Page images
PDF
EPUB

Nous doutons qu'après s'être mis en contact avec les matériaux, on consentit à entreprendre un pareil travail !

Le Moniteur passe pour contenir un recueil exact et complet; mais sa partie parlementaire était alors loin d'être rédigée avec l'exactitude qui existe aujourd'hui, Nous l'avons surpris en erreur, même dans la rédaction de textes de décrets. Ajoutons qu'écrit sous l'influence de l'opinion qui gouverne, il adoucit ou dissimule les accidens un peu tranchés. Quant à la polémique de la presse, ce côté important du mouvement parlementaire, à le lire, on ne devinerait pas qu'il en existe une. Les faits révolutionnaires eux-mêmes ne sont notés que lorsqu'ils ont eu un tel retentissement qu'il faut bien en parler; encore c'est toujours la relation ministérielle qu'on vous donne; car le Moniteur était ministériel alors que personne ne l'était en France. C'est cependant le moins incomplet des journaux annalistes de cette époque.

Les autres journaux se divisent en plusieurs classes. Viennent d'abord quelques-uns de ceux qui existaient avant la révolution, la Gazette, le Mercure de France. Ils sont fidèles à la vieille étiquette, parlant le moins possible de ce dont tout le monde parlait, sachant le moins possible ce que tout le monde savait. Ainsi les plaisans du parti révolutionnaire remarquaient que la Gazette remplissait ses colonnes de quelque lourde discussion d'histoire naturelle, le jour où tout Paris s'occupait d'un événement des plus graves. Il semble que ce parti n'eût que le temps de conspirer. Une autre classe de journaux, est celle qui était dirigée par les hommes qui plus tard se rangèrent dans le parti Girondin. Dans ceux-là on remarque la politesse d'un encyclopédiste du dix-huitième siècle, son ton décent et sarcastique; il y a beaucoup de littérature, beaucoup de philantropie, ou en style du temps, de sensibilité, mais peu de discussions politiques ou de doctrine. Celui qui nous a paru le mieux fait sous le rapport parlementaire est celui de Carra. Après ces journaux nous citerons ceux qu'on peut appeler les éclaireurs du sentiment révolutionnaire, celui que rédigeait le jeune et pur Loustalot, celui de Marrat, celui de C. Desmoulins, celui de Feydel, etc. Indépendamment de tous ces écrits régulièrement périodiques et la plupart quotidiens, il y avait une multitude de journaux moins graves, dont on verra plus tard et lorsqu'il y aura lieu, paraître les noms et des citations. Presque toutes ces publications sont enfermées chacune dans le cercle que leur trace leur opinion; ils choisissent parmi les faits, parmi les idées, pour en faire usage dans l'intérêt de leur parti. Ainsi, il arrive que pour esquisser un événement, il faut aller en

chercher un fragment dans chacun d'eux. Il en est cependant qui ne dissimulent rien de ce qu'ils savent; et il est bien remarquable qu'au moment où nous sommes, c'est dans les pages de Loustalot, de Marrat et de C. Desmoulins qu'on trouve le plus d'exactitude. Ceux-là, en effet, croyaient avoir la raison pour eux; ils voulaient convaincre même leurs adversaires ; et aussi lorsqu'ils entraient en discussion, ils croyaient utile et bon de choisir pour les attaquer non pas les raisons faibles, mais les argumens les plus forts qu'on put opposer. Mirabeau, assure-t-on, avait dit ce mot sur Robespierre: cet homme ira loin, car il croit tout ce qu'il dit. Telle fut aussi la destinée de la presse révolutionnaire : on a dû remarquer que nous la citions souvent. Mais c'est qu'en effet elle seule offre des articles qui aient une portée parlementaire.

A tous les écrits périodiques il faut ajouter les brochures, les procèsverbaux, les mémoires, etc. En 1790, le nombre des écrits périodiques augmente; il y a des journaux de provinces. La plupart seront à notre disposition. Nous espérons donc continuer cet ouvrage ainsi que nous l'avons commencé, et ne point démériter des encouragemens que nous avons reçus.

DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

PROVINCES.

DÉCEMBRE 1789.

Les mouvemens qui agitèrent les provinces pendant le mois de décembre eurent en général un caractère tout autre que ceux qui les avaient précédés; ils semblent avoir été provoqués par les craintes d'une manifestation de l'opposition pareille à celles qui avaient eu lieu dans quelques villes pendant les deux mois qui venaient de s'écouler, et qui se répétaient encore sur quelques points. L'assemblée nationale parut aussi embarrassée de ces accès de patriotisme, qu'elle avait été ennuyée des timides résistances de quelques parlemens.

