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françaises, avec ses canons, et qui salua le maire de Paris par une décharge de mousqueterie. Je fus vivement touché de cette attention de la part de nos généreux défenseurs. Je revins à la Ville, excédé des fatigues de cette longue journée, à la suite d'une nuit passée debout; journée où j'avais été d'ailleurs vivement remué par la joie, la sensibilité et la reconnaissance (1). Mais la journée n'était finie pour moi. Aussitôt que les électeurs furent revenus et réunis, je fus obligé de faire le maire : on me fit prendre la présidence dé l'Assemblée, ainsi que celle du comité permanent. On nous amena un particulier arrêté à la Bastille, dont il voulait visiter les souterrains. Il était armé de pistolets, et la foule qui l'avait saisi et entraîné à l'Hôtel-de-Ville, était très-irritée. Cet homme a dit se nommer le comte de Saint-Marc, et avoir été envoyé par un district (celui de Saint-Gervais), pour examiner si les souterrains de la Bastille n'avaient pas de communications dangereuses (2). II n'y avait rien de plus simple à vérifier; il n'y avait qu'à le ramener à son district : mais l'emporte

(1) Le lecteur a pu lire, dans les Mémoires de Dusaulx, le récit des mêmes faits, et les éclaircissemens historiques qui y sont annexés. C'est en comparant ces différentes versions que l'on peut arriver à la vérité. (Note des nouv. édit.)

(2) C'est, à ce qu'il paraît, à cette occasion qu'il se forma un corps de volontaires, sous le nom de Volontaires de la Bastille, pour la garde de cette forteresse.

(Note des nouv. édit.)

ment, l'habitude de la défiance n'entendaient rien. Il pensa être la victime de cet emportement. Je le fis passer, et j'allai avec lui, au comité permanent qui se tenait dans la salle des gouverneurs. Là, nous nous entendîmes mieux; nous reconnûmes qu'il n'était nullement coupable; et, pour le sauver, nous le constituâmes prisonnier dans la prison de l'Hôtel-de-Ville, d'où M. de La Fayette le fit sortir le lendemain matin, après avoir laissé le temps de l'oublier. On a pensé que les choses ne se seraient point passées ainsi la veille, et si, aujourd'hui, les esprits n'avaient pas été déjà adoucis par les événemens de la journée.

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Il y eut ce soir même une sédition à la Salpêtrière le peuple avait enlevé les armes de la garde, et cette garde, sans armes, ne pouvait résister au nombre; nous envoyâmes des ordres à M. Rulhières de s'y transporter. Les inquiétudes étaient toujours très-grandes, tant sur les souterrains où l'on craignait qu'il n'y eût encore de malheureux prisonniers renfermés, et où l'on craignait qu'il n'y eût des communications inconnues avec le dehors de Paris, que sur les carrières qui paraissaient propres à cacher des dépôts de troupes. On avait chargé M. Dufourni, ingénieur, de visiter la Bastille; il avait rapporté que les souterrains n'avaient aucune communication extérieure: on proposa de lui donner pour conducteurs les trois invalides sauvés la veille de la fureur du peuple; et, en effet, ils y furent assez bien déguisés pour n'être pas reconnus.

