirai ici le procèsverbal.

« Il a été arrêté que la ville de Paris ne faisant >> point chercher M. Berthier de Sauvigny, et cet

>> ancien intendant n'étant ni accusé, ni détenu » par justice, il serait répondu aux habitans de Compiègne qu'il n'existait aucune raison de le >> retenir prisonnier. »

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Tout allait bien, et M. Berthier eût échappé à son affreuse destinée, si les députés s'étaient contentés de cette réponse. Mais ils ont observé << que le peuple de Compiègne était extrême>>ment animé contre M. Berthier, qu'il était impossible de répondre de sa vie, à laquelle peut-être on avait attenté depuis leur départ, >> et qu'il n'existait qu'un moyen de la lui conser» ver, celui de le faire conduire dans les prisons » de Paris. »

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Cette observation, le ton même des députés, qui peignait l'agitation de leur ville, ont jeté dans l'assemblée un autre esprit et d'autres sentimens. Quelques électeurs et plusieurs citoyens présens ont rappelé que M. Berthier était depuis plusieurs jours l'objet de la clameur publique ; qu'il était l'intendant de l'armée rassemblée contre Paris; qu'il s'était rendu de Paris à Versailles, le jour même de la prise de la Bastille, et qu'il convenait, soit à la justice publique s'il était coupable, soit à son intérêt particulier s'il était innocent, que sa personne fût mise sous la garde des tribunaux.

Il a été arrêté qu'une garde de deux cent quarante hommes à cheval irait chercher M. Berthier, pour que sa personne fût en sûreté, et que deux élec

teurs, MM. Étienne de La Rivière et André de La Prède seraient à la tête. Peut-être une faible garde, quatre cavaliers, avec lesquels on aurait pu faire la route presque incognito, aurait été préférable; mais on craignit que le prisonnier ne fût enlevé par le peuple; on voulut lui donner une garde suffisante pour le protéger efficacement, et cette garde nombreuse servit encore à appeler les curieux et à grossir les attroupemens. Mais quelque parti qu'on eût pris, la suite a prouvé que sa perte était résolue.

L'assemblée en même temps a arrêté de faire mettre le scellé sur les papiers de M. Berthier; et elle a chargé son président d'en donner l'ordre. Voilà comment on ignorait alors l'administration. Son président c'était moi; celui qui devait faire exécuter les ordres de l'assemblée, considérée comme municipalité, c'était le chef de cette municipalité, c'était moi, le seul magistrat alors, vraiment légal, puisqu'on recevait successivement toutes les délibérations des districts qui confirmaient ma nomination. Mais l'esprit de toutes les assemblées est toujours l'indépendance. Quand elle agissait par son président, elle croyait exercer bien plus le pouvoir que lorsque je donnais les ordres, même les siens. En cela, l'assemblée ne croyait rien faire dont je pusse me plaindre; elle m'a toujours marqué estime et affection, et moi, sans aucun égard de la légalité des pouvoirs, j'en ai toujours aimé et respecté tous les

membres comme mes bons et chers collègues, et j'ai toujours déféré à l'assemblée, et comme à mon aînée dans les fonctions publiques, et comme au corps à jamais vénérable qui avait sauvé la ville de Paris.

Les députés qui avaient été à Pontoise sont revenus, et nous ont rendu compte qu'ils y avaient trouvé une grande agitation. Le régiment de SalisSamade, qui y avait couché la veille, et qui en était parti dès le matin, y avait été subitement rappelé; tout ce mouvement était occasioné par les subsistances. La circonstance n'était pas favorable pour en aller demander à Pontoise. Cependant, ayant fait assembler la commune, et ayant bien expressément déclaré que Paris ne sollicitait que le superflu de Pontoise, on a proposé dans l'assemblée, et accepté, que tous les particuliers déclarassent ce qu'ils avaient de grain chez eux, ce qui leur était nécessaire, et qu'ils envoyassent le surplus à Paris; ce qui a été exécuté avec empressement et générosité par les habitans de Pontoise. Ce n'était pas un grand secours; et ce qui nous affligea, c'est que les députés nous dirent que les magasins du gouvernement étaient très-peu garnis. M. de Bonneville, qui avait été envoyé à VerMantes et Meulan, étant revenu, on le renvoya à Rouen, pour veiller au départ et assurer les convois des grains du gouvernement, montant à cinquante-cinq mille neuf cents sacs qui y étaient en dépôt. On lui expédia une commission en forme.

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Mais, avec beaucoup de zèle, il avait la tête vive, et il courut, par son imprudence, de grands dangers dans ce voyage.

Mardi 21 juillet.—J'avais été président de l'Assemblée nationale pendant un mois; j'étais maire depuis huit jours, et je n'avais pas encore eu un secrétaire pour expédier mes lettres et mes courriers. J'eus un secrétaire particulier, nommé M. Butay, le lendemain. Mais ma place exigeait un secrétaire en chef et en titre. Il y avait un secrétaire de la prévôté des marchands, qui ne l'était que depuis quelques mois. On me dit que communément il changeait avec le prévôt des marchands, et que j'étais parfaitement libre d'en prendre un autre ; cependant on me dit beaucoup de bien de ce secrétaire, M. Petit. Il m'aurait été sans doute agréable de donner cette place, qui valait douze à quinze mille francs, à un ami. Mais je sentis qu'il fallait ôter à un homme son état et ses espérances légitimes; il était homme de mérite et homme de bien; il me l'a prouvé depuis dans plus d'une occasion; je ne voulus pas lui causer ce malheur, et je me déterminai à le confirmer dans sa place. Il vint me voir, et je consentis même à m'en priver encore pendant huit jours, parce que sa santé exigeait qu'il allât prendre l'air à la campagne.

Nous eûmes ce jour une très-grande affaire à l'assemblée. Les députés de Paris avaient fait une somme de 45,000 livres pour les ouvriers du fau

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