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ment au moment où le roi accepte la Constitution? Ignorezvous que c'est un article de foi parmi les émigrans qu'un noble ne peut plus rester en France sans être déshonoré au delà du Rhin; qu'on menace de dépouiller de la noblesse ceux qui ne se joindront pas aux révoltés?... Et l'on mettrait encore en problème s'il existe une révolte, s'il faut punir les chefs de la révolte! Exigerez-vous des preuves judiciaires de tous ces faits pour poursuivre les princes? Il faudrait donc démentir la France, l'Europe entière; il faudrait, pour l'amour des formes judiciaires, se résoudre à voir consumer par les flammes nos plus belles provinces avant que de punir!

» C'est en observant trop rigoureusement ces formes que les peuples qui se régénèrent perdent le fruit de leur liberté : la mollesse envers les grands coupables encourage et prépare de nouvelles révolutions.

>> Voulez-vous les prévenir? Ce n'est pas en faisant des lois trop minutieuses sur les émigrations; c'est en punissant les chefs des rebelles ; c'est au-delà du Rhin qu'il faut frapper, et non pas en France; une bonne loi sur les émigrations est dans une loi sévère et contre les chefs et contre les traîtres du second ordre.

>> Ou ces chefs effrayés rentreront enfin dans le devoir, ou ils résisteront; s'ils cèdent la tourbe les suivra bientôt et rentrera paisiblement dans ses foyers.

» S'ils résistent, si vous avez le courage de déclarer crime contre la nation tout paiement qui leur serait fait de leurs traitemens, de confisquer leurs biens, d'ordonner qu'on leur fasse leur procès, alors, n'en doutez pas, ils seront bientôt délaissés par leurs courtisans, réduits à la misère et à traîner une vie obscure et errante dans les pays étrangers.

» C'était ainsi, c'était par des mesures aussi rigoureuses que les hommes intrépides qui voulurent dans le siècle dernier affranchir l'Angleterre du despotisme parvinrent à empêcher Charles II de traverser la cause de la liberté : ils ne s'amusèrent pas à faire de petites lois sur les émigrations; mais ils ordonnèrent aux princes étrangers de chasser de leurs états les princes ennemis de leur liberté ; ils les menacèrent de leur vengeance, et le fier Louis XIV était forcé d'expulser lui-même son parent. Charles II, vivant misérablement sur la modique et

clandestine aumône de la France, sur les quêtes faites parmi les serviteurs des Stuarts, était hors d'état de soutenir un parti. Nos ennemis auront le sort de Charles II; ils l'auront constamment, car il n'existera pas de Cromwell pour nous; ils cesseront de nous causer des inquiétudes aussitôt que nous prendrons des mesures énergiques pour leur ôter partout et le feu et le lieu.

» On avait senti dans la précédente Assemblée la nécescité de déployer cette sévérité; mais d'abord on se borna au ci-devant prince de Condé (1); première faute: on en suspendit ensuite l'effet sur je ne sais quelles considérations d'état ; seconde faute, plus grave encore car la liberté ne se perd que par des pas rétrogrades, que par ce mystère qui cache la faiblesse ou la complicité. (Applaudissemens.)

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» Les chefs des rebelles s'aperçurent bientôt que toutes ces lois n'étaient qu'un jeu, que la terreur ou la complaisance dirigeaient le comité diplomatique, et qu'ils pouvaient être criminels impunément : la même idée s'empara de tous les mécontens, et c'est dans cette mollesse que vous trouverez la cause la plus active des prodigieuses émigrations qui vous affligent.

» Ces étranges considérations d'état, qui ont toujours été couvertes du mystère pour le public, n'auraient-elles pas été de simples considérations de famille? Si cela était la cause de la suspension serait une trahison envers l'État même, car le roi d'un peuple libre n'a point de famille, ou plutôt sa première famille est le peuple entier. (Applaudissemens.)

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Craignait-on de frapper un si grand coup? Craignait-on que la France ne fût pas en état de soutenir la confiscation des biens du ci-devant prince de Condé, ne fût pas assez forte pour le repousser s'il attaquait? Ah, messieurs ! dans un siècle, dans une révolution où la France était divisée en plusieurs partis, où le pouvoir des Condé était immense, où ce pouvoir était · soutenu par les talens du prince qui portait ce nom et la nonbreuse suite de ses partisans, Mazarin eut le courage de faire arrêter, d'embastiller les princes de Condé et de Conti..... Et ce qu'un prêtre astucieux, aussi petit dans ses vues que dans ses

(1) Le décret concernant le prince de Condé est du 11 juin 1791 (voyez tome VII, page 241, à la note); mais il avait été annullé par l'amnistie du 14 septembre suivant (voyez tome V, page 80.).

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moyens, entouré d'ennemis puissans, haï et méprisé de la nation entière; ce que ce prêtre, qui n'avait pour lui qu'une femme aveuglée, n'a pas craint d'exécuter, les représentans d'une grande nation, d'une nation qui n'a qu'un sentiment, qu'une âme, que la haine du despotismne, qui réunit à des forces puissantes un concert plus puissant encore; ces représentans auraient redouté un prince qui, à un profond dénuement de toute espèce de moyens, ne joint qu'une réputation honteuse de courtisan, que des hauteurs ridicules! Si de pareilles craintes ont agité les dépositaires de nos droits ils n'étaient pas, je dois le dire, à la hauteur de la révolution. Vous devez vous y élever, messieurs; vous devez faire respecter la Constitution par les rebelles, et surtout par leurs chefs, ou bien elle tombera par le mépris: le néant est là; il attend ou la noblesse ou la Constititution; choisissez : ce décret va vous juger. (Applaudissemens.) Ils vous croient timides, effrayés par l'idée de frapper sur des individus que la précédente Assemblée a épargnés: qu'ils apprennent enfin que vous avez le secret de votre force, et que si l'Assemblée précédente, au milieu des embarras inséparables d'une Constitution nouvelle, a cru devoir se permettre des pardons trop faciles pour des révoltés opiniâtres, ces pardons deviendraient aujourd'hui des crimes et une trahison envers le peuple! La Constitution est achevée; nous avons tous juré de la maintenir les chefs des rebelles doivent donc aussi s'agenouiller devant elle, ou ils doivent être à jamais proscrits. Tout milien serait un parjure, toute moilesse un crime, car vous avez juré la Constitution ou la mort. (Applaudissemens.)

