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gence, de déployer le même fonds d'industrie, de se montrer au même point capables d'accroître par l'art leur puissance naturelle, en un mot de faire de leurs forces un usage aussi ingénieux, aussi savant, aussi varié, aussi étendu, surtout aussi sensiblement progressif; et si, dans le nombre des différences qui distinguent les diverses variétés de l'espèce humaine, il est une chose qui soit particulièrement de nature à frapper, c'est cette supériorité d'intelligence que manifeste dans l'ensemble de ses travaux et de ses œuvres la variété caucasienne.

La conséquence à tirer de ces remarques, en les supposant fondées, n'est sûrement pas que celle-ci peut se passer d'être juste envers les autres, et qu'au lieu d'employer son intelligence à étendre les bienfaits de la civilisation, elle doit la faire servir à écraser l'ignorance et la faiblesse; que son rôle est d'achever de rendre misérables les races qui ont déjà le malheur de lui être inférieures; qu'elle a bien fait d'établir la traite et l'esclavage des Africains; qu'elle avait eu raison de commencer par massacrer les indigènes de l'Amérique; qu'elle a fait preuve de sagacité quand elle a mis en question si les Indiens étaient des hommes, et s'il ne fallait pas des bulles du pape pour les traiter comme tels; qu'elle s'est montrée bien habile quand elle a condamné à une minorité perpétuelle le petit nombre de ces malheureux qu'elle n'avait pas exterminés (1).... Si quelque chose pouvait rendre

(1) Dans un siècle où l'on discuta formellement si les Indiens étaient des étres raisomables, dit M. de Humboldt, on crut leur accorder un bienfait en les traitant comme des mineurs, en les mettant à perpétuité sous la tutelle des blancs, et en déclarant nul tout acte signé par un natif de la race cuivrée, toute obligation que ce natif contracterait audessus de la somme de 15 francs. Ces lois se maintiennent dans leur

douteuse la supériorité de son esprit en même temps que celle de ses affections morales, c'est bien, assurément, la conduite qu'elle a tenue envers ses parentes d'Afrique et d'Amérique, conduite non-seulement odieuse, inhumaine, mais singulièrement absurde, et qui peut devenir aussi désastreuse pour elle-même qu'elle l'a été pour les peuples qui en ont ressenti les premiers effets.

Tout ce que je veux induire de l'infériorité des races de couleur, c'est qu'étant, au moins dans leur état actuel, moins susceptibles de culture que la race blanche, elles sont moins susceptibles de liberté. Je n'ai pas la moindre envie de flatter la vanité de celle-ci; encore moins voudrais-je offenser la dignité de celles-là. Mon seul dessein est de constater une vérité dont la connaissance importe à toutes, à savoir que la liberté des hommes dépend, avant toutes choses, de la perfection de leurs facultés. Or, les faits rendent, je crois, cette vérité manifeste. La civilisation supérieure de la race blanche ne procède d'aucun hasard heureux; elle n'est pas le fruit de circonstances locales plus favorables : j'ai commencé à le faire voir dans ce second livre (1), et on le verra mieux dans le livre suivant (2). Elle résulte donc de la supériorité naturelle ou acquise de sa conformation. Par cela seul que cette race est douée d'organes plus parfaits, elle peut tirer un plus grand parti de son intelligence; elle est, plus qu'une autre, capable d'exercer une action utile et puissante sur la nature

pleine vigueur; elles mettent des barrières insurmontables entre les Indiens et les autres castes dont le mélange est généralement prohibé. Des milliers d'habitants ne peuvent faire des contrats valables ( no pueden tratar y contratar). Condamnés à une minorité perpétuelle, ils deviennent à charge à eux-mêmes et à l'État dans lequel ils vivent.» (Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, t. I, p. 433.

() V. ci-dessus p. 59 et 60.

(2) V. plus bas, p. 77 et suiv.

et sur elle-même, et de porter dans les travaux et les fonctions de la société les connaissances scientifiques, et les habitudes morales qui peuvent en faciliter l'exercice et le faire fructifier.