Il ne s'y trouva ni communications, ni prisonniers, et les carrières visitées ne contenaient point d'ennemis. Au comité permanent, vers minuit, on vint me dire qu'une femme, déguisée en homme, avait été arrêtée, qu'elle était dans la cour de l'Hôtel-de-Ville, où le peuple allait la pendre sans autre forme de procès. On ajouta qu'il n'y avait que moi qui pût la sauver. Je descendis sur-le-champ, la cour était pleine d'une foule d'hommes portant ou des armes, ou des flambeaux; c'est là que je trouvai cette infortunée : je voulus l'interroger. La frayeur ne lui laissait pas la liberté de s'exprimer; le tumulte, le bruit que faisaient ces hommes furieux étaient si grands, qu'on ne pouvait entendre ses réponses. On ne cessait pas de la maltraiter, elle tomba devant moi évanouie sur le pavé. Dans cette foule, je ne connaissais personne, je ne savais distinguer ni ceux que je devais craindre, ni ceux dont je pouvais être sûr; je donnais des ordres qui n'étaient ni suivis, ni entendus. On me faisait entendre que je n'étais pas en sûreté. J'aperçus heureusement M. Hay, colonel des gardes de la ville, qui m'avait suivi; je l'appelai, je lui ordonnai, d'un ton très-sévère, de faire mener cette femme en prison, et qu'il m'en répondrait. Il en vint à bout, et je sauvai ainsi cette femme qui sortit le lendemain de grand matin. M. l'évêque de Chartres et un autre député furent arrêtés et conduits à l'Hôtel-de-Ville : je leur fis des excuses sur une erreur due à la confu

sion des événemens de la journée, et on donna des ordres pour assurer leur retour à Versailles.

Dans la méfiance qui tourmentait tous les esprits, et qui disposait ou à concevoir des chimères, ou à les adopter, et peut-être aussi par un effet de la malveillance qui voulait diviser et semer le trouble, des particuliers inconnus sont venus dire à l'assemblée que la démarche du roi n'était pas sincère, qu'elle cachait un piége de nos ennemis pour faire poser les armes, et nous attaquer avec plus de facilité. J'avoue, qu'heureux des événemens de la journée, et convaincu de la loyauté du roi, je fus indigné des soupçons qu'on osait répandre; je m'élevai avec force contre une défiance que ses vertus connues ne permettaient pas de concevoir. Je dis que j'avais été témoin de tout, et que je répondais de l'exactitude des récits faits à l'assemblée et au peuple. J'ajoutai que la confiance due à la parole du roi n'empêchait pas que la garde établie ne veillåt avec le même zèle à la sûreté de la ville, et qu'alors aucun ennemi ne serait redoutable.

L'avenir m'a bien convaincu qu'il y avait dès lors un moteur invisible qui n'était pas satisfait que le despotisme eût été détruit et la liberté acquise dans ces jours du 13 et du 14 juillet, qui semait à propos les fausses nouvelles, les craintes, les défiances pour perpétuer le trouble. Ce moteur n'a pas encore cessé son action; il a dû avoir un grand nombre d'agens, et, pour avoir tissu et suivi

\ II.

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ce plan abominable, il faut et un esprit profond, et beaucoup d'argent. Quelque jour on connaîtra, on dira le génie infernal et le bailleur de fonds.

Ce que je dis à l'assemblée calma les esprits; mais aussitôt on manifesta le vœu de voir le roi, et l'on désira que je me chargeasse de supplier le roi de venir le lendemain à Paris. J'ai répondu que je retournais cette nuit même à Versailles. Mais n'ayant pas encore aperçu les droits que ma nouvelle place me donnait, et ne considérant que les usages actuels de la cour, j'ajoutai que je n'étais pas le maître de voir le roi quand je le désirais; que je profiterais de la première occasion, de tous les moyens qui se présenteraient pour donner cette satisfaction à la ville de Paris; mais que la chose était impossible pour le lendemain 16.

Je partis en effet vers deux heures. Le chemin était long de l'Hôtel-de-Ville aux voitures de la cour, et difficile à cause des patrouilles qui inondaient les rues. Un électeur, M. Leroux, qui, d'ailleurs, avait un fiacre que j'aurais eu peine à trouver à cette heure indue, offrit de me conduire, et je lui en eus une grande obligation; car nous fumes arrêtés plus de trente fois dans la route; et sans lui, quoique chef et premier magistrat de Paris, j'aurais été mené à quelque district cu ramené à l'Hôtel-de-Ville. Je dois dire une petite circonstance qui prouve le patriotisme et l'esprit public de cette journée. Les commis du bureau des voitures ne voulurent point prendre mon argent, et

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