MUNICIPALITÉ DE PARIS. Département de police. Sur la représentation faite à la commune par un grand nombre de districts, et notamment par ceux de Saint-Roch, de Saint-Jean-en-Grève, des Récollets, de Sainte-Marguerite, des Enfans-Trouvés et Popincourt, dans l'étendue desquels les masques se portent ordinairement avec affluence, et par MM. de l'étatmajor ordonnance de police du 31 janvier, portant défenses à toutes personnes de se déguiser, ou de donner un bal masqué, soit public, soit privé; et à tous marchands d'étaler, louer ou vendre aucuns masques ou habits de déguisement, à peine d'a mende et de confiscation des habits servant au déguisement, et de prison contre les non-domiciliés. » D Tel était, au mois de février 1790, l'état intérieur de la France. En même temps, l'étranger préludait aux hostilités diplomatiques. Dès le mois de janvier, les princes, ecclésiastiques et laïcs de l'empire, dont les propriétés féodales en Alsace, en FrancheComté et en Lorraine, avaient été anéanties par les arrêtés du 4 août, trouvaient une voie de réclamation. Les députés dits du cercle du Haut-Rhin, assemblés à Francfort, prirent un conclusum portant que l'empereur et le corps germanique étaient requis d'accorder appui et protection aux états, à la noblesse et au clergé de l'empire contre les actes arbitraires de l'assemblée nationale de France. Ces réclamations furent accueillies par l'empereur Joseph II; et le roi de Prusse adressa le 16 février, au comte de Goertz, son ministre à Ratisbonne, un rescrit portant que l'empire était dans l'obligation de s'intéresser pour les princes lésés en contravention aux traités existans. D'un autre côté, le ministère français recevait communication du conclusum avec une nouvelle réclamation. M. de Montmorin donna, le 11 février, connaissance de ces pièces à l'assemblée nationale. Mais, après une assez courte discussion, l'affaire fut ajournée par un renvoi au comité féodal.. Pendant ce temps, Joseph II vint à mourir. Il expira le 16 fé vrier. La mort de ce prince devait amener de grands changemens dans la politique du corps germanique. En effet, c'était presque une guerre personnelle qu'il soutenait avec la Porte; c'était presque une affaire de vanité vis-à-vis de Catherine de Russie, qui l'avait fait persister à user ses forces militaires contre les Turcs. C'était à sa personne que s'adressaient les résistances qui avaient enfin amené le soulèvement des Pays-Bas. Dans l'intérêt de son pouvoir impérial, il avait attaqué les anciens priviléges, non-seulement en Brabant, mais aussi en Hongrie. La fière noblesse de ce royaume ne dissimulait pas ses. mauvaises dispositions, et de nombreux réfugiés, accueillis en Prusse, tramaient presque ouvertement. Tous cès obstacles paralysaient l'empereur Joseph II. Mais, un nouveau règné, l'abandon des réformes, les amnisties, la paix, dans un pays où la politique était considérée comme chose personnelle, pouvaient changer cette position, et rendre l'Autriche libre d'agir avec toute sa puissance. C'est, en effet, ce qui arriva. Extrait du traité conclu à Berlin, le 9 janvier 1790, entre les rois de la Grande-Bretagne, de la Prusse et leurs hautes puis sances. Les troubles dans les Pays-Bas étant de nature à intéresser les contractans, et à pouvoir exiger leur intervention, on a arrêté quelques articles généraux et provisoires, pour être exécutés par chacun d'eux. › 1° Ils ne se mêleront de ces troubles que dans le cas où ils seraient invités ou nécessités par les circonstances. > 2o Ayant intérêt dans la conservation des priviléges des PaysBas, ils inviteront S. M. J. pour les assurer, et pour avoir soin que leurs cousins ne soient désormais alarmés. 3° Si ces pays deviennent libres, alors les alliés délibéreront sur la nature de la constitution, et s'ils les reconnaîtront pour tels ou non. 4° Aucune puissance étrangère ne sera admise dans cette alliance sans un commun accord. 5o Les alliés feront cause commune des suites que cette alliance produira. › En réponse à ce traité, les Pays-Bas, comme il était convenu, prirent à leur service, une légion anglaise, une légion prussienne et une légion hollandaise; et les États nommèrent pour commandant en chef de cette armée, un général prussien. Nous terminerons cette longue et triste énumération par la narration d'un fait qui puisse reposer les yeux. Nous l'empruntons au journal de C. Desmoulins. District des Cordeliers. La sonnette du district des Cordeliers est, comme tout le monde sait, aussi fatiguée que celle de l'assemblée nationale. Il y a quelquefois des séances que prolongent bien avant dans la nuit l'intérêt des matières et l'éloquence des orateurs. Ce district a, comme le congrès, ses Mirabeau, ses Barnave, ses Pétion et ses Robespierre; solemque suum sua sideru norunt : Il ne lui manque que ses Malouet et J.