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inexécution, a prononcé à haute voix: Qu'on le conduise en prison. Il était déjà dans les mains du peuple ou plutôt de ceux qui voulaient sa mort : il a traversé la salle sans mauvais traitemens, et arrivé à la place (1) il a été aussitôt pendu au révérbère qui est en face de l'Hôtel-de-Ville. On se livra ensuite à mille excès. Le corps fut traîné dans la rue, et la tête promenée au bout d'une pique (2).

Cette horrible exécution était un présage effrayant pour l'arrivée de M. Berthier. Je me rendis à cinq heures à l'Hôtel-de-Ville où j'appris ces terribles nouvelles. Je m'applaudis de ne m'y être pas trouvé, quoique, si je les eusse prévues, je ne me serais pas absenté ; et je frémis de ce qui m'était réservé pour le soir ou pour le lendemain.

M. de La Presle, un des électeurs qui étaient allés chercher M. Berthier, étant arrivé, nous instruisit qu'il avait été impossible d'exécuter les ordres de coucher au Bourget; que la foule qui accompagnait leur marche n'avait jamais voulu le souffrir, et que M. Berthier, suivi d'une foule immense, ne tarderait pas à se rendre à l'Hôtel-deVille. Nous jugeâmes, M. de La Fayette et moi,

(1) Voir, dans les Mémoires de Ferrières, les détails de cette horrible exécution. La malheureuse victime de tant de barbarie était alors âgée de 74 ans. (Note des nouv. édit.)

(2) « La terreur, dit M. Lacretelle, rendait le vieillard pâle, tremblant, et le faisait s'abaisser jusqu'aux plus humbles supplications. Deux fois la corde, instrument de son supplice, cassa; deux fois elle fut renouée, sans qu'un sentiment de pitié entrât dans les cœurs. » (Note des nouv. édit.)

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par l'événement du matin, qu'il y aurait beaucoup de danger qu'il y parût. En conséquence nous envoyâmes sur-le-champ un courrier à M. de La Rivière, avec l'ordre de conduire directement M. Berthier à l'Abbaye. Nous espérions par-là le rendre plutôt à un asile sûr, tromper la multitude qui l'attendait sur la place et dans les rues adjacentes, et surtout éloigner la comparution à l'Hôtel-de-Ville, qui semblait, dans l'opinion du peuple, légitimer un jugement populaire, et valoir une sentence de mort.

Je passai la journée dans l'anxiété et le cœur chargé d'un poids insupportable. Je craignais, et je souhaitais l'arrivée, pour être débarrassé de cette inquiétude, et que l'événement, quel qu'il pût être, fût passé. M. de La Fayette avait fait mettre sous les armes une garde très-nombreuse. La cour et les escaliers de l'Hôtel-de-Ville étaient garnis de gardes-françaises et de citoyens, la baïonnette au bout du fusil.A huit heures trois-quarts, des clameurs semblables à celles du matin ont donné une alerte dans la place; et aussitôt le peuple, malgré les gardes et les dispositions les mieux ordonnées, s'est porté sur l'escalier, dans tous les passages de l'Hôtelde-Ville et surtout dans la salle de l'assemblée, et mille voix ont annoncé M. Berthier. Ainsi l'Hôtelde-Ville a été forcé le matin parce qu'il n'y avait pas de garde, et le soir malgré la garde. Cela peut faire juger comment nous pouvions nous faire obéir; on n'osait pas résister alors au peuple, qui,

