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où je dînai avec des fraises. J'y reçus les visites et les félicitations de mes voisins et de beaucoup d'autres amis. C'était le bon temps alors; il n'y avait d'aristocrates que les anciens ministres et les courtisans ; il n'y avait que deux partis, la nation et la cour. J'ai vu ce jour-là bien des amis que j'ai perdus, bien des connaissances qui m'ont oublié, et que j'ai pris le parti d'oublier aussi.

Ce jour a couru le bruit de la mort de M. Foulon, que l'on avait dit porté au ministère dans la journée da 12 juillet (1).

Je me rendis le soir au comité des subsistances, et c'est là que commencent réellement mes fonctions de la mairie. Je trouvai à ce comité mes anciens électeurs que j'avais tant chéris, et que je retrouvai aussi bons pour moi; mais là fut aussi le commencement de mes peines. Je vis un état de choses très-alarmant et qui demandait tous mes soins; je ne quittai presque pas ce comité pendant trois mois. J'y vis ce jour-là M. de Crosne, qui y était assidu, et qui, en cessant d'être lieutenant de

(1) Foulon passait pour être un des plus grands ennemis de la révolution; on l'accusait, à tort ou à raison, de déprédations considérables. On lui imputait un mot qui avait excité contre lui la haine populaire. «Il voulait, disait-on, faucher la France comme l'on fauche un pré. » Craignant la fureur du peuple, après le 14 juillet, et voulant se dérober à la mort funeste qu'il redoutait, il imagina de se faire passer pour mort; et, pour donner à cette fable les caractères de la vérité, il fit enterrer sous son nom un de ses valets qui venait de mourir à sa terre d'Houvion.

(Note des nouv. édit.)

police, n'avait pas cessé d'être citoyen. J'y vis M. Doumer, entrepreneur des vivres, et qui jusqu'à ce moment avait travaillé avec M. Necker pour l'approvisionnement de Paris; homme trèsinstruit, actif et intelligent. Je n'aurais eu besoin que de lui pour administrer cette partie ; mais alors cela ne pouvait pas aller ainsi. La défiance était trop grande; il n'était là que conseil. D'ailleurs, chargé des achats dans l'étranger par le gouvernement, il avait dans son portefeuille et par ses relations, la suite et la clef de toutes ces opérations. M. de Montaran, qui s'était aussi abouché avec le comité, était allé à Rouen pour faciliter les arrivages et les convois pour Paris.

Je restai à l'Hôtel-de-Ville jusqu'à minuit; je revins à Chaillot où j'habitais, vers une heure. J'avais vu le matin, au moment de l'arrivée du roi, le curé qui me demanda l'heure de mon retour; je lui répondis que je l'ignorais, que ce serait sans doute vers neuf heures; je présumai que c'était pour quelque députation. Revenant à une heure du matin, je pensai qu'il n'en serait pas question; et j'étais déshabillé, lorsqu'on m'annonça la visite de M. le curé et une députation des marguilliers: ils m'annoncèrent qu'on m'avait nommé marguillier d'honneur à la place de M. Jansen, qui était mort. Je n'en ai jamais fait les fonctions hors ma réception. Les marguilliers étaient presque sans activité lorsque je suis sorti de place, et la constitution d'ailleurs a proscrit toutes ces places

d'honneur, qui ne sont pas compatibles avec l'é

galité.

Samedi 18 juillet.

M. de La Fayette et moi,

nous avons été à l'assemblée des électeurs, pour exposer qu'infiniment sensibles au choix dont nous avaient honorés nos concitoyens, l'un comme maire, l'autre comme commandant-général, nous ne pouvions cependant nous regarder comme suffisamment autorisés et munis de pouvoirs légitimes, que lorsque les districts auraient fait une nomination régulière par élection et par un choix libre, ou de nous, ou de toutes autres personnes, pour ces places de la première confiance: l'assemblée, en applaudissant à ces vues de délicatesse, a arrêté << que tous les districts seraient invités à délibérer sur ces places et sur ces nominations, et à envoyer à la Ville le résultat de leurs délibérations. >>

L'état déplorable des subsistances, celles du lendemain qui dépendaient sans cesse des mesures du jour, ne me permettaient pas d'en négliger cune; je m'imposai l'obligation de tout voir et de tout suivre à cet égard par moi-même; le salut de la ville de Paris y était attaché : je ne quittai donc pas le comité des subsistances. Je pensai que, tant que mes concitoyens pourraient craindre la famine, mon administration tout entière était concentrée dans les subsistances. Il en résulta que, ne pouvant pas présider habituellement l'assemblée, l'assemblée agit sans moi; le chef qui avait eu la première autorité avant moi, n'était pas fàché de la con

server. D'ailleurs, quoique nommé par la ville de Paris, et chef légitime de toutes les opérations, je n'étais pas venu pour dépouiller mes anciens collègues qui s'étaient conduits avec tant de sagesse et de courage, et qui avaient sauvé Paris du despotisme, de la guerre et de l'anarchie. L'assemblée où j'étais censé présent, avait bien le droit d'agir sans moi. Mais il aurait fallu plus de concert, et que j'eusse connaissance chaque jour des arrêtés qui étaient pris cela nous aurait sauvé l'inconséquence de faire chacun de notre côté les mêmes choses, comme j'aurai plusieurs occasions de le remarquer. Mais la jalousie de pouvoirs commençait déjà à poindre, et commençait sans doute par le chef, qui me cédait bien sa place de président quand j'arrivais, et qui ne pensait plus à moi quand je n'y étais plus.

Je rapporterai cependant ce qui s'est fait de plus important dans les séances, même en mon absence, tant pour l'histoire de la révolution et de la ville de Paris, que pour faire des observations sur l'esprit public qui tendait à se former, et que tant de causes concouraient ou à retarder ou à corrompre.

C'était le sixième jour que l'on ordonnait, que l'on administrait, et déjà tous voulaient commander, tous voulaient tout faire. Il y avait une garde à la Bastille. Le district de l'Oratoire en était chargé, mais tous prétendaient avoir cette garde. On fut obligé, pour concilier les préten

tions, de statuer que la garde serait composée de ༡༠ hommes, dix gardes-françaises et un citoyen de chaque district.

L'assemblée, ayant considéré la quantité d'armes qui avaient été pillées dans la journée du 13, et qui étaient restées dans toutes sortes de mains ;

persuadée que les gens sans aveu ne doivent pas être armés, ayant déjà ordonné que cette espèce de gens seraient désarmés lorsqu'ils seraient rencontrés par les patrouilles, et instruite qu'ils sortaient de Paris, emportant leurs armes, au grand péril des campagnes, a chargé M. de La Fayette de faire arrêter et désarmer aux harrières les personnes inconnues, qui ne seraient pas autorisées à porter des armes par leur inscription dans la garde nationale.

On invita d'ailleurs tous les ouvriers à reprendre leurs travaux, et on fixa le prix qui leur serait payé pour les armes qu'ils rapporteraient, pourvu qu'ils fussent munis d'un certificat du maître chez lequel ils auraient repris le travail.

Une chose bien remarquable et qui prouve l'esprit de souveraineté, de législation et d'indépendance qui germait partout, c'est que le district des Petits-Augustins arrêta, à lui tout seul, qu'il serait établi des juges de paix, les qualifia de tribuns, et procéda sur-le-champ à leur nomination : c'étaient MM. Molé de la comédie française, Achet, Osselin et Lalouette. Le district envoya sa délibération et sa nomination à l'Hôtel-de-Ville. La

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