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avoir rempli tous mes devoirs envers la nation : tout ce que j'ai dit ici était vrai. Mes principes et mon caractère m'ont toujours éloigné de l'adulation; mon art et mon éloquence ont été de ne rien dire que la vérité. Ce jour d'alliance était le plus beau de la monarchie et de la vie du roi, si les premiers erremens avaient été constamment suivis, et surtout par le roi lui-même. Le mot : « Il avait reconquis son peuple, ici le peuple a >> reconquis son roi,» fut universellement applaudi. Depuis, les ennemis de la chose publique qui ont employé, pour un de leurs moyens, le discrédit des hommes estimés et des vrais et purs'citoyens, ont cherché à m'en faire un crime, en prétendant que j'avais osé dire au roi que le peuple l'avait enchaîné. Cela n'eût pas été écouté dans le moment; aussi ne l'a-t-on hasardé qu'un an après. Le sens clair et unique de la phrase est: Henri IV avait recouvré son peuple; ici le peuple a recouvré son roi. Le mot reconquis est substitué comme plus fort et faisant image; mais reconquis par l'amour et par l'éloignement des conseils qui l'avaient égaré.

M. de La Vigne parla après moi au roi, comme président et au nom des électeurs.

Le roi a répondu qu'il recevait avec plaisir les hommages de la ville de Paris et des électeurs.

La marche a passé par la place de Louis XV, la rue Saint-Honoré, la rue du Roule les quais jusqu'à l'Hôtel-de-Ville; le chemin était bordé des

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deux côtés par une haie de garde nationale, et presque partout sur trois, et quelquefois quatre rangs, armée de fusils, d'épées, de piques, de lances, de faulx, de bâtons (1), etc.; on y voyait des femmes, des moines, des capucins le fusil sur l'épaule. On a évalué à deux cent mille le nombre des hommes armés. Quoique à la rigueur Paris puisse les fournir, je crois qu'il y a de l'exagération, et que la garniture même à quatre rangs, pouvant être faite dans cette longue route, avec soixante mille individus, c'est tout que de supposer cent mille hommes armés ce jour-là à Paris. Lorsque le roi passa à la place de Louis XV un coup de carabine, parti des environs du palais Bourbon, tua une femme non loin de sa voiture. Nous avons lieu de croire que ce malheur fut un coup du hasard, mais il parut extraordinaire (2).

(1) En traversant le Pont-Neuf, le roi trouva sur son passage une nombreuse artillerie; mais à l'embouchure et à la lumière de chaque canon, on avait placé des bouquets.

(Note des nouv. édit.) (2) On n'a jamais bien connu la nature de cet événement dont le parti opposé à la révolution s'est emparé pour en faire un sujet d'accusation contre le parti populaire. Un historien, dont souvent les écrits paraissent plutôt dictés par une imagination romanesque que par une connaissance exacte de la vérité, M. de Montjoie, dans un ouvrage dirigé contre le duc d'Orléans, s'est livré, à ce sujet, à des suppositions qu'une juste circonspection ne nous permet pas de raconter ici. Un autre écrivain de la même opinion, · mais qui s'exprime ordinairement avec plus de réserve, M. Beaulieu, soutient, sans apporter aucune preuve à l'appui de son assertion, que le coup de fusil qui tua une femme non loin de la

Je précédais toute la marche, suivi des députés à l'Assemblée nationale, mêlés à ceux des électeurs, et formant deux files très-longues, au milieu desquelles était la voiture du roi ; quatre officiers de la garde nationale tenaient les boutons

voiture de Louis XVI, était dirigé contre ce monarque. M. Lacretelle jeune, nouvel historien de l'Assemblée constituante, rapporte que « le roi étant arrivé à la hauteur des Champs-Élysées, trois coups de fusil furent tirés à la fois, et qu'une balle vint frapper une femme et l'étendit morte. » Au récit de ce fait déjà connu, l'auteur en ajoute un second moins avéré. « Dans le même moment, dit-il, le marquis de Cubières ( frère du chevalier de Cubières-Palmézeaux), qui se tenait à cheval près la portière de la voiture du roi, se sentit frapper légèrement à la tête. Son chapeau tomba; on le lui rendit, et il y vit un trou qui ne pouvait provenir que d'une balle. Ces coups de fusil, observe M. Lacretelle, n'étaient-ils que l'effet du hasard, et de la maladresse des nouveaux soldats? »

