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des dangers ou des dommages pour les habitants, le droit du conseil communal de réglementer, d'interdire certains rassemblements ou même tout rassemblement en plein air, résulte encore a fortiori de l'article 94 de la loi communale. Car, aux termes de cet article, les bourgmestres peuvent, dans les cas que l'on vient de signaler, faire des règlements et ordonnances de police, à charge d'en donner sur-le-champ communication au conseil, et d'en envoyer immédiatement copie au gouverneur, en y joignant les motifs pour lesquels ils ont cru devoir se dispenser de recourir au conseil.... L'article ajonte que ces règlements et ordonnances cesseront immédiatement d'avoir effet s'ils ne sont confirmés par le conseil à sa plus prochaine réunion.

165. La cour de cassation a, par application de ces dispositions, proclamé la légalité des règlements qui défendent les attroupements de plus de cinq personnes jugés propres à entraîner le trouble et le désordre (cass. 8 juin 1866(1)). Elle a encore jugé qu'il est permis au conseil d'interdire toute manifestation publique pouvant ou ameuter les citoyens, ou amener du désordre, troubler la paix ou la sécurité des habitants, soit qu'elle ait lieu par des chants, cris, bruits, tapages, sérénades, illuminations, cortéges, expositions de drapeaux ou emblèmes, soit de toute autre manière» (cass. 8 août 1870 (2)). Il s'agissait, dans le premier de ces arrêts, d'attroupements n'ayant aucun caractère politique ou religieux, et, dans le second, de manifestations socialistes.

166. On a soutenu que les règlements dont ces

(1) Cass. 8 janvier 1866 (Pas. 1866-1-86). Rapp. M. Van Hoegaerden. L'arrêt décide qu'il appartient à l'autorité chargée de la police d'apprécier si l'attroupement est de nature à troubler la tranquillité publique.

(2) Cass. 8 août 1870 (Pas. 1870-1-447). Rapp. M. de Crassier,

arrêts ont proclamé la légalité, étaient contraires aux art. 14 et 19 de la Constitution.

On vient de rappeler le texte de l'art. 19. Quant à l'art. 14 il dispose que la « liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »

La cour suprême rencontre l'objection tirée de ces articles. Lorsque la liberté de s'assembler ou de manifester publiquement ses opinions, dit-elle, s'exerce sur la voie publique, elle ne saurait se soustraire aux mesures de police qui ont pour objet d'y assurer à tous les habitants la jouissance de la sûreté et de la tranquillité. Elle ajoute que l'article 19 § 1 de la Constitution protége seulement les rassemblements paisibles et non pas les attroupements, c'està-dire les rassemblements tumultueux. Enfin, elle fait observer que les rassemblements en plein air, même paisibles, demeurent, aux termes de l'article 19 § 2 de la Constitution, entièrement soumis aux lois de police. La cour a du reste jugé qu'en principe toutes les dispositions du titre II de la Constitution ont pour seul objet de proclamer les droits des Belges, et ne modifient point la mission confiée aux conseils. communaux de règler la police des lieux publics (1); toutefois ce principe souffre exception en ce qui concerne certaines mesures préventives que nous indiquerons plus loin. (Chap. IV, Sect. I.)

(1) Cass. 11 avril 1864 (Pas. 1864-1-156). Rapp. M. Paquet. Attendu, dit cet arrêt, que l'article 19 de la Constitution porte que « les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, sans que ce droit puisse être soumis à une autorisation préalable »; que cette disposition a pour seul objet, de même que les autres articles du titre II, de proclamer les droits des Belges, et ne modifie point la mission confiée aux conseils communaux de régler la police des lieux publics..."

167.

Faut-il, en matière de culte, déroger aux règles que l'on vient de rappeler? La liberté de l'exercice public. des cultes, consacrée par l'article 14 de la Constitution, est-elle tellement étendue qu'elle échappe à toute mesure de police? Cet article a-t-il virtuellement abrogé, en ce qui concerne les cultes, l'art. 3, tit. XI, du décret des 16-24 août 1790? L'article 94 de la loi communale ne s'applique-t-il pas aux cultes, ou bien, s'il s'y applique, est-il inconstitutionnel?

Ces diverses questions ont été soulevées récemment à propos de deux arrêtés de feu M. Piercot, bourgmestre de Liége.

Le 6 mai 1875, une procession jubilaire, organisée par le clergé du culte catholique, parcourut les rues principales de la ville de Liége.