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» Craindriez-vous d'être imprudens en frappant ce coup? C'est la prudence même qui vous l'ordonne : tous vos maux, toutes les calamités qui désolent la France, l'anarchie que sement sans cesse des mécontens, la disparition de votre numéraire, la continuité des émigrations, tout part du foyer de rébellion établi dans le Brabant, et dirigé par les princes français éteignez ce foyer en poursuivant ceux qui le fomentent, en vous attachant opiniåtrément à eux, à eux seuls, et les calamités disparaîtront.

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Continuez à respecter et ce foyer et les princes, et vos malheurs ne feront qu'augmenter. Voulez-vous, par exemple,

que le numéraire se montre enfin, que la confiance, que le crédit reparaissent, lorsqu'on verra quelques mutins braver la volonté de vingt-cinq millions d'hommes! On se dit partout : ou ces mutins sont bien puissans, ou ces millions d'hommes sont bien faibles, ou ceux qui les dirigent sont peu éclairés !....

>>

Quand je dis quelques mutins je ne déprécie pas trop leur parti; que seraient les chefs sans quelques milliers de fous qui les suivent! Détachez d'eux ces hommes égarés, et la nullité de ces princes sera bientôt à nu.

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Craindriez-vous en déployant cette fermeté d'irriter contre vous les puissances étrangères ? J'aborderai dans un moment cette grande question, qui mérite le plus profond examen ; j'espère calmer les terreurs, et y trouver encore un nouveau motif pour la France de prendre l'attitude fière qui lui convient. Enfin, messieurs, une loi contre les chefs des rebelles est une loi praticable, tandis que toute loi sur les émigrations particulières offre mille inconvéniens qui en rendent l'exécution difficile. C'est dans l'exécution de la loi contre les chefs que vous éprouverez le patriotisme du ministère on lui demandait dans la précédente Assemblée la liste des officiers publics émigrés, la liste des pensionnaires du trésor public qui étaient en pays étranger; il s'est toujours rejeté sur l'impossibilité de donner ces titres : plus de pareilles excuses à donner ici; rien de si facile que de poursuivre dix à douze hommes. Quoique toutes les manœuvres de nos ennemis dussent nous dispenser d'avoir aucun égard pour eux, cependant ceux que nous devons au chef de la nation, au dévouement qu'il montre pour la Constitution, doivent nous engager à faire précéder toute poursuite rigoureuse contre les princes d'un dernier avertissement. (Applaudissemens.)

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» Il doit s'adresser également aux fonctionnaires publics qui ont déserté leurs postes.

» Ou ils rentreront, et l'amnistie effacera le passé; ou ils persisteront, et leur procès leur doit être fait, et le châtiment doit les envelopper tous.

>> Eh! quel ménagement doit-on avoir pour des hommes qui non seulement violent leurs sermens, abandonnent leurs postes,

mais qui, pour défendre de misérables pancartes, se proposent de sang froid de venir percer le sein de leurs concitoyens, et d'introduire dans leur patrie des soldats étrangers!

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Quant à la dernière classe des émigrans, à celle qui est la plus nombreuse, celle qui est composée de simples citoyens non fonctionnaires publics, que divers motifs ont fait émigrer en pays étranger, il est nécessaire de faire quelques observations et de rappeler les principes, pour empêcher des lois qui ne doivent jamais souiller le code d'un peuple libre.

» Un malentendu a causé jusqu'à présent la division qui a régné sur cette question entre les patriotes dont les uns veulent et les autres ne veulent pas de loi sur les émigrations; on a perpétuellement confondu les fugitifs rebelles avec les simples émigrans, la loi contre les rebelles avec la loi sur l'émigration. Les politiques philosophes disaient poursuivez, punissez les fonctionnaires publics qui fuient, qui se révoltent, mais laissez aux simples citoyens le droit de s'en aller; empêchez les premiers d'emporter leur or, les munitions de guerre, mais laissez aux autres leurs propriétés..... Il est aisé de prouver que ces politiques avaient raison.

>> La Déclaration des Droits porte que tout homme est libre d'aller et de demeurer où bon lui semble.

» Il en résulte que tout homme mécontent de la Constitution actuelle a le droit d'y renoncer et d'aller s'établir dans un pays dont la Constitution lui convienne mieux.

» Les philosophes n'ont cessé d'invoquer ces maximes sous le despotisme; elles doivent être sacrées, inviolables sous le règne de la liberté, ou la liberté n'est qu'un mot.

la

» Bel éloge pour la liberté, que son égide serve à couvrir ses ennemis mêmes! C'est que la liberté n'est autre chose que justice universelle.

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»Voudrait-on y faire exception en soutenant que ceux quiémigrent sont égarés, qu'on doit les retenir pour leur propre bonheur? Sophisme indigne d'un peuple libre! Car qui vous donne le droit de me retenir? Si je viole la loi vous avez le droit de me punir; mais si je renonce à vivre sous cette loi son empire finit à mon égard; il finit où cesse le droit de citoyen, où le citoyen devient étranger. Qui vous a donné le droit encore

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