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tué lui-même d'un coup de pistolet; que Verdun avait ouvert ses portes, et que les jeunes filles de cette ville (fatale démarche qui devait leur coûter la vie) étaient allées présenter au roi de Prusse des dragées et des fleurs; que les Prussiens venaient d'entrer en Champagne et marchaient sur Paris.

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Immédiatement se réunit le comité de défense générale, composé des ministres et d'un certain nombre de députés. On propose de faire replier l'armée, pour qu'elle livre bataille auprès de Paris; d'autres veulent que le gouvernement et l'Assemblée se retirent à Saumur : « Non, dit Danton, « la France est dans Paris; si vous abandonnez Paris à l'étranger, vous vous livrez et vous lui livrez la France. C'est dans Paris qu'il faut se maintenir par tous les moyens, mais il ne faut pas songer à combattre sous les murs de la capitale : le 10 août a divisé la France en deux partis, dont l'un est attaché à la royauté, et l'autre veut la république. Celui-ci est le seul sur lequel vous puissiez compter pour combattre. L'autre se refusera à marcher; il agitera Paris en faveur de l'étranger, tandis que vos défenseurs, placés entre deux feux, se feront tuer pour le repousser. Mon avis est que, pour déconcerter ses mesures et arrêter l'ennemi, il faut faire peur aux royalistes. Oui, vous dis-je, leur faire peur!!! »

Le comité ne répondit rien, quoiqu'il se doutât peutêtre de ce que Danton allait faire, et l'on se sépara dans l'attente de quelque terrible événement. Danton courut à la Commune.

C'était le 1er septembre au soir.

La Commune fait avertir l'Assemblée que, vu l'approche de l'ennemi, on va sonner le tocsin, tirer le canon d'alarme et fermer tout à fait les barrières. L'Assemblée applaudit.

Il est à croire que, dans ce moment, Vergniaud, Brissot, Gensonné et leurs amis étaient indignés et frappés de stupeur; ils ne purent s'opposer à rien.

XXI

JOURNÉES DE septembre 1792.

A la Commune, que dit, que fit Danton?... Ici un voile s'étend sur ses actes et sur ceux des principaux chefs de la démagogie. Quelle est la part qui revient à chacun dans les faits qui s'accomplirent? à Danton, surtout, qui avait dit: « Que faut-il pour réussir en révolution? de l'audace, de l'audace, et toujours de l'audace! >>

On ne peut le dire avec certitude.

Quoi qu'il en soit, le lendemain, 2 septembre, et les jours suivants, les personnes que la Commune de Paris avait fait arrêter et avait entassées dans les prisons, y furent égorgées.

Les assassins, en petit nombre, enfonçaient les portes des prisons, ou même on les leur ouvrait; ils se faisaient amener les prisonniers, et les tuaient, à coups de piques, ou autrement. Une foule fort nombreuse regardait.

Ces faits eurent lieu simultanément ou successivement à l'Abbaye, à la Force, à la Conciergerie, à Sainte-Pélagie, au Châtelet, et dans tous les couvents et hôpitaux que l'on avait convertis en prisons, les Carmes, Saint-Firmin, la Salpêtrière, Bicêtre. Pendant ces exécutions, le tocsin ne cessait de sonner; de quart d'heure en quart d'heure tonnait le canon d'alarme; les barrières de Paris restaient fermées.

Ceux qui se trouvaient détenus pour des causes non politiques furent soigneusement exceptés du carnage. Dès le 2 au matin, la municipalité envoya dans les prisons quelques-uns de ses membres, sous prétexte d'en faire sortir les personnes détenues pour dettes, lesquelles (dit l'arrêté) étant victimes de l'inégalité des fortunes, devaient être immédiatement rendues à la liberté. Ces membres,

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délégués ou pour cet objet ou pour un autre, se rendirent dans toutes les prisons, portant l'écharpe municipale. L'un d'eux, Billaud-Varennes, demeura assez longtemps devant la porte de l'Abbaye. On le voyait, un pied dans le sang, l'autre appuyé sur un cadavre, encourager les meurtriers en leur annonçant des récompenses. « Braves citoyens, disait-il, « quiconque aura travaillé dans les prisons recevra, au nom de la Commune, un bon d'un louis d'or. »

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Ces bons, en effet, ont été délivrés et payés par la caisse municipale. On a fait ensuite tous les efforts imaginables pour effacer toutes les traces de ces payements. Mais il s'est retrouvé et il se conserve des bons de vingt-quatre francs pour chaque jour de travail, délivrés aux septembriseurs et signés Tallien et Méhée.