L'auteur du Point du Jour, journal rédigé par Bertrand Barrère, qui n'avait point encore adopté les principes qu'il professa dans la Convention, ne dit point un mot de cette circonstance. RabautSaint-Étienne garde le même silence. Les Deux amis de la liberté, auteurs d'une Histoire de la révolution, généralement regardée comme impartiale, après avoir raconté le fait, et observé que l'on en accusa dans le temps la malveillance poussée par le désir coupable d'occasioner quelque désordre, ajoutent que vraisemblablement l'explosion fut l'effet de la maladresse et de l'inexpérience de tant d'hommes qui maniaient les armes pour la première fois. Ce qu'il y a de certain, disent en terminant les mêmes écrivains, c'est que la malheureuse victime de cette journée fut tuée par un tire-bourre, et non par une balle. »

Il paraît résulter du silence de quelques historiens, et des divers témoignages des autres, que rien ne prouve encore l'intention coupable des personnes qui ont tiré les coups de fusil près de la (Note des nouv. édit.)

voiture du roi.

des portières; M. de La Fayette la précédait, environné de ses aides-de-camp. On doit dire à son éloge et à celui du peuple de Paris, qu'avec une garde toute nouvelle, le plus grand ordre a été partout observé; personne ne sortait des rangs, ni ne dépassait la haie, quoiqu'il y eût, derrière, une foule immense de spectateurs. Après avoir vu ce concours dans toutes les rues, on voyait, avec surprise, sur les places de Louis XV et de l'Hôtel-de-Ville, un grand cercle de gardes, avec un espace entièrement libre et nu, qui permettait à la marche de s'y développer avec majesté. « Les >> airs retentissaient d'une acclamation continuelle: » Vive la nation! vive le roi! vivent MM. Bailly, » La Fayette, les députés, les électeurs ! et ces » cris étaient mêlés au son des trompettes, de la >> musique guerrière, et au bruit de l'artillerie, dans >> tous les lieux où les canons étaient placés (1).

(1) Voici le passage dans lequel les Deux amis de la liberté rendent compte de la marche du roi. Il est bien différent de celui de Bailly. « Une partie de l'Assemblée nationale, disent-ils, marchait à pied, autour de la voiture du roi, avec un air triste et agité. Tous les visages et tous les cœurs paraissaient froids et glacés; ce qui donnait à toute cette pompe quelque chose de lugubre qui en augmentait encore l'intérêt. Les plaies étaient si profondes, si récentes, l'avenir si incertain, qu'on était généralement plus disposé à se livrer à la crainte, qu'à s'abandonner à la joie. On répétait sans cesse les cris de vive la nation! mais on n'y joignait point ce tribut accoutumé d'amour et d'affection que les Français aiment tant à payer à leur souverain, etc. »

(Note des nouv. édit.)

» (Pr. verb. des élect., t. II, p. 92.) » Comme je marchais le premier, je recueillais la première effusion de la sensibilité générale; les acclamations, les applaudissemens furent répétés avec transport tout du long de cette longue marche ; et elle a été pour moi un de ces momens flatteurs qui ont sensiblement touché mon cœur, mais que j'ai payés bien cher. Arrivé le premier à l'Hôtel-de-Ville, on me proposa de présenter au roi la cocarde à trois couleurs que les Parisiens avaient prise depuis la révolution, et pour se reconnaître. Je ne savais pas trop comment le roi prendrait la chose, et s'il n'y avait pas quelque inconvenance à cette proposition; cependant il me parut que je devais présenter la cocarde, et que le roi ne devait pas la refu

ser.

Quand le roi descendit de voiture, je marchai près de lui, en le précédant de quelques pas, et je la lui présentai, en lui disant : « Sire, j'ai l'honneur d'offrir à Votre Majesté le signe distinctif des Français. » Le roi la prit de très-bonne grâce et la joignit à son chapeau (1). Le roi a monté

(1) S'il faut croire M. Lacretelle jeune, le roi n'acceptait d'abord, ni ne repoussait la cocarde tricolore que Bailly lui présentait; mais ce dernier la lui mit vivement dans les mains en lui disant: Prenez, Sire. Le ton dont parlait Bailly, dit toujours M. Lacretelle, semblait dire « ceci est un talisman pour votre sûreté. » Aucun autre historien ne donne une pareille couleur à cette cir(Note des nouv. édit.)

constance.

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