-F. Maury. Depuis que j'étais venu habiter dans cette terre de liberté (1), il me tardait de prendre possession de mon titre d'honorable membre de l'illustre district. J'allai donc ces jours derniers faire mon serment civique, et saluer les pères de la patrie mes voisins. Avec quel plaisir j'écrivis mon nom, non pas sur ces vains registres de baptême, qui ne pouvaient nous défendre ni du despotisme prévôtal, ni du despotisme féodal, et d'où les ministres et Pierre Lenoir, les robins et les catins, vous effaçaient si aisément et sans laisser de trace de votre existence, mais sur les tablettes de ma tribu, sur le registre de Pierre Duplain, sur ce véritable livre de vie, fidèle et incorruptible dépositaire de tous ces noms, et qui en rendrait compte au vigilant district. Je ne pus me défendre d'un sentiment religieux; je croyais renaître une seconde fois; que, comme chez les Romains, mon nom était inscrit sur le tableau des vivans dans le (1) Il semble que tous les écrivains allaient se jeter sur cette terre d'asile. Desmoulins logeait auparavant sur le territoire du district des Carmes. temple de la terre. Il me semblait voir le vieux Saturne dans Pierre Duplain, qui, en me couchant sur son registre, me débitait avec la gravité d'un oracle, ces vers de Cyrano de Bergerac : Ces noms pour le tyran sont écrits sur le cuivre; H ne déchire point les pages de mon livre.. J'allais me retirer, continue Desmoulins, en remerciant Dieu, sinon comme Pangloss d'être dans le meilleur des mondes, au moins d'être dans le meilleur des districts possible, quand la sentinelle appelle l'huissier de service, et l'huissier de service annonce au président qu'une jeune dame veut absolument entrer au sénat. On croit que c'est une suppliante; et on pense bien que chez des Français et des Cordeliers personne ne propose la question préalable; mais c'était une opinante: c'était la célèbre mademoiselle Théroigne, qui venait demander la parole et faire une motion. Il n'y eut qu'une voix pour l'admettre à la barre. A sa vue, l'enthousiasme saisit un honorable membre; il s'écrie: C'est la reine de Saba qui vient voir le Salomon des districts! Oui, reprit mademoiselle Théroigne, c'est la renommée de votre sagesse qui m'amène au milieu de vous. Prouvez que vous êtes des Salomon, que c'est à vous qu'il était réservé de bâtir le temple, et hâtez-vous de construire un temple à l'assemblée nationale: c'est l'objet de ma motion. Les bons patriotes peuventils souffrir plus long-temps de voir le pouvoir exécutif logé dans le plus beau palais de l'univers, tandis que le pouvoir législatif habité sous des tentes, et tantôt aux menus plaisirs, tantôt dans un jeu de paume, tantôt au manége, comme la colombe de Noé qui n'a point où reposer le pied. La dernière pierre des derniers cachots de la Bastille a été apportée aux pieds du sénat, et M. Camus la contemple tous les jours avec ravissement, déposée dans ses archives. Le terrain de la Bastille est vacant; cent mille ouvriers manquent d'occupation: que tardons-nous? hâtez-vous d'ouvrir une souscription pour élever le palais de l'assemblée nationale sur l'emplacement de la Bastille. La France entière s'empressera de vous seconder; elle n'attend que le signal; donnez 1 le-lui; invitez tous les meilleurs ouvriers, tous les plus célèbres artistes; ouvrez un concours pour les architectes; coupez les cèdres du Liban, les sapins du mont Ida. Ah! si jamais les pierres ont dû se mouvoir d'elles-mêmes, ce n'est point pour bâtir les murs de Thèbes, mais pour construire le temple de la liberté. C'est pour enrichir, pour embellir cet édifice, qu'il faut nous défaire de notre or et de nos pierreries; j'en donnerais l'exemple la première. On vous l'a dit, le vulgaire se prend par les sens; il lui faut des signes extérieurs auxquels s'attache son culte. Détournez ses regards du pavillon de Flore, des colonnades du Louvre, pour les porter sur une basilique plus belle que SaintPierre de Rome, et que Saint-Paul de Londres. Le véritable temple de l'Éternel, le seul digne de lui, c'est le temple où a été prononcée la déclaration des droits de l'homme. Les Français dans l'assemblée nationale, revendiquant les droits de l'homme et du citoyen, voilà sans doute le spectacle sur lequel l'Étre suprême abaisse ses regards avec complaisance. » On conçoit l'effet que dut faire un discours si animé, et ce mélange d'images empruntées du récit de Pindare et de ceux de l'Esprit-Saint. Quand la fureur des applaudissemens fut un peu calmée, plusieurs honorables membres discutèrent la motion, l'examinèrent sous toutes ses faces, et conclurent comme la préopinante, après lui avoir donné de justes éloges, qu'on nommât des commissaires pour rédiger l'arrêté, et une adresse aux 59 districts et aux 83 départemens. Sur la demande de mademoiselle Théroigne d'être admise au district avec voix consultative, l'assemblée a suivi les conclusions du président, qu'il serait voté des remercîmens à cette excellente citoyenne pour sa motion; qu'un canon du concile de Mâcon ayant formellement reconnu que les femmes ont une âme et la raison comme les hommes, on ne pouvait leur interdire d'en faire un si bon usage que la préopinante; qu'il sera toujours libre à mademoiselle Théroigne et à toutes celles de son sexe, de proposer ce qu'elles croiraient avantageux à la patrie; mais que sur la question d'État, si la demoiselle Théroigne sera admise au district avec voix consultative |