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démission qu'il m'avait donnée, et pour les prier de le remplacer le plus tôt possible. L'arrivée de cette lettre avait été précédée d'une conversation, dans laquelle il me prévint de sa résolution. Je lui observai que j'étais dans le cas de quitter comme lui, et par les mêmes raisons; que j'en avais autant d'envie que personne, que je le ferais certainement un jour; mais que je croyais que, dans les premiers momens de la révolution, les deux chefs de l'administration, revêtus d'une confiance très-particulière des citoyens, ne pouvaient (quelque douleur qu'ils eussent ressentie des atrocités et des crimes commis sous leurs yeux), sans se rendre reprochables et peutêtre même criminels, abandonner l'administration et la chose publique, puisque le succès de la révolution et le sort de la future constitution dépendaient de la tranquillité de la ville de Paris; que, quoique nous ne fussions plus dans le cas d'opiner à l'Assemblée sur le travail de la constitution, nous y coopérions d'une manière plus efficace, nous remplissions nos fonctions de députés plus utilement par nos fonctions dans la ville de Paris. Je lui dis, avec force et avec vérité, que tout le sort de l'État reposait alors sur nous, et qu'il dépendait

de l'accord de nos mesures extérieures avec celles qui se prendraient dans l'intérieur de l'Assemblée. Je lui demandai à quelles mains il proposerait de confier nos pouvoirs, de transmettre la confiance que nous avions reçue, et d'assurer également

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le repos public nécessaire au travail de la constitution. Il me répondit d'abord qu'il ne fallait pas que nous quittassions tous deux ensemble; que je n'étais pas dans le même cas que lui; que les victimes avaient été arrachées à la garde qu'il commandait; et que, dès qu'il ne pouvait plus être sûr de faire exécuter les ordres qui lui seraient donnés, il était de sa prudence de ne plus s'exposer à en recevoir. Il me dit que je n'avais pas eu, comme lui, le désagrément de voir ses avis méprisés dans l'affaire de M. Foulon, dont la mort avait été hautement et illégalement demandée; au lieu que celle de M. Berthier avait plus l'air d'une surprise et d'un mouvement inattendu. Il m'a observé que l'intérêt de la chose publique exigeait qu'un chef militaire fût toujours sûr qu'avec des forces suffisantes les ordres du pouvoir civil seraient toujours exécutés : enfin, et c'est ce qui me tranquillisa, il finit par m'ajouter qu'il était bien convaincu que sa démission ne serait pas acceptée, qu'il n'avait point sérieusement le dessein de se retirer; mais qu'il était essentiel qu'il la proposât, pour que ces tristes événemens donnassent lieu à un exemple, pour rappeler à l'ordre ceux qui s'en étaient écartés, et pour instruire le peuple que, dans le régime de la liberté, si la loi n'est pas souveraine, si les magistrats ne sont pas obéis au nom de la loi, il n'y a point de salut pour lui, ni d'honnêtes gens qui veuillent commander ses forces militaires et exécutoires de la loi.

Satisfait de cette explication, je reçus sa lettre je fis appeler M. Moreau de Saint-Merry pour qu'il la communiquât à l'assemblée; et l'assemblée, justement effrayée d'une résolution et d'un abandon qui, dans ce moment, pouvaient devenir funestes, se transporta presque entière au comité des subsistances où nous étions tous deux. M. de La Fayette leur a répété les mêmes raisons qu'il m'avait données, excepté la dernière; et, pour ne rien précipiter dans des mesures si importantes, il convint de se rendre à l'assemblée à six heures.

Immédiatement après, on parla dans l'assemblée de la lettre que j'avais écrite aux districts. II ne parut pas qu'elle en fût choquée : elle me fit prier de venir la présider, pour éclairer la décision qu'elle allait prendre, par l'exposition des motifs qui avaient déterminé les dispositions de ma lettre. Je leur fis entendre que je n'avais pas eu l'intention de les déposséder; en effet, je voyais un grand danger à changer de mains l'administration, et à la retirer de ceux qui avaient déjà quelque expérience, pour la donner à des gens qui seraient tout neufs aux affaires. Il y avait un changement nécessaire, c'était celui qui aurait lieu au moment où une municipalité légale serait établie par les citoyens. L'assemblée sentait, comme moi, la nécessité de faire dresser un plan de municipalité. J'avais mandé aux districts que, s'ils le trouvaient bon, le plan dressé par leurs cent vingt commissaires serait exécuté provisoirement, et cependant

leur serait envoyé, pour être ensuite, sur leurs observations, définitivement adopté.

L'assemblée, en approuvant et en suivant mes vues, arrêta: « De déclarer aux districts qu'en >> continuant par nécessité seulement toutes les » fonctions de la municipalité, dont les circons>> tances lui ont imposé le devoir rigoureux de >> prendre l'exercice, elle cessera de les remplir à >> l'instant où le vœu de tous les districts aura, » d'après la lettre de M. le maire, réalisé un plan >> provisoire d'administration municipale; trop >> heureuse d'avoir pu donner quelques preuves » de son zèle et de son attachement à la patrie. » Et le présent arrêté sera imprimé et envoyé >> aux districts, avec la lettre de M. le maire. »

Le comité permanent a pris deux arrêtés qui ont été communiqués à l'assemblée et approuvés par elle: le premier, pour rétablir la libre circulation, et sans aucune gêne, des voitures dans l'intérieur de Paris, pour demander qu'on rouvrit toutes les boutiques, et inviter particulièrement les citoyens. à contribuer à rappeler l'ordre et le calme, et à poursuivre les perturbateurs du repos public; le second, pour engager les propriétaires de terres et les privilégiés à payer désormais les entrées, et pour ordonner que les fonds en seraient versés dans la caisse de la Ville. Ce dernier arrêté était fort sage et pris fort à propos; mais il statuait sur une grande mesure. J'aurais pu, j'aurais dû être consulté: il n'aurait pas dû paraître sans mon nom;

je n'appris que long-temps après son existence. M. de La Fayette vint le soir : il apporta un nombre de délibérations de districts qui, déjà et avec empressement, lui rendaient sa démission. L'assemblée a joint de nouvelles instances. Il a voulu se retirer; on a barré son passage; un électeur s'est jeté à ses pieds: ce qui n'en était pas plus digne. Le procès-verbal le constate. Je crois que cet électeur était M. Osselin. Enfin, un grand nombre de nouvelles délibérations étant arrivées à l'assemblée ; en présence de M. de La Fayette, il ne put résister plus long-temps, et consentit à reprendre le commandement; ainsi la démission fut proposée et retirée dans le même jour. Mais l'exemple était fait; une plus longue résistance eût été inutile et dangereuse: il en résulta une leçon nécessaire à la tranquillité de Paris. La salle retentit des cris: Vive la nation! la liberté! La Fayette! Nous embrassâmes tous le général, et l'assemblée prit l'arrêté suivant: « Nous, électeurs et députés des >> districts de la ville de Paris, en nous confor»mant au vou et à l'acclamation unanime de tous >> les citoyens de cette capitale, et par une suite de >> notre confiance entière dans les vertus, les ta>> lens et le patriotisme de M. le marquis de La » Fayette, l'avons de nouveau proclamé comman»dant-général de la garde nationale de Paris, et » lui promettons, tant en notre nom qu'en celui » de nos frères armés dans nos districts et dans » les autres corporations militaires, subordination

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