Je ne dois pas laisser ignorer que, depuis la publication de la première édition de ce volume, ces idées sur la prééminence de la race européenne ont été fort attaquées ('). On a observé qu'il était extrêmement difficile de discerner l'influence de la race, au milieu de toutes celles qu'exercent sur les progrès d'un peuple les circonstances locales où il se trouve placé, et tout à la fois le langage, les lois, les mœurs, la religion, le gouvernement, etc. Mais prenons garde que rien, au contraire, ne devrait être plus propre que le gouvernement, la religion, les lois, les mœurs, à montrer l'influence de la race; car rien de tout cela n'existant antérieurement à toute culture et à tout développement, il est évident que ces choses ne peuvent être que ce que les a faites le génie du peuple qui les a produites, sous l'influence, si l'on veut, des circonstances extérieures qui l'ont inspiré. De même qu'on reconnaît un arbre surtout à son fruit, de même le caractère des arts, de la langue, de la religion, des mœurs, du gouvernement, de tout ce qui constitue la civilisation d'un pays, est particulièrement propre à montrer de quelle race d'hommes cette civilisation est l'ouvrage. Sans doute, il n'est pas aussi aisé de juger de la race par la civilisation que de l'arbre à l'inspection du fruit qu'il porte; mais, loin que la civilisation d'un peuple empêche de voir comment il a été influencé par sa nature, il semble que rien ne doit plus contribuer que ses œuvres à révéler la nature et l'étendue de ses facultés.

(') Voir notamment le Traité de Législation de M. Ch. Comte, t. III, liv. v, ch. 10, 11, 12 et 13.

On n'a pas approuvé qu'en cherchant à faire remarquer ce qu'il y a de divers dans les races, et leur plus ou moins de perfectibilité, j'eusse fait particulièrement ressortir les traits favorables à l'une d'elles, et l'on a eu raison si, en relatant les faits qui paraissent établir la supériorité intellectuelle de la race blanche, j'ai eu l'air de faire son apologie. Mais, s'il faut s'abstenir de prendre parti pour une race, on ne doit pas éviter avec moins de soin de paraître plaider contre elle, et il ne serait certainement pas plus philosophique de la déprimer, que de l'exalter. L'essentiel est d'écarter toute préoccupation de ces recherches, et, partant, il n'y a pas à s'inquiéter d'avance des résultats que pourra avoir telle ou telle solution; il n'y a pas à dire, par exemple, que si toutes les races ne sont pas susceptibles de la même culture, plusieurs conséquences fâcheuses vont se manifester; il faut, sans doute, mettre le plus grand soin à examiner si la chose est exacte; mais il serait peu scientifique de commencer, avant de savoir si le fait est vrai, par énumérer tout ce qu'a d'affligeant la thèse de ceux qui le regardent comme véritable. Ce ne serait pas le moyen de préparer le lecteur à porter dans cette étude un esprit dégagé de prévention.

Je conviens que de l'inégale perfectibilité des races il peut résulter plusieurs choses assez tristes; par exemple, l'impossibilité de faire que toutes deviennent également industrieuses, riches, éclairées, morales, heureuses; ou bien d'empêcher que les plus fortes n'abusent souvent de leur prééminence, qu'elles n'en abusent longtemps, qu'elles n'en abusent jusqu'à ce qu'elles soient assez avancées pour comprendre que l'injustice dégrade celui qui l'exerce, et que l'oppression ne nuit pas seulement aux opprimés. Mais de l'inégalité naturelle des individus, il semblerait résulter aussi, dans chaque race et dans chaque nation, des choses mal

heureusement assez fâcheuses (') Est-ce une raison néanmoins pour élever des doutes sur cette inégalité? Non sans doute. De même donc que les inconvénients qu'entraîne l'inégalité naturelle des individus, n'empêche pas de reconnaître qu'ils naissent avec des facultés très inégales, de même les suites plus ou moins graves que peut avoir l'inégalité des races, n'est pas non plus une raison pour fermer les yeux sur cette inégalité, si elle a en effet quelque chose de réel.

J'ai quelque peine à comprendre pourquoi l'on s'est récrié si fortement contre cette idée de l'inégalité des races. Elle n'offre pourtant rien, cela est sensible, de plus étrange et de plus paradoxal que celle de l'inégalité des individus. Si un individu peut différer d'un autre, on ne voit pas pourquoi dix individus ne pourraient pas différer de dix autres, mille de mille autres. Si un homme peut avoir sa physionomie, son caractère, son tour d'esprit particulier, on ne voit pas pourquoi ce qu'il y a de plus saillant dans cet esprit, ce caractère, cette physionomie, ne pourrait pas être commun à une multitude d'hommes. Non-seulement l'inégalité des races n'a rien de plus extraordinaire que celle des individus, mais la première de ces inégalités se présente comme une conséquence naturelle de la seconde. Toutes les races en effet ayant commencé par des individus, il est clair que si ces individus ont pu différer, leur postérité a pu naître différente; que si les premiers auteurs de chaque race ont pu avoir, chacun de leur côté, leur type particulier de figure, d'intelligence, de caractère, ces différences originaires ont pu continuer à se reproduire dans les races qui sont sorties d'eux. Il a suffi pour cela que ces races ne se mêlassent pas; et des causes malheureusement trop nombreuses ont concouru à prévenir les mé

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