huit jours auparavant, avait renversé la Bastille. Nous nous sommes rendus aussitôt à l'assemblée, M. de La Fayette et moi. M. de La Rivière s'est présenté, et a dit que M. Berthier était arrivé, et qu'il l'avait déposé avec sa garde dans une pièce voisine. J'extrairai ici le récit de M. de La Rivière. « En conséquence des ordres de l'assemblée, il s'est transporté avec M. de La Presle et deux cent quarante hommes à cheval commandés par M. d'Ermigny, à Senlis, où il est arrivé le mardi 21, à dix heures du matin. Ils y ont laissé une partie de leur troupe, et l'autre à Verberie. Ils ont été tous trois seuls, à Compiègne, où M. Berthier leur a été remis, et reconduit jusqu'à Verberie par la garde nationale de Compiègne. Ils sont partis le mercredi à trois heures du matin. A la première poste, ils ont trouvé un détachement du district du Val-de-Grâce qui se rendait à Compiègne, et qui venait augmenter l'escorte ou plutôt l'embarras. Il faut, pour conduire des prisonniers, une garde suffisante pour les mettre à l'abri d'un coup de main; le reste est superflu et nuit même à leur conservation, comme les événemens même de ce jour le prouvent. Ils n'ont pas cru prudent de s'arrêter à Senlis, parce que la fermentation était grande. La route était couverte d'une affluence considérable de monde ; et c'est un effet des nom; breuses escortes qui se font remarquer, et qui, par la lenteur de leur marche, donnent plus de temps aux curieux de s'amasser. Ils sont arrivés à Louvres ;

M. Berthier et l'escorte s'y sont reposés. Là, beaud'hommes à cheval se sont réunis à la troupe, coup et la foule s'accroissait de moment en moment.

A deux heures après midi des cris horribles se sont fait entendre dans la cour de l'auberge; des gens armés ont dit qu'il fallait arriver de jour à Paris. Plusieurs sont montés et ont forcé M. Berthier de descendre. On a brisé les auvents du cabriolet. Sa vie n'était pas en sûreté. M. de La Rivière a eu le courage de se placer à côté de lui. On a entouré la voiture de cavaliers sûrs, et on est parti. Les clameurs suivaient partout. On apportait de mauvais pain, et le peuple attribuait à M. Berthier tous ses malheurs. A la sortie de Louvres, un homme armé d'un sabre a cherché à s'approcher et à le frapper. M. de La Rivière l'a couvert de son corps. Cependant la troupe des gens à cheval allait toujours grossissant. Il y en avait plus de six cents, leur nombre était presque triple de l'escorte chargée de répondre du prisonnier. M. d'Ermigni donnait des ordres, il n'était ni obéi, ni entendu. C'est là où M. de La Rivière a reçu ma lettre qui lui mandait de coucher au Bourget, pour arriver le lendemain à neuf heures, et conduire le prisonnier de suite à l'Abbaye. M. Berthier a été inquiet de cette lettre. M. de La Rivière a cru devoir la lui lire pour le consoler. Elle l'a beaucoup tranquillisé, et il a dit : « Je vous prie de remer»cier M. Bailly et l'assemblée, des moyens em»ployés pour me mettre à même de me justifier,

>> et pour me soustraire à la fureur aveugle d'un

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>> On remarquait dans la route des gens armés de fusils qui le couchaient en joue. Arrivés au Bourget, M. de La Rivière voulut y arrêter pour y coucher et exécuter les ordres; mais « quelques » personnes, dit-il, prévenues peut-être de ces » ordres, ont empêché que nous n'approchassions » de la porte, et ont forcé le postillon de Louvres » de venir jusqu'à Paris, sans vouloir lui permettre » de relayer. » Ces personnes, qui disposaient et ordonnaient, avaient sans doute ou leurs intentions personnelles ou leurs ordres particuliers. Le concours était prodigieux sur le chemin de Paris, et les deux côtés de la route étaient garnis d'une foule immense. Il n'y a sorte d'humiliations qu'on n'ait fait subir au prisonnier. Il avait imaginé, pour apaiser le peuple, de mettre à son chapeau la cocarde nationale; M. de La Rivière lui avait prêté la sienne; elle lui fut aussitôt arrachée. On avait préparé une charrette avec des écriteaux; on voulait l'y faire monter on a exigé que le cabriolet : fût entièrement découvert. Il entendait à ses oreilles des cris de mort et de supplice, des accusations d'accaparement, et il répondait : « Je vous jure que jamais je n'ai acheté ni vendu un seul >> grain de blé. » Dans la rue Saint-Martin, on voulut approcher de la voiture une tête au bout d'une pique; c'était la tête de M. Foulon. Cette atrocité était purement gratuite, et montre à quel excès

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