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pour ses fidèles gardes, regardait souvent par la fenêtre dans la cour, où s'agitait une multitude immense. Tout à coup une balle, partie de la cour, frappe à quelque distance de la fenêtre. La Luzerne, ministre de la marine, accourt pour se placer entre la reine et la fenêtre. « Je ne veux pas que vous restiez là, lui dit-elle avec bonté; « le roi a besoin de conserver un serviteur tel que vous. » Elle se retira dans une embrasure. A la droite de la reine se tenait Madame Elisabeth; à sa gauche était Madame Royale: elle était en âge de comprendre ce qui se passait, et elle pleurait; le dauphin, monté sur une chaise, jouait avec les cheveux de sa sœur et répétait souvent : « Maman, j'ai faim. Il faut, » lui disait sa mère, « attendre la fin du tumulte. »

Que faisait l'Assemblée ? A la nouvelle de l'invasion du château, elle s'était réunie, et plusieurs membres demandaient qu'elle allât tout entière au secours du roi. Mirabeau ne le voulut pas (j'ai dit quels desseins on lui attribuait), et, selon l'usage, la voix de Mirabeau fut obéie. On envoya seulement une députation de trente-six membres à laquelle une foule d'autres se joignirent, et parmi ceuxci le duc d'Orléans.

Le duc d'Orléans reçut des personnes qui entouraient le roi un accueil glacial. Il n'en parut pas déconcerté, et la reine s'étant avancée, il lui offrit son bras, qu'elle refusa par un regard fier et indigné. En ce moment, on portait en triomphe dans la cour les têtes sanglantes des gardes du corps, et l'on dit que Philippe-Joseph, tant il tenait à sa popularité, ne détourna pas les yeux!

L'agitation croissait sans cesse ; il était neuf heures, et, dans la cour, la multitude, les gardes nationaux, tout le monde, les honnêtes gens comme les brigands, les uns dans une intention suspecte, les autres pour mettre fin à tant d'horreurs, voulaient que le roi vînt à Paris. D'abord on demanda à le voir. « Vous allez le voir, dit Lafayette,

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qui venait de descendre; et, jetant sur le duc d'Orléans, qui se trouvait alors près de lui, un regard sévère : « Des gens malintentionnés ont un grand intérêt à soulever le peuple; je les connais bien; je les dévoilerai quand il sera temps. >>

Le roi paraît au balcon : « A Paris! » s'écrient toutes les voix; « le roi à Paris! » Au milieu de ce tumulte, impossible de faire entendre un oui, un non. Le roi, avec son inaltérable bonté, fait de la tête un signe de consentement. Alors éclate une explosion de joie; et quand les cris de Vive le roi se sont calmés, on demande que la reine vienne au balcon.

Marie-Antoinette se présente, tenant ses deux enfants par la main. La foule s'écrie: « La reine! point d'enfants! " Ces mots étaient effrayants; mais la reine était intrépide. Elle se retire avec les enfants; puis elle reparaît seule sur le balcon, avec un air si majestueux et si calme, que la multitude fut frappée de respect, et que ceux-là même peut-être qui, deux heures auparavant, demandaient sa tête, s'écrièrent: « Vive la reine!» Lafayette, s'approchant d'elle « Que va faire Votre Majesté? - Accompagner le roi.» Lafayette se place auprès d'elle sur le balcon, et, pour faire voir au peuple que la réconciliation est entière, il s'incline devant la reine, et lui baise respectueusement la main. Les applaudissements éclatent. Enfin le silence se rétablit. Le roi, reparaissant sur le balcon, renouvelle au peuple sa promesse : « J'irai à Paris, ditil; « j'irai avec ma femme et mes enfants. »

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Il fallut se presser. On ne laissa pas à la famille royale le temps de faire de longs préparatifs. Louis XVI dut s'arracher à la hâte et pour toujours à ce palais sans égal dans le monde, à ces jardins si riants et si splendides, à ces bois immenses où il faisait de longues chasses, son seul plaisir. A midi, une salve d'artillerie annonça ce malheureux départ. Mirabeau, à qui l'on prête d'étranges

propos sur la pusillanimité du duc d'Orléans, qui avait fait échouer les projets qu'on leur attribue à tous deux, vit dans ce départ le triomphe assuré de la révolution, non plus sans Louis XVI, mais avec Louis XVI. Il proposa, et l'Assemblée décréta que l'Assemblée nationale était inséparable de la personne du roi, et qu'en conséquence elle le suivrait incessamment. Elle nomma cent de ses membres pour escorter le roi jusqu'à Paris.

