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mie politique? Quoi donc! Economie politique, économie de la société, c'est-à-dire production, distribution et consommation des richesses? Mais c'est se moquer; on ne traduit pas avec une liberté pareille. Il ne faut qu'ouvrir le premier Dictionnaire venu d'étymologie pour voir que ces mots d'économie politique ne signifient point ou ne pourraient signifier que de très loin ce qu'on leur fait dire. Le mot économie n'exprime foncièrement que des idées d'ordre, de loi, de règle. L'économie d'une chose, c'est son arrangement en vue d'une certaine fin. On doit dire l'économie de la société, comme on dit l'économie du corps humain, ou bien l'économie du monde. L'économie du corps humain, c'est la manière dont tout y est ordonné pour l'exercice et l'accroissement de ses forces. Et l'économie de la société, qu'est-ce donc, sinon pareillement l'ordre suivant lequel tout y est arrangé pour l'exercice et le développement des forces sociales? Et qu'est-ce que la science de cette économie, sinon la connaissance de ces forces et de leurs moyens, c'est-à-dire la connaissanoe de tous les travaux de la société et celle des conditions auxquelles est subordonnée leur puissance? La richesse, sans doute, est un des résultats de ces travaux ; mais elle n'en est pas et n'en peut pas être le résultat unique. Ils contribuent tous directement et indirectement à enrichir la société; mais ils ne sauraient avoir pour unique effet de la rendre riche : ils contribuent, en même temps et d'une manière non moins assurée, à l'instruire, à la polir, à l'éclairer, à l'ennoblir, à la moraliser. Il n'y a donc pas, à propos des arts qui entrent dans l'économie de la société, à se préoccuper uniquement de la richesse; car les lumières, la politesse, les mœurs, la justice, les bonnes relations, se manifestent en même temps qu'elle, et résultent également de tous les arts qui tendent à la développer, de l'ensemble des arts que l'économie sociale embrasse. Mais ce que l'économie sociale doit se proposer, c'est bien, je le pense, de savoir quels sont ces travaux qui entrent dans l'économie de la société. Elle ne s'occupe spécialement d'aucun ; mais elle cherche à connaître la nature de tous, leurs relations, l'influence qu'ils exercent les uns sur les autres, et les moyens de puissance et de liberté d'action qui leur sont communs. Tel est du moins l'objet

qui lui est assigné dans ce livre; et quoique ce soit là sans nul doute un sujet étendu, ce n'en est pas moins, je le répète, un sujet très spécial, dans lequel il n'y a ni confusion, ni pêle-mêle, et qui n'implique pas le moins du monde la prétention de traiter de omni re.

Il a plu à de certains esprits de penser que le temps n'était pas venu encore de chercher à déterminer ainsi l'ensemble des travaux qui entrent dans l'économie de la scciété, non plus que celui des moyens dans lesquels réside leur force, et que toute tentative de ce genre était nécessairement prématurée. Elle est prématurée, ce ne peut être l'objet d'un doute, si elle a été faite sans succès; mais si, en effet, après avoir exposé, dans l'analyse d'une longue suite d'états sociaux, l'origine et les développements successifs de la société industrielle, j'avais su montrer, avec un degré suffisant de sagacité et justesse, l'ensemble des travaux qui la constituent et celui des moyens sous l'influence desquels ils agissent avec le plus de liberté et de puissance; si j'avais su faire ensuite une application heureuse de ces moyens à tous les arts qui participent aux fonctions vitales de la société ; si j'avais su exposer clairement enfin les rapports économiques qu'établissent, entre tous ceux qui les exercent, les associations, les échanges, les transmissions héréditaires de biens, et l'influence active et féconde que ces derniers actes exercent sur le tout, peut-être l'indulgence du lecteur penserait-elle que l'essai n'a pas été trop hâtif. De savoir, après cela, s'il n'a pas été le fruit d'un long et patient effort, qu'importe? et que fait au lecteur la peine que j'ai pu prendre? Pussé-je en avoir pris assez pour lui épargner, à lui, toute fatigue, et faire qu'il me pût suivre sans aucun effort!

Bien que j'aie considéré la société dans son ensemble, c'est-à-dire dans la généralité de ses travaux et de ses fonctions, mon travail, ai-je besoin de le dire, n'a rien de commun avec celui des écrivains qu'on désigne aujourd'hui par le nom de socialistes, écrivains qui prétendent tous soumettre la société à des formes artificielles, généraliser l'organisation de ses travaux, et, de façon ou d'autre, en ramener la direction à un même centre. On sait de reste à quel point ces doctrines sont antipathiques aux dispositions habituelles de mon esprit. Je prends la société telle que ses instincts l'ont

faite, telle qu'elle est foncièrement constituée, laissant tous les travaux à leur naturelle indépendance, unis seulement par les rapports volontaires qui les lient, et visant de loin à remplacer par de simples répressions judiciaires les tutelles administratives auxquelles un grand nombre est encore soumis.

L'ouvrage donc est très ouvertement dirigé contre les tendances prétendues organisatrices de notre temps. Il n'admet pas que les pouvoirs publics eussent mission d'assigner à la société une fin quelconque, ni de l'organiser en vue de la fin qu'ils prétendaient lui assigner. Il ne leur reconnaît le droit d'intervenir dans les travaux et les transactions qui constituent sa vie, que pour réprimer ce qu'il peut s'y mêler d'actions punissables, et, tout en ne cessant de réclamer, dans un intérêt si sensible et si important, l'intervention assidue d'une police vigilante et fermement répressive, il reste d'ailleurs fidèle aux traditions libérales du passé, et poursuit l'œuvre d'affranchissement commencée depuis tant de siècles, et qui tend à dérober, de plus en plus, les existences individuelles à l'action illégitime du corps social ou de ses délégués.

Je ne saurais éviter d'ajouter que l'ouvrage est très entier dans ses principes. Je ne dis point qu'il ait beaucoup osé : il ne renferme rien que de très simple; mais la vérité scientifique y est partout scrupuleusement respectée. J'espère que la chose aura été possible, sans que je paraisse avoir manqué d'habileté ou de mesure. J'ai mis en effet de grands soins à distinguer partout, et en toutes choses, de la vérité théorique la vérité susceptible d'application, et, en montrant le but qu'il fallait atteindre, de marquer avec quelles préparations il en fallait approcher, et quel compte il y avait à tenir de la force et de l'étendue des résistances.

J'ai donc la confiance que j'aurai su concilier constamment avec les nécessités de la pratique, le respect inviolable dû à la vérité de théorie, et que ce travail ne se recommandera pas moins par la sagesse des applications, que par l'intégrité des doctrines. Je ne crois pas qu'il soit possible de sentir plus vivement que je ne fais le besoin impérieux que la liberté a de se régler, de mesurer ses réformes, et d'attendre, avec une patience qui n'est pas d'ailleu s obligée de de

1559, Apr. 29.

Bought with the Thomas, Lee

Brookline.

vols 1-3.

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