SECTION V. ÉTABLISSEMENTS DANGEREUX, INSALUBRES OU INCOMMODES. 309. SOMMAIRE. Les communes et le roi exercent concurremment un droit de réglementation en cette matière. Arrêté royal 310-312. Fondement et étendue des pouvoirs du roi. Art. 2 de la loi du 2 mai 1819. — Art. 7 de la loi des 2-17 mars 1791. du 29 janvier 1863. 313. Limites des pouvoirs de la commune. A-t-elle le droit d'interdire directement ou indirectement l'exercice d'un commerce ou d'une industrie? 314. Boucheries et abattoirs privés. 309. Les communes ont le droit de faire des règlements sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, lorsqu'ils compromettent la salubrité du passage dans les voies publiques, ou peuvent donner lieu, directement ou indirectement, à des accidents ou fléaux calamiteux. Mais leur pouvoir est limité parce qu'il concourt avec celui de l'administration centrale, et qu'il leur est interdit de contrarier les mesures prises par cette dernière. Le roi tient son pouvoir de réglementation en cette matière, de la loi du 21 mai 1819, art. 2, combiné avec l'article 67 de la Constitution; la commune tient le sien de l'article 3, tit. XI, du décret des 16-24 août 1790. 310. L'article 2 de la loi du 21 mai 1819 porte: - « La patente donnera à la personne à qui elle est accordée la faculté d'exercer, pendant le temps pour lequel elle a été délivrée et partout où le patenté le jugera convenable, les commerce, profession, métier, industrie et débit y mentionnés. > Seront néanmoins considérées comme de nulle valeur les patentes qui seraient délivrées à des individus, pour des professions ou métiers dont l'exercice leur serait définitivement ou conditionnellement interdit par les lois ou par les règlements approuvés par nous. >> Chacun se conformera dans l'exercice de son commerce, profession, industrie, métier ou débit aux règlements de police générale et locale; en cas de contravention par récidive à cet égard, la patente du contrevenant pourra, par sentence judiciaire, être révoquée pour le reste de l'année. » D'autre part, l'article 67 de la Constitution accorde au roi le pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois. Il suit de ces dispositions que le chef de l'État a le droit de réglementer l'exercice de toute profession ou industrie, même d'interdire définitivement ou conditionnellement l'exercice de telle ou telle industrie ou profession, et dès lors, de régler tout ce qui concerne les établissements dangereux, insalubres ou incommodes. 311. C'est à tort que la cour de Bruxelles, dans un arrêt du 6 mars 1862 (1), a invoqué à l'appui de ce droit l'article 7 de la loi des 2-17 mars 1791, qui consacre la liberté de l'industrie et du commerce « à charge pour les particuliers de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits. » (1) Pasicr. 1862-11-156. Cette disposition n'indique pas quelle est l'autorité compétente pour faire ces règlements. Il fallait, en 1791, chercher la solution de cette question dans le décret des 16-24 août 1790. Or, d'après ce décret, l'autorité compétente ici, c'était la commune, toutes les fois qu'il s'agissait de garantir la sûreté, la commodité, la salubrité des lieux publics et la tranquillité des habitants, ou de prévenir les accidents ou fléaux calamiteux. Le chef de l'Etat n'avait pas qualité pour intervenir en cette matière. Mais il y a une raison plus grave pour écarter ici l'application de la loi des 2-17 mars 1791: la phrase et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits, si elle figure dans la Pasinomie belge, n'appartient cependant pas au texte publié officiellement en Belgique. Cet article a été publié chez nous en exécution d'un arrêté des Représentants du peuple, du 19 brumaire an IV, dans les termes suivants : « A compter de la publication de la présente, il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d'une patente et d'en acquitter le prix sur le pied mentionné dans la loi portant établissement des patentes pour toute espèce de commerce, décrétée par la Convention nationale, en date du 4 thermidor an III. Les marchands de vin en détail etc... >> Il n'est pas même question dans ce texte de règlements de police. 