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fondaient de justes alarmes. Un citoyen, M. Parimajon, électeur, s'est proposé pour aller les vérifier. Une grande agitation régnait toujours dans la capitale ; la méfiance était partout, personne n'était à l'abri du soupçon. Les électeurs pensèrent à s'adresser encore à l'Assemblée nationale pour ap-, porter remède à ce trouble et à ces justes terreurs. M. Moreau de Saint- Merry proposa, et on prit l'arrêté suivant :

« L'assemblée tenante à l'Hôtel-de-Ville a re» cours à l'Assemblée nationale, comme la plus » propre à exprimer à un grand roi les calamités » dont la capitale de son royaume est accablée.

» La journée d'hier sera à jamais mémorable, » par la prise d'une citadelle que la perfidie de » son gouverneur a mise en un instant au pou>> voir du peuple, dont la bravoure s'est irritée » par une parole d'honneur trahie.

>> Cet acte, qui est la meilleure preuve qu'une »> nation qui sait le mieux obéir est avide de sa >> juste liberté, a été suivi des traits que les mal» heurs publics avaient pu présager.

» C'est aux représentans de cette même nation » à dire à ce roi que le ciel a destiné à être » adoré de son peuple, que c'est par la douceur qu'il doit régner, et qu'il est temps que cette >> belle nation cesse d'être traitée comme si elle » était coupable. >>

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On a appris que le régiment de Vintimille s'était avancé jusqu'à la Chapelle; mais l'inquiétude ne se

calmait pas, les nouvelles alarmantes se succédaient avec rapidité, et la fureur du peuple, mêlée à l'effroi, était telle que l'assemblée se crut obligée de faire dépaver toutes les rues. Son président, M. Moreau de Saint-Merry, en signait l'ordre, lorsqu'un particulier, haletant, couvert de sueur et prêt à tomber en défaillance, est entré dans la salle, et a dit qu'il avait fait la course de Versailles à Paris en une heure et demie, et qu'il apportait la nouvelle la plus heureuse, celle de la séance du roi à l'Assemblée nationale. On juge de l'impression que fit cette nouvelle inattendue, et dans les dispositions où étaient tous les esprits; il raconta assez exactement tout ce qui s'était passé, mais on avait peine à le croire. On ne le crut même pas d'abord, et on l'examina pour découvrir s'il n'était pas de ces porteurs de nouvelles pour troubler et agiter les esprits par la crainte ou par l'espérance. On lui objecta que les passages étaient fermés. Il dit que, s'étant jeté dans un cabriolet de poste en sortant de l'Assemblée et du spectacle de bonheur dont il avait été témoin, il était venu à Sèvres où il avait été arrêté. Le passage lui a été obstinément refusé. Enfin, il a trouvé le moyen de traverser la rivière en batelet, et, toujours en courant, il est venu à pied depuis le bord de la rivière jusqu'à l'Hôtel-de-Ville. Ce particulier se nommait Charles-Joseph Piquet, négociant; et comme il remarqua lui-même les soupçons que sa nouvelle faisait naître, il demanda à rester en otage,

et en

effet il fut gardé à l'Hôtel-de-Ville; mais bientôt M. de Villette vint confirmer la nouvelle, et M. l'Avenue, député de Bazas à l'Assemblée nationale, en apportant une confirmation complète, vint annoncer l'arrivée de la députation. Il dit aux électeurs « qu'il avait désiré les prévenir autant » pour apporter la paix et le bonheur à Paris >> quelques momens plus tôt, que pour donner à » l'Hôtel-de-Ville le temps de n'être pas surpris » par une députation nombreuse, inattendue, et >> la seule que l'Assemblée aura jamais envoyée à » une municipalité. »

Les électeurs étaient peu nombreux alors, et, dans le trouble qui avait régné jusqu'à ce moment, il était difficile de recevoir dignement la députation; on n'avait, pour ainsi dire, à lui offrir que ce qu'elle apportait elle-même, le spectacle de la paix nouvelle et de la joie inespérée. On ordonna de tirer le canon à l'arrivée de la députation. MM. du Veyrier, de Leutre, l'abbé Fauchet et Legrand de Saint-Réné ont été envoyés au-devant d'elle.