Néanmoins, non-seulement la Commune feignait de n'avoir donné aucun ordre, aucune autorisation; mais dès le 2 au soir, elle fait avertir l'Assemblée, pour qu'elle tâche de calmer le peuple, qui voulait forcer les prisons. L'Assemblée envoie cinq de ses membres à l'Abbaye; ils essayent de parler; on les hue; ils s'en retournent à l'Assemblée et terminent le rapport qu'ils lui adressent par ces mots : « Les ténèbres ne nous ont pas permis de voir ce qui se passait. » Il est certain néanmoins que l'ancien ministre des affaires étrangères, Montmorin, avait été tué entre les jambes de l'un d'entre eux.

Non-seulement la Commune fait semblant de n'avoir pas ordonné ces massacres, mais elle n'entend pas garder pour elle seule la responsabilité de les avoir soufferts. Par son ordre, Santerre, qu'elle a nommé commandant en chef de la garde nationale, c'est-à-dire des quarante-huit sections armées, se tient constamment auprès de la salle des séances de l'Assemblée législative, feignant d'attendre ses ordres. Matin et soir, des commissaires de la Commune viennent à la barre faire un rapport sur les événements: l'Assemblée écoute, puis reprend son ordre du jour.

A deux heures de la nuit, Tallien, l'un de ces commissaires, vient dire : « On n'a pu arrêter la vengeance du peuple.... Ce qui a le plus excité sa vengeance, c'est qu'il n'y avait là que des scélérats. D

Un des collègues de Tallien ajoute : « On ne doit pas oublier un fait important pour l'honneur du peuple : le peuple avait organisé dans les prisons un tribunal composé de douze personnes. D'après les registres d'écrous, d'après diverses questions faites aux prisonniers, les juges apposaient leurs mains sur la tête du prisonnier et se disaient : « Croyez-vous que, dans notre conscience, « nous puissions élargir monsieur? » Ce mot élargir était sa condamnation. Quand on disait oui, l'accusé était relâché en apparence, et il était aussitôt précipité sur les piques. S'il était jugé innocent, les cris de Vive la nation! se faisaient entendre, et l'on rendait à l'accusé sa liberté. »

Voilà ce qui fut dit à l'Assemblée législative, où les Girondins étaient en majorité, et ce qu'ils écoutèrent en silence; mais intérieurement ils frémissaient et ils comptaient bien, grâce à la toute-puissance de la prochaine Convention, dont ils devaient tous faire partie, se venger de tant d'humiliations.

Dans toutes les prisons, les assassinats eurent lieu avec les mêmes formalités, et partout élargir signifia tuer; concordance bien propre à réfuter ceux qui, pour atténuer l'horreur des forfaits de septembre, soutiennent que ces forfaits ont été l'œuvre d'une fureur soudaine, et n'avaient été ni commandés ni prémédités.

Que faisait cependant le ministre de la justice? Installé dans le splendide hôtel de la place Vendôme, il y donnait, le 2 septembre au soir, un grand dîner à Camille Desmoulins et à d'autres ; il y avait des dames; outre Mme Danton, pleine de bonté et de vertus, et qui mourut, dit-on, de chagrin trois mois après; Mme Camille Desmoulins,

spirituelle et charmante, et adorant son mari; et d'autres encore. Les dames ne savaient rien : le dîner fut fort gai. Que faisait le maire de Paris, Péthion?... Il restait maire de Paris.

Que faisait le ministre de l'intérieur, Roland?... Pâle et abattu, la tête appuyée contre un arbre dans le jardin du ministère, il se désolait........ et il restait ministre de l'intérieur. Il sortit néanmoins de son accablement pour écrire à l'Assemblée le lendemain du 2:

« Hier fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile. »

Enfin, lorsque le carnage eut duré cent heures consécutives, parut une proclamation signée Pethion et Tallien, qui, après avoir rendu hommage à la juste vengeance du peuple, l'invitait à laisser aux tribunaux le soin de punir le reste des conspirateurs. Le maire alla dire à l'Assemblée :

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« Législateurs! permettez-moi de jeter un voile sur le passé; espérons que ces scènes affligeantes ne se reproduiront plus. >>

En même temps, la municipalité parisienne envoya à la plupart des municipalités importantes une adresse dans laquelle elle ne dissimulait point ce qu'elle avait fait :

« Prévenue que des hordes barbares s'avancent contre elle, la Commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces, détenus dans les prisons, a été mise à mort par le peuple actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir, par la terreur, les légions des traîtres entrés dans ses murs au moment où on allait marcher à l'ennemi; et sans doute la nation entière s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public; et tous les Français s'écrieront comme les Parisiens : « Nous marchons à l'en« nemi, mais nous ne laissons pas derrière nous des bri«gands pour égorger nos femmes et nos enfants. »

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