Page images
PDF
EPUB

elle espéra profiter de la circonstance pour l'y contraindre. Tout délai, toute résistance de la part de la royauté, lui étaient suspects. Le roi lui écrivit, dans la matinée du même jour, que, sur quelques-uns des articles votés, il désirait réfléchir encore; et il ajoutait : « La déclaration des droits de l'homme contient de très-bonnes maximes, mais elle renferme des principes susceptibles d'explications, et même d'interprétations différentes, qui ne peuvent être justement appréciés qu'au moment où leur véritable sens sera fixé par les lois auxquelles la déclaration servira de base. >>

[ocr errors]

Dans ces scrupules d'un roi consciencieux et sage, ni la reine ni les conspirations de palais n'étaient évidemment pour rien. Et cependant telle était l'excitation des esprits, que l'Assemblée se montra irritée. « C'est là, dit un membre, « une réponse ambiguë et insidieuse. La réponse du roi, » dit Robespierre, « est destructive, nonseulement de toute constitution, mais encore du droit national à avoir une constitution. Est-ce au pouvoir exécutif à critiquer le pouvoir constituant, de qui il

émane? »

Péthion et Mirabeau dénoncent à cette occasion ce qu'ils appellent l'orgie des gardes du corps; ils parlent de conspiration contre l'Assemblée, contre la nation. « Expliquez-vous,» s'écrie-t-on du côté droit; dites quels sont les crimes qui menacent l'Assemblée; nommez les coupables. Je les nommerai,» répond Mirabeau, « si l'Assemblée déclare que la personne du roi est seule inviolable, et que toute autre personne, quelle qu'elle soit, est responsable devant la loi. »

C'était désigner la reine, et c'est la reine aussi que menaçait l'émeute parisienne, dont on pouvait déjà entendre les clameurs lointaines. Mirabeau fait une proposition, qui est sur-le-champ adoptée. L'Assemblée ordonne à son président d'aller à l'instant même supplier le roi de

donner aux articles de la constitution et à la déclaration son adhésion pure et simple. Le roi refusa.

L'émeute parisienne s'approchait et allait lui présenter cette supplication à sa manière.

Voici comme tout avait été préparé.

Pendant toute la journée précédente, Danton, Desmoulins, Marat, avaient personnellement, et par leurs émissaires, travaillé la population des faubourgs. Marat était allé à Versailles, en était revenu à la hâte, et avait raconté aux autres meneurs ce qu'il avait, disait-il, vu de ses yeux, « la joie insolente des conspirateurs, l'imminence de l'explosion contre-révolutionnaire, les gardes du corps avides de se baigner dans le sang du peuple. On allait commencer par affamer Paris. » La nuit du 4 au 5 fut bien employée par lui et par les autres.

Le lundi 5, dès la pointe du jour, une troupe de femmes, sortie des faubourgs, se répand dans la ville comme un torrent, en criant : « Du pain! du pain! » Elles fondent sur l'hôtel de ville; un bataillon de la garde nationale, qui veut leur en interdire l'entrée, est accablé par elles d'une grêle de pierres, et, ne voulant pas faire usage de ses armes, se replie et leur ouvre passage.

Elles se précipitent dans les salles, elles essayent d'enfoncer le magasin d'armes; vain effort! mais tout était prévu à leur aide accourent en foule des hommes munis de haches, de piques, de marteaux, de barres de fer; les portes sont enfoncées, les armes sont pillées, deux canons sont enlevés.

Les femmes s'emparent des armes; et ayant à leur tête un homme qui avait eu une grande part à la journée du 14 juillet, escortées d'autres hommes dont plusieurs étaient des brigands qui comptaient exploiter l'émeute, elles abandonnent l'hôtel de ville et prennent la route de Versailles. Elles étaient au nombre de sept à huit mille, armées de fusils, de pistolets, de lances, de bâtons

ferrés, parées de rubans de diverses couleurs, et forçaient de les accompagner les femmes qu'elles trouvaient sur leur passage. De nombreux tambours, en avant des divers détachements, battaient la marche. Cette marche fut très-lente, et retardée par divers obstacles.

Cependant à tous les clochers de Paris le tocsin sonnait, la générale battait, la garde nationale prenait les armes; les membres de la municipalité se rendent en toute hâte dans leur hôtel dévasté, et délibèrent. Une foule immense inonde la place et les rues adjacentes. Les bataillons de la garde nationale arrivent de tous côtés et se forment en brigades et en divisions sous les fenêtres de l'hôtel. Dans la garde nationale comme dans la foule, l'impatience de voir la municipalité prendre une décision était extrême; et ceux qui voulaient empêcher les crimes, et ceux qui, au fond de l'âme, souhaitaient qu'on les laissât s'accomplir, désiraient également que la garde nationale partit pour Versailles et profitât de l'émeute, ou pour forcer le roi de s'enfuir, ou pour l'amener à Paris: tel était le cri universel.