Le mouvement le plus grave, moins par ce qu'il fut d'abord que par les suites qu'il eut, fut celui de Toulon. Nous avons fait mention, dans notre premier volume, des désordres que la disette produisit dans cette ville: les faits dont nous allons parler eurent un autre caractère. Depuis long-temps il existait une sourde hostilité entre les officiers de la marine, la bourgeoisie et la population on suspectait le patriotisme de ces officiers. Vers la fin de juillet, quelques jeunes gens allèrent offrir la cocarde nationale au commandant de la place: on doutait qu'il voulût l'accepter; c'était un M. de Béthisy, parent de M. de Lambesc. Il la refusa, en effet, en déclarant cependant qu'il ne s'opposerait

T. IV.

1

[ocr errors]

point à ce qu'on la portât dans la ville, Les mêmes jeunes gens s'adressèrent aux membres du conseil municipal, qui, à Toulon, portaient le nom de consuls; ceux-ci, non-seulement leur donnèrent l'autorisation qu'ils demandaient, mais encore s'occupèrent de former définitivement une garde nationale à l'imitation de celle de Paris. En même temps, ils demandèrent au commandant de l'arsenal, M. Albert de Rions, de permettre aux ouvriers de porter cette cocarde: il donna cette autorisation; mais quant à lui il conserva l'ancienne cocarde. Dans le commencement de novembre les choses étaient encore en cet état : la garde nationale avait une cocarde; la marine et les troupes une autre. Enfin, à cette époque, une querelle de rue manqua d'amener une collision entre les deux drapeaux. Un officier d'un régiment du Dauphiné se plaignit d'avoir été insulté par des gardes nationaux, parce qu'il était sans cocarde; les sous-officiers de son régiment se rendirent en corps chez les consuls, et déposèrent entre leurs mains une plainte, Sur cette nouvelle, la population s'émeut; un attroupement s'empare du maire-consul au moment où il revenait de la campagne et rentrait dans la ville, et le conduit chez Albert de Rions; la plainte fut retirée; la querelle paraissait terminée, Mais il y avait des griefs plus sérieux contre ce chef de la marine. En effet, au moment où l'on formait la garde nationale, il avait défendu aux ouvriers de l'arsenal d'entrer dans ces compagnies, Il eût désiré, ainsi qu'il en fit l'aveu dans sa défense imprimée (1), que cette milice urbaine ne fût composée que de bourgeois ; il se défiait de l'esprit turbulent des ouvriers de la marine, qui formaient la masse du petit peuple à Toulon, Cependant, malgré ses ordres, ces ouvriers prirent rang dans la garde nationale; et, au lieu de fermer les yeux sur cette infraction, le comte Albert de Rions usa d'une autorisation qu'il avait sollicitée de M. de Caraman, commandant de la province, et le 27 novembre il annonça que tous les ouvriers qui avaient désobéi à la prescription antipatriotique qui leur avait été signifiée, étaient rayés des classes.

(1) Mémoire historiqne et justificatif de M. le comte Albert de Rions. Paris, 1790.

Malgré la réclamation du maire-consul, cette décision fut maintenue. Le peuple commenca donc à s'attrouper le 1er décembre. Toute la force militaire prit les armes; matelots, gardes nationaux, régimens de ligne; ceux-ci restèrent immobiles; les mate lots se tinrnet à peu près tous enfermés dans les établissemens de la marine, La garde nationale dissipa l'attroupement; mais elle arrêta Albert de Rions, ainsi que plusieurs officiers de marine; et comme on disait qu'ils avaient voulu tirer sur le peuple, la garde nationale les traita avec une brutalité qui eût été inexcusable sans cela: ils furent mis au cachot. De part et d'autres on écrivit aux autorités supérieures, et surtout à l'as semblée nationale. Cette affaire occupa plusieurs séances, Toute la soirée du 7 y fut consacrée; le côté droit et le côté gauche prirent parti chacun pour sa couleur : la discussion fut trèsvive; si vive qu'il fut décidé qu'aucun détail de ces débats ne serait inséré au procès-verbal. Cependant la majorité inclina à l'indulgence; si bien que l'ordre de remettre les prisonniers en liberté fut donné, reçu à Toulon le 14, et exécuté. L'assemblée cependant demanda de nouveaux renseignemens; quel usage vou lait-elle en faire? Nous le verrons plus tard.

En ce moment, au reste, il se manifestait en plusieurs lieux un excès de patriotisme dont les esprits timides devaient être effrayés et fatigués. On apprenait qu'en Dauphiné, une armée, une véritable armée de plus de douze mille soldats-citoyens s'était réunie le long du Rhône, et avait prononcé, le 29 novembre, le serment fédératif qu'on va lire,

«Nous, soldats-citoyens de l'une et de l'autre rive du Rhône, réunis fraternellement pour le bien de la chose publiqne, jurons à la face du ciel, sur nos cœurs et sur nos armes consacrées à la défense de l'État, de rester à jamais unis: abjurant toute distinc tion de province, offrant nos bras et nos fortunes à la patrie, pour le soutien des lois émanées de l'assemblée nationale; jurons de nous donner mutuellement toute assistance pour remplir des devoirs aussi sacrés, et de voler au secours de nos frères de Paris ou de toute autre ville de France qui serait en danger pour

« PreviousContinue »