Cette procession, qui devait être suivie de plusieurs autres, avait, d'après les déclarations des organisateurs, un but purement religieux il ne s'agissait que de permettre aux fidèles de gagner une indulgence plénière. Mais la passion politique, la polémique de la presse, l'agitation des esprits eurent pour effet d'imprimer à cette cérémonie un tout autre caractère. Elle dégénéra en une manifestation en faveur du pouvoir temporel du Saint-Siége, en une protestation contre certains actes du gouvernement italien. De là une vive surexcitation qui s'empara d'une partie de la population attachée aux intérêts de la cour de Rome, et qui fut immédiatement suivie d'une surexcitation non moins ardente dans un sens contraire. C'est ainsi qu'à l'occasion de la première sortie de la procession jubilaire, il se produisit des troubles graves que la police fut impuissante à réprimer. Ces évènements amenèrent le bourgmestre de Liége à prendre, les 7 mai et 17 novembre 1875, des arrêtés prohibant d'autres processions de ce genre.

168. « Le bourgmestre, vu la lettre adressée au bourgmestre par MM. les doyen et curés du quartier de l'Est, en date du 30 avril dernier, et par laquelle ils informent l'autorité que des visites processionnelles, prescrites à l'occasion du jubilé, auront lieu les 6, 9 et 16 mai, et que le cortége, en partant de l'église St Rémacle, se rendra aux églises St Denis, St Jean, St Jacques et à la Cathédrale; »

Voici le texte d'une de ces ordonnances :

« Considérant que ces manifestations, organisées sous le noms de processions jubilaires, ont donné lieu à des rassemblements nombreux et ont occasionné dans la journée du 6 mai, sur plusieurs points du parcours du cortége, des réunions tumultueuses et des désordres graves; >

« Considérant que la police, malgré les mesures de surveillance extraordinaire qui ont été prescrites par le bourgmestre, a été impuissante à prévenir les désordres et à éviter les conflits nombreux qui en ont été la conséquence;...»

« Considérant qu'en présence de cette situation, il ne reste plus à l'autorité d'autres mesures à prendre, pour maintenir la paix publique et prévenir les accidents dont les dites processions jubilaires sont l'occasion, que d'interdire les manifestations publiques dont il s'agit dans la lettre ci-dessus

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« Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article 94 de la loi

communale; » « Arrête

« Art. 1. Les processions jubilaires annoncées par MM. les doyen et curés dans leur lettre du 30 avril dernier pour les 9 et 16 mai sont interdites; »

Art. 2. Les contrevenants au présent arrêté seront punis des peines comminées par la loi ; »

« Art. 3. Le commissaire de police en chef est chargé de faire respecter l'interdiction qui précède. »

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169. Les ordonnances dont il s'agit ayant été confirmées par le conseil, furent l'objet de violentes attaques. On soutint qu'elles étaient inconstitutionnelles. Mais le gouvernement repoussa virtuellement ce reproche en s'abstenant de les annuler.

En effet, l'article 19 de la Constitution est formel. Il déclare que les rassemblements en plein air restent entièrement soumis aux lois de police. Il ne distingue pas entre les diverses espèces de rassemblements; il n'établit aucun privilége en faveur de ceux dont la religion est la cause ou le prétexte.

On a soutenu pourtant qu'il s'occupe exclusivement des rassemblements politiques, parce que, dans les discussions du Congrès, il n'a été question que de ceux-là.

C'est là une erreur. Si la plupart des orateurs du Congrès ont parlé seulement des rassemblements politiques, c'est que ce sont les plus ordinaires, et que cet exemple suffisait pour faire voir la nécessité de l'article 19. Lorsque le texte de la loi est général, on n'est pas autorisé à en restreindre l'étendue sous prétexte que, dans les discussions parlementaires, on ne l'a examiné qu'au point de vue d'un cas particulier (arg. art. 1164 C. civ.).

Il n'a jamais été contesté que l'art. 19 ne dût s'appliquer aux rassemblements provoqués par les réjouissances publiques. Cependant les discussions du Congrès sont également muettes à l'égard de ceux-ci.

Mais si l'on reconnaît que l'article concerne ne fût-ce qu'une seule espèce de rassemblement non politique, l'argument tiré des discussions s'évanouit, l'article reprend le caractère de généralité résultant de son texte, et l'on est contraint d'admettre qu'il régit tous les rassemblements en plein air, quelle qu'en soit la nature;

Mais, dit-on encore, l'article 14 de la Constitution

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