Les municipaux délibéraient au milieu d'une confusion inexprimable, et ne décidaient rien. Lafayette, à cheval et entouré de son état-major, à la tête de l'armée parisienne, attendait des ordres. Il était évidemment accablé de soucis. Les gardes nationaux poussaient tous le cri: « A Versailles ! à Versailles ! » Le général descend de cheval, parcourt les rangs, tâche de calmer ses soldats et leur rappelle leur serment. Sa voix, jusque-là si bien écoutée, si bien obéie, se perd au milieu des cris : « A Versailles! à Versailles ! » qui redoublent sans cesse.

Cependant le corps municipal délibérait toujours, sans pouvoir rien décider. L'effervescence augmentait avec une rapidité effrayante. Des faubourgs Saint-Antoine et SaintMarceau accouraient des bandes armées de piques, de broches, de haches; et aux cris qu'on avait entendus

jusque-là commençaient à se mêler des cris sinistres qui se prolongeaient avec un horrible murmure. On ne savait ce qui allait arriver si une détermination n'était pas prise promptement. La garde nationale, aussi inquiète qu'irritée, veut que son chef, sans attendre plus longtemps, donne l'ordre du départ. Lafayette, plusieurs fois menacé, et même couché en joue, refuse de donner l'ordre tant qu'il ne l'aura pas reçu.

Enfin, la municipalité s'est décidée : elle enjoint à Lafayette de partir pour Versailles avec l'armée parisienne. Un vivat universel accueille cette décision. Il était alors cinq heures du soir. Lafayette part avec vingt mille hommes et vingt pièces de canon, et la ville redevient silencieuse. Toute la nuit elle resta illuminée, et veilla, attendant avec une impatience pleine d'anxiété le retour de cette élite de ses citoyens.

C'est avec des sentiments généralement hostiles à la reine, à la cour, et même à Louis XVI, que les gardes nationaux étaient partis. Le forcer d'abdiquer ou de fuir, avoir, mème au prix de la guerre civile, un régent ou un roi dévoué à la révolution, telle était la pensée générale. Mais pendant les haltes que nécessita cette marche, Lafayette s'entretint continuellement avec ses soldats, usa en faveur du roi de toute son influence sur eux, et parvint à calmer entièrement leurs esprits.

Cependant les femmes et les hommes suspects qui les escortaient, partis longtemps auparavant, étaient déjà bien près de Versailles.

Le roi, averti, réunit son conseil; c'était un moment décisif et suprême pour Louis, pour sa famille, pour la France, et, on peut le dire, pour les destinées de l'Europe entière. On ne mit pas en question s'il fallait employer la force contre une émeute dont l'avant-garde était composée de femmes. La question posée fut celle-ci : « Le roi doit-il partir? » Une seule voix dit « oui. » Quelques conseillers

firent une réponse ambigüe. Necker s'opposa vivement au départ. Le roi, en proie à l'irrésolution, se promenait à grands pas dans son appartement. « Si je quitte Versailles, » disait-il, « ils couronneront le duc d'Orléans. » Il voulait faire partir la reine : « Non, » dit-elle, « je ne vous quitterai jamais! Eh bien! envoyons au moins loin de Versailles les deux enfants.

Prenez-y garde,

[ocr errors]

- La

s'écria Necker, « cela amènerait la guerre civile ! guerre civile!» dit Louis XVI; « par-dessus tout je veux l'éviter. On l'entendit répéter plusieurs fois : « Je ne veux pas qu'un seul homme périsse pour ma cause. »

Tandis que le roi était en proie à ces incertitudes, l'émeute arrivait à Versailles, en poussant mille cris, celuici surtout : « Mort à l'Autrichienne! c'est elle qui nous fait mourir de faim! Nous apporterons sa tête à Paris! »

Déjà le bruit de la prochaine arrivée des bandes commençait à circuler dans l'Assemblée. Mirabeau s'approche de Mounier, qui présidait, et lui dit à l'oreille : « Paris marche sur nous. Trouvez-vous mal, sortez. Puis courez au château dire au roi d'accepter purement et simplement. - Paris marche,» répond Mounier, « tant mieux. Qu'on nous tue tous, mais tous, entendez-vous? La France y gagnera. Le mot est joli,» dit Mirabeau en regagnant sa place.

[ocr errors]
[ocr errors]

Les bandes arrivent, elles remplissent les salles de l'Assemblée, qu'ébranlent leurs clameurs; et sur leurs instances, l'Assemblée envoie une députation au roi, Mounier en tête. La députation se fraye un passage à travers les flots de l'émeute, qui ne cessait de crier : « Du pain! du pain! - Rentrez donc dans l'ordre,» leur dit intrépidement Mounier; « c'est le seul moyen d'avoir du pain! »

Toutes les grilles du château avaient été fermées. On les ouvre à la députation, et plusieurs femmes entrent avec elle. Le roi reçoit la députation, promet l'abondance

« PreviousContinue »