Nous avions traversé les Tuileries; les députés nous trouvèrent sous le vestibule du palais. M. du Veyrier, portant la parole, dit : « Messieurs, nous » sommes députés par l'assemblée des électeurs » pour recevoir les anges de paix que l'Assemblée >> nationale nous envoie ; qu'elle daigne excuser le » petit nombre et l'extérieur négligé des députés. » Le petit nombre prouvait que les autres électeurs étaient chacun à des postes et à des travaux

infiniment multipliés, et leur négligé qu'ils n'étaient occupés que de la chose publique. Nous nous mîmes en marche par le Carrousel, les rues SaintNicaise, Saint-Honoré, de l'Arbre-Sec, et les quais jusqu'à l'Hôtel-de-Ville. La marche était ouverte par le guet à cheval, deux détachemens de gardesfrançaises et suisses, les officiers de la prévôté de l'Hôtel, ceux de la milice parisienne, ensuite les quatre électeurs, enfin les députés de l'Assemblée nationale en très-grand nombre, et précédés de deux huissiers de l'Assemblée (1); plusieurs détachemens des gardes-françaises et de la milice parisienne fermaient la marche et bordaient la haie.

Jamais visite plus grande, plus importante et plus solennelle ne sera faite à aucune ville, et jamais cet honneur ne sera mieux senti, et reçu avec plus de joie et de transport. Une foule immense dans les rues, toutes les fenêtres garnies, beaucoup d'ordre, et partout un empressement naïf et franc, partout des acclamations et des bénédictions sur notre passage, des larmes, des cris: Vive la nation! vive le roi! vivent les députés ! On leur distribuait des cocardes nationales rouges, bleues et blanches; on se pressait autour d'eux; on leur prenait les mains; on les embrassait. Chacun les nommait avec

(1) La députation était composée de quatre-vingt-quatre membres de l'Assemblée. Parmi eux se trouvaient notamment MM. Bailly, La Fayette, Mounier, de Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre, Sieyes, La Rochefoucauld-Liancourt, et l'archevêque de Paris. (Note des nouv. édit.)

une voix attendrie; et j'eus quelque part à ces témoignages de sensibilité et de reconnaissance publique. Ce triomphe était bien doux; mais j'ose dire que nous l'avions mérité.

Nous rencontrâmes dans la rue Saint-Honoré, près celle de Saint-Nicaise, une espèce de pompe triomphale; c'était un garde-française en uniforme, couronné de laurier, décoré de la croix de SaintLouis, et conduit, aux acclamations du peuple, dans une charrette entourée de la milice parisienne et des instrumens de musique militaire. La voiture arrêta, on nous le fit connaître; nous le fêtâmes et nous mêlâmes nos applaudissemens à ceux de la multitude. Je crois que ce garde-française était celui qui avait arrêté M. de Launay, et à qui on laissa alors la croix arrachée à ce gouverneur ; je crois aussi que c'est lui qui est mentionné au Procès-verbal des électeurs, tom. II, p. 40, nommé Dubois, et qui, le 16, a rapporté la croix de SaintLouis que le peuple lui avait donnée le mardi 14, au moment de la prise de la Bastille. M. Moreau de Saint-Merry lui a donné acte de son offre, mais lui a dit qu'il n'avait pas le pouvoir de reprendre

cette croix.

Nous admirâmes partout cette milice parisienne, à peine naissante, et qui déjà était une milice observant l'ordre, non avec une contenance exercée et de discipline, mais celle de la liberté, et avec l'esprit de citoyens qui font la police pour eux. Je me rappelle qu'en approchant du Pont-Neuf, je

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