Mais ni la présence de ces cent membres, ni l'autorité de Lafayette ne purent empêcher les hordes de célébrer à leur manière ce qu'elles regardaient comme leur victoire. Ces hordes précédaient le cortége: elles portaient au bout des piques les têtes des gardes du corps, autour desquelles se formaient de temps en temps des danses affreuses, au chant du Ça ira. Puis (ceci du moins n'est que grotesque), venaient les troupes de femmes, quelques-unes à cheval sur des canons ou assises sur l'avant-train des bagages de la cour; et se croyant sûres désormais d'avoir de bon pain, et à bon marché, elles disaient, en parlant du roi, de la reine et du dauphin : « Nous amenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. » Les hommes mêlés à ces femmes portaient de hautes branches de peuplier; on eût dit une forêt qui se mouvait, entremêlée de fusils et de piques. Le peuplier, à cause de la ressemblance de son nom avec celui de peuple, était alors l'arbre favori; on plantait solennellement dans chaque commune au moins un de ces arbres, qu'on appelait l'arbre de la liberté.

Le cortége, composé de la milice parisienne et de quelques gardes du corps sans armes, paraissait triste. Lafayette, pâle, s'avançait sombre et pensif. La population entière de Paris formait une double haie depuis Passy jusqu'à l'hôtel de ville. Le cri de Vive la nation! était à peu près le seul qui se fit entendre. La voiture royale s'avançait lentement; le roi paraissait ferme et tranquille; la reine avait l'air aussi majestueux que si elle eût été en

tourée comme autrefois d'une garde dévouée et d'un peuple fidèle. Madame Élisabeth avait, comme toujours, l'air d'un ange descendu des cieux.

Sur la terrasse de Passy, Louis-Philippe d'Orléans, âgé ce jour-là même de quinze ans accomplis, regardait passer le cortège.

Le roi et sa famille s'installèrent aux Tuileries, où la garde nationale parisienne fut leur seule garde, c'est-àdire que Lafayette fut à Paris plus roi que le roi. Il n'abusa jamais de sa position; mais, comme le véritable roi, ce roi de circonstance fit rarement le bien qu'il voulut.

En entrant aux Tuileries, Louis XVI et Marie-Antoinette étaient tristes, mais non découragés; ils espéraient des jours plus heureux. Madame Elisabeth, résignée et ferme, ne s'abusait pas sur les périls qu'elle avait voulu braver. Elle écrivit à une amie : « On nous a ramenés aux Tuileries; nous y sommes prisonniers; mon frère ne le croit pas, mais le emps le lui apprendra; nous sommes perdus. »

La reine avait bien recommandé au dauphin de parler obligeamment aux gardes nationaux qui se trouveraient rapprochés de lui. L'aimable enfant n'y manquait pas; et, quand il avait adressé à l'un d'eux quelques paroles gracieuses, il venait dire à l'oreille de sa mère : « Ai-je bien dit? » Lorsque des officiers de la garde nationale le conduisaient à son petit jardin sur la terrasse du bord de l'eau, il saluait tout le monde avec grâce. On l'habillait en garde national, et la population paraissait beaucoup l'aimer.

Louis-Stanislas, Monsieur, occupa le palais du Luxembourg, et, dans ce premier moment d'ivresse, on l'appelait le prince citoyen. Louis-Stanislas, dans ces terribles épreuves, se ménageait habilement, savait à propos se montrer et s'effacer, et appelait à son aide toutes les ressources du rare esprit dont il était doué.

Versailles, par le départ du roi et de la cour, avait reçu un coup dont il ne s'est jamais relevé; et son palais, lé plus magnifique de l'univers, serait maintenant en ruines, si, quarante ans plus tard, Louis-Philippe ne l'avait restauré pour en faire un musée à la gloire de la France.

Quant aux forfaits qui avaient souillé la matinée du 6 octobre, la justice en fit l'objet d'une procédure longue et laborieuse; mais le nom de Mirabeau, obscurément mêlé à un complot que l'on croyait avoir coïncidé avec ces crimes, fut un empêchement à ce qu'on voulût aller plus loin. Le Châtelet ayant demandé à l'Assemblée l'autorisation de comprendre dans ses poursuites Mirabeau et le duc d'Orléans, Mirabeau parla à la tribune pour sa propre défense, avec son éloquence accoutumée, et assez médiocrement pour celle de Philippe-Joseph. L'Assemblée, en refusant l'autorisation, les innocenta tous deux. La procédure n'eut pas d'autre suite.

VII

TRANSLATION de L'assemblÉE A PARIS. — SERMENT CIVIQUE.

Dès le lendemain du 6 octobre, Mounier ne voulut plus présider l'Assemblée; il ne voulut plus même en faire partie, et retourna en Dauphiné. Indignés de voir la royauté avilie et violentée, Lally-Tolendal et Bergasse s'éloignérent également.

L'Assemblée s'étant déclarée inséparable de la personne du roi, on préparait à la hâte son installation à Paris; et en attendant, le président recevait chaque jour, de la part des membres, de nombreuses demandes de passe-ports. Beaucoup de députés, surtout parmi les ecclésiastiques, s'épouvantaient de l'idée d'aller à Paris. L'abbé Grégoire voulait, et beaucoup de députés voulaient, comme lui,

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