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Nous voulons transformer la propriété et le travail, et la bourgeoisie ne veut pas que nous les transformions. Elle ne peut pas lutter contre nous avec les armes de l'esprit ; la science l'a abandonnée. Que lui reste-t-il donc encore? Rien, rien que la force!

Mais la bourgeoisie, me dit-on, est de sa nature frondeuse; elle fera de l'opposition malgré elle. Je vous renvoie à l'histoire que l'on ne paraît guère connaître. Elle nous dit que chaque classe fait de l'opposition contre ce qui est au-dessus d'elle, et cela aussi longtemps qu'elle n'est pas menacée dans son existence par la classe qui se trouve au-dessous d'elle. Ce moment arrivé, elle se tourne avec ses anciens adversaires contre le nouveau combattant qui vient de paraître. C'est tout naturel chaque classe veut bien partager l'influence de la classe supérieure, puisque cela lui est avantageux; elle ne veut pas partager avec la classe inférieure, parce que cette opération ne peut que lui faire perdre.

La noblesse a lutté contre l'omnipotence des rois tant qu'elle n'était pas ébranlée elle-même par la bourgeoisie. Dès que la bourgeoisie l'attaque, elle devient plus royaliste que le roi; elle exagère l'omnipotence du maître.

La bourgeoisie a été frondeuse à son tour tant qu'elle ne connaissait pas la crainte du prolétariat. Le peuple s'est dressé menaçant devant elle : il est naturel qu'elle imite la manoeuvre de la noblesse, qu'à son tour elle se fasse plus despotique que le despote. Et en lisant ces lignes, n'entendez-vous pas un bruit confus de voix bourgeoises, s'élevant contre l'amnistie, glorifiant la sévérité et demandant la mise en accusation de tout ce qui pense?

Je dirai plus. La bourgeoisie voudrait se prêter de bon cœur à la transformation du travail et de la propriété que l'instinct de conservation lui suggérerait de ne pas se fier au système représentatif. Ce n'est pas par la décision de quel

ques centaines d'individus que l'on peut transformer la propriété et le travail, accomplir cette œuvre gigantesque. Où nous mènerait la résistance de plusieurs millions groupés contre quelques centaines de parlementaires? Mon Dieu! c'est facile à deviner: à la guerre civile et finalement au massacre des propriétaires. L'histoire n'est-elle pas là pour le prouver? Qu'a servi à la noblesse le sacrifice accompli dans la nuit du 4 août au sein de l'assemblée nationale? Mécontents du vote parlementaire, les nobles organisèrent la résistance qui les a conduits à leur perte, comme elle aurait pu les conduire à la victoire. Mais quelle que dût être l'issue, le massacre et la terreur étaient nécessairement au bout.

Évitez, républicains, de créer une raison d'être au pouvoir sorti du 2 décembre. Tant que vous n'avez pas une méthode à l'aide de laquelle vous pouvez arriver à la solution du problème, il est de l'intérêt de l'humanité que la propriété ne soit pas tiraillée inutilement; le maintien nécessaire de la propriété actuelle devient donc la véritable raison d'être de l'autorité sans bornes de Louis Napoléon, car ce maintien utile et nécessaire ne peut être obtenu que par la tyrannie et la force.

Il n'y a qu'un moyen de transformer le travail et la propriété sans massacre et sans spoliation. Ce moyen, c'est de résoudre le problème-non par une décision parlementaire que les intéressés restés en dehors des discussions et des votes ne peuvent ni comprendre ni respecter-mais par une décision de tous les intéressés, c'est-à-dire de tout le peuple assemblé dans ses sections. Contre une majorité de 18 ou 19 millions on se sent impuissant; on élude par conséquent la guerre civile et son inévitable cortége d'horreurs.

Avec le secours de qui, républicains, voulez-vous donc refaire les parlements? Est-ce avec le peuple, puisque la

bourgeoisie vous fait défaut? Utopie! le peuple est encore plus perspicace que la propriété; il n'a jamais eu confiance dans votre assemblée. Le 15 mai, quelques jours après sa convocation, il a voulu la dissoudre; dans les journées de juin il l'a combattue à outrance; le 13 juin il a abandonné même ses éléments les plus respectables; le 2 décembre il l'a huée comme un anachronisme. Et si le peuple n'aimait pas l'assemblée, l'assemblée le lui rendait avec usure. Quelles violences, quelles abominations n'a-t-elle pas commises! Jamais, non jamais l'homme du peuple n'en perdra le souvenir. Il y a d'ailleurs des gens qui se chargeront de les ranimer, ces souvenirs, de ne pas les laisser périr.

En vérité, démocrates parlementaires, vous êtes de pauvres logiciens ! Vous parlez d'assemblées, et depuis le 20 décembre la base de toute assemblée, l'élection politique est morte! N'est-ce pas de vos rangs que partent ces flèches empoisonnées qui atteignent de droite et de gauche le suffrage universel? Qu'est-ce que l'enfant qui offense le flanc qui l'a porté, le républicain parlementaire qui offense le suffrage universel? C'est un scélérat s'il n'est pas un idiot.

Pour n'être ni l'un ni l'autre vous n'avez qu'une seule chose à faire ne plus appliquer le suffrage universel aux personnes qu'on ne connaît pas, qui changent, ou qui résument, comme Louis Bonaparte, toute une situation inextricable, excluant toute liberté d'appréciation; l'appliquer aux choses, aux faits que chacun peut approfondir avec le secours des lumières de tous. Cette application du suffrage universel, c'est la LÉGISLATION DIRECTE PAR Le peuple.

FIN.

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