312. Il résulte de là qu'en Belgique, depuis la publication du décret des 16-24 août 1790 jusqu'à la publication du décret du 15 octobre 1810 dont il sera parlé plus bas, les communes seules ont eu le droit de réglementer les établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Cette situation a été modifiée d'abord par le décret du 15 octobre 1810. L'Empereur a réglé la matière par ce décret, et celui-ci, bien qu'illégal dans son principe, devint obligatoire faute d'annulation dans le délai prévu par la Constitution. Le décret acquit ainsi force de loi et, s'il était demeuré isolé, le chef de l'État n'aurait pas eu le droit de le modifier (1). Il aurait pu simplement faire des arrêtés pour son exécution. Il n'aurait pas pu davantage réglementer d'autres industries que celles qui figurent dans l'état annexé au décret, sans contrevenir à la loi des 16-24 août 1790 et sans empiéter sur les attributions des corps municipaux. Mais la loi du 21 mai 1819 a conféré au roi le droit de réglementer comme il l'entendait l'établissement et l'exercice de toute profession, commerce et industrie. Le roi a fait usage de ce droit, notamment en ce qui concerne les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, par les arrêtés des 31 janvier 1824, 12 novembre 1849 et 29 janvier 1863. C'est ce dernier qui régit aujourd'hui la matière. 313. La loi de 1819 a attribué au roi le droit d'interdire définitivement ou conditionnellement l'exercice de certaines professions ou métiers. Les règlements communaux contenant de pareilles interdictions ne sont obligatoires que s'ils sont approuvés par le roi. Hors de là et sauf dans les cas spéciaux exceptés par la loi, la commune ne peut ériger certains commerces ou industries en monopoles, ni défendre l'exercice d'une profession à toute personne non commissionnée ni autorisée par elle. (Voir ci-dessus, les n's 179 et suiv.) De là, en ce qui concerne spécialement les établissements dangereux, incommodes ou insalubres, l'illégalité des ordonnances de police communale, non (1) Comp. AUBRY et RAU, Cours de droit civil français, § 5, et la note. approuvées par le roi, ayant pour objet, soit d'interdire ces établissements d'une manière absolue, soit de les soumettre à une autorisation, soit d'en ordonner la fermeture, soit de leur fixer un emplacement, soit de leur imposer des conditions rendant leur exploitation impossible (1). A l'appui de cette doctrine, l'on peut citer un arrêt de la cour de cassation de France, du 25 novembre 1853 (2). Après avoir constaté que la législation relative aux établissements dont on vient de parler, a pour objet d'en déterminer les conditions d'existence et d'action, l'arrêt ajoute qu'il appartient seulement à l'autorité administrative supérieure de statuer par des règlements sur le lieu où ces établissements peuvent être formés, et sur les restrictions dont l'industrie qu'ils comportent est susceptible dans l'intérêt de la sûreté, de la salubrité ou de la commodité publiques. D'où il déduit que si des mesures locales de police peuvent être prises à l'égard des établissements dont il s'agit, elles ne sont obligatoires et légales qu'autant qu'elles n'empiètent pas sur le pouvoir confié à l'autorité supérieure....; qu'elles n'ont pas conséquemment pour objet de régler le lieu où peuvent être formés ces établissements, de modifier ou d'altérer les conditions d'existence des propriétaires. L'arrêt s'applique à une ordonnance du maire de Tarascon qui avait réglé les heures de travail des moulins à vent; il la déclare illégale « parce qu'elle modifie et altère les conditions nécessaires d'action de cette industrie. » La loi du 21 mai 1819 n'a du reste pas enlevé à la commune le droit de réglementer librement les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, dans la limite des attributions qu'elle tient du décret des 16-24 août 1790. (1) Comp. cass. fr. 23 nov. 1850 et 25 nov. 1853 (DALLOZ, Rec. Pér., 1850-V-305 et 1854-V-60). (2) Voir la note précédente. |