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circonstances qui ont, plus ou moins, influé sur ses déterminations, et, enfin, les généreux principes sur lesquels repose la législation nouvelle qu'elle a créée. Cette législation a bien pu être viciée, depuis, par les égaremens de l'anarchie, par les atteintes du pouvoir militaire, par les criminelles attaques des ministres, qu'on a vus successivement rivaliser entre eux pour opérer la résurrection de l'arbitraire; mais elle a reçu les plus éclatans hommages; diverses nations lui ont emprunté les élémens de leurs lois et de leurs constitutions; et les Français lui devront, surtout, de la reconnaissance, puisqu'elle sert de base à la Charte, qui sera toujours l'indestructible texte de toutes les réclamations contre les abus du pouvoir.

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Quoiqu'il n'entre pas dans la nature de cet écrit d'embrasser l'horizon politique de l'Europe, et de rapporter les choses étrangères au grand mouvement qui agitait notre patrie; cependant, comme cette agitation d'un peuple, si propre influer sur ses voisins, frappait tous les gouvernemens d'étonnement et de crainte, les essais faibles et incertains que les cabinets firent alors, pour arrêter les progrès de l'esprit de liberté, trouveront leur place dans cet ouvrage, à côté de la peinture des obstacles qu'ils contribuèrent à répandre sur la carrière de l'assemblée, et qui,

quelquefois, purent concourir à la pousser, plus ou moins, vers l'exagération des principes.

Les oppositions violentes qui luttaient, dans l'intérieur de la France, contre les voeux prononcés de l'immense majorité de ses habitans, forment une partie importante de l'histoire de cette assemblée, puisqu'en contrariant la marche, et menaçant de détruire ses travaux, elles l'ont souvent obligée à des mesures qui pussent en assurer le succès. Aussi, rapporterai-je avec soin les effets, et quelquefois les causes de ces oppositions, parce que c'est à l'ignorance des faits et de leur liaison avec les actes principaux des premiers tems de la révolution, qu'on doit attribuer une partie des faux jugemens que portent aujourd'hui sur elle, les hommes mêmes qui lui doivent l'honorable existence dont ils jouissent.

Malgré la conviction que j'ai de l'immense importance des services rendus au monde par l'assemblée constituante, je ne viens ni la louer ni la juger; je viens seulement dire ce que je crois la vérité sur les choses que j'ai vues, et exposer, avec simplicité, des résultats dont j'abandonne le jugement à mes lecteurs. J'ai l'intime persuasion d'avoir écrit avec une impartialité peu commune, mais peut-être ne sera-t-elle pas généralement avouée. L'aristocratie est comme les chars armés des anciens, elle déchire tout ce qui ne la suit

a.

pas. Le vieux duc de La Rochefoucauld est plus coupable à ses yeux que Robespierre. Robespierre suit son intérêt, disait-elle, le duc de La Rochefoucauld trahit son ordre : le premier se livre à une impulsion toute naturelle; le second est un déserteur de notre cause.

Je ne fais point aux fils de ceux qui, autrefois, parlaient ainsi, l'injure de croire qu'ils ont hérité de ces injustes préventions, funestes conséquences des dissensions civiles. Une éducation différente a dû nécessairement donner une autre direction à leurs observations et à leurs pensées. Ils ont connu les rigueurs de la nécessité, qui influent souvent sur la destinée des hommes, et ceux chez lesquels elles n'ont pas fait naître l'irritation, auront pu y puiser de la force et de la philosophie. Pour les plus jeunes d'entre eux, dont le caractère n'était point formé à leur rentrée en France, il est impossible que le joug des préjugés ait pu les courber: ils ont dû naturellement se jeter du côté d'où jaillit la lumière. Il n'est point à craindre qu'avec les sentimens qui les animent, ils puissent diriger des reproches contre ceux qui firent au bien public le sacrifice volontaire de leurs intérêts personnels.

Au reste, ce genre d'injustice, relativement à l'appréciation des hommes publics, n'appartient point exclusivement à l'aristocratie: il se rencon

tre dans presque tous les partis. De chaque côté, on veut tout, ou rien. Tel homme est excellent, ou détestable, suivant qu'il a marché avec ou contre nous; et souvent on porte ce jugement avant d'avoir pesé dans la balance de la justice, les faits, les motifs, les positions, les circonstances.

Il n'est que trop facile de vérifier la justesse de ces observations, en parcourant les nombreux ouvrages, publiés jusqu'à ce jour, sur la révolution. Presque tous les hommes qui ont écrit des mémoires sur cette mémorable époque, ou qui ont essayé d'en retracer le tableau, ont plus ou moins cédé à l'esprit du parti qu'ils avaient embrassé. Égarés par les préjugés dont ils étaient imbus, ou par les passions qui les animaient, ils ont représenté, tour-à-tour, les événemens ou les personnages, sous le jour le plus favorable à leur intérêt ou à leur opinion, en s'efforçant, presque toujours, de rejeter sur leurs adversaires le blâme des fau¬ tes, et la responsabilité des malheurs. Il faut encore mettre au nombre des causes de tant d'erreurs, le défaut d'une position convenable pour acquérir la connaissance exacte des faits, et jusqu'à un certain point, des motifs qui ont pu contribuer à les faire naître. Il faut avoir connu les intérêts, les passions, le caractère des hommes qui dirigeaient la cour, les circonstances, et aussi les passions qui dominaient quelquefois.

l'assemblée, pour être à même de présenter, je ne dirai pas un tableau complet, mais au moins une esquisse exacte de ces grands mouvemens, dont les conséquences eurent une si haute importance. Un coup-d'oeil rapide jeté sur quelques-uns des plus importans de ces ouvrages viendra appuyer et confirmer ce que j'avance.

M. de Ferrières. De tous les auteurs de Mémoires sur les premiers tems de la révolution, aucun n'a obtenu du public plus de confiance que le marquis de Ferrières. Son livre et sa vie entière le représentent comme un homme d'honneur, désintéressé, sans ambition; mais ce qui a le plus contribué à lui concilier les suffrages d'écrivains, d'ailleurs très-distingués, c'est la chaleur avec laquelle il a relevé les torts de la classe à laquelle il semblait appartenir. On le voyait accuser les erreurs, les fautes, les injustices de la haute aristocratie, qui, alors appuyée par l'influence des princes, opposait une vive résistance à l'établissement d'un régime constitutionnel, et l'on a dû regarder cette franchise comme une preuve d'impartialité, faite pour inspirer la confiance. Malheureusement, ceux qui ont porté ce jugement n'avaient aucune idée des tems antérieurs à la révolution, et ne la connaissaient elle-même que très-imparfaitement. Ils n'ont aperçu que deux partis, la noblesse d'un côté et le tiers-état de l'autre. Il n'en était point ainsi : la division existait,

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