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par l'incapacité des représentants de la démocratie qui, dans le moment décisif, offrent la dictature militaire à Louis Bonaparte, à l'homme qui, dans notre temps, est l'incarnation la plus complète du despotisme, puisqu'il est le despotisme sans l'auréole de la légitimité et de la prédestination, et que pour ses créatures les plus zélées il ne peut être qu'un monstrueux abus de la force. Quel terrible enseignement pour la démocratie! Puisse-t-elle enfin comprendre que la logique des événements suit toujours de près celle de l'esprit général du Peuple, que cette indomptable logique, du moins, ne connaît pas de transactions. Aujourd'hui la démocratie traquée et décimée ne marche que sur des ruines. Essayera-t-elle de reconstruire de nouveau l'édifice renversé d'une décevante et éphémère représentation du peuple? Des architectes aussi malavisés peuvent compter qu'ils ne trouveront pas d'ouvriers pour entreprendre avec eux ce travail de Sisyphe. N'ont-ils pas été abandonnés déjà, lorsqu'ils voulaient, non refaire avec une peine infinie, mais étançonner seulement l'édifice chancelant, comme un château de cartes, sous le souffle de Louis Bonaparte?

C'est ce que nous avions prévu, mes amis et moi. Pendant un voyage fait à travers une grande partie de la France vers la fin de 1849, j'avais été effrayé de la profonde et juste désaffection dans laquelle était tombée une forme de gouvernement que je crois détestable, mais que je préfère naturellement, et de beaucoup même, au régime despotique, le seul système gouvernemental que la nation française avait appris jusqu'alors d'opposer aux parlements.

Méprisé, haï même de presque tout le monde, et sans défenseurs dans le peuple, me disais-je, le système représentatif n'a même plus la force de l'inertie qui maintient ce qui existe parce qu'il existe; ce système ne peut plus être la base d'opération d'aucun parti. Vouloir le maintenir, serait une véritable démence; ce serait se jeter tout droit dans les griffes de Louis-Napoléon. Il est temps de rallier la démocratie autour d'un autre drapeau qui réveillera l'enthousiasme et puisse être déployé à l'heure suprême contre un prétendant dont le rare et excessif bonheur est de ne plus rencontrer dans la lice que l'ombre d'un adversaire. Renversons, en un mot, le régime représentatif POUR nous, afin qu'il ne soit pas renversé CONTRE nous.

C'était, toute conviction intérieure à part, la seule bonne politique à suivre. Il nous restait deux années pour raviver et transformer la démocratie. Deux années! c'était assez, si nous réussissions à faire pénétrer nos idées dans le cœur de tous ceux que le peuple avait l'habitude de considérer comme ses chefs de file; c'était trop peu, si ces hommes politiques étaient au-dessous de leur tâche et fermaient leurs yeux à l'évidence. On sait le reste. Nous nous mîmes à l'œuvre. Un mouvement immense se produisit au sein de la démocratie; nous fûmes appuyés chaleureusement par des esprits d'élite, et combattus avec acharnement par d'autres. Louis Blanc et Proudhon mettaient au service du vieux monde gouvernemental le poids de leur renommée démocratique, le premier pour conserver cette immonde vieillerie, le second pour la détruire, comme il prétend, par elle-même. Dès lors le vieux

monde devait l'emporter pour quelques années. La démocratie qui, le 2 décembre, aurait pu se sauver par l'énergie d'une croyance nouvelle et logique, se traînait à une défaite certaine, inévitable, sous le cauchemar horrible d'une de ces situations politiques qui se dessinent toujours fortement en faveur de celui qui sait ce qu'il veut, contre celui qui ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il doit vouloir. On demandait au peuple de sauver au prix de son sang une institution qu'il détestait foncièrement et avec raison; car, qu'on ne l'oublie pas c'est la majorité qui fait l'institution; la minorité n'est que le revers de la médaille sans entrer pour la moindre chose dans sa valeur.

L'holocauste est consommé maintenant. Qu'avec l'ancienne démocratie tombe sa doctrine. Que le peuple expulse des rangs de ses amis tous ceux dont les avis et les efforts tendent à faire sortir de sa tombe le système représentatif, première cause de l'insuccès de 1848 et de la fin à jamais regrettable de 1851. Depuis l'heure solennelle qui, le 2 décembre, a sonné le glas de leur parti, ils n'ont plus le droit de nous opposer la prétendue impossibilité de notre système gouvernemental ainsi que ses dangers. L'impossibilité et les dangers étaient là où nous les avions indiqués. Faudra-t-il donc un troisième 18 brumaire pour le leur faire comprendre?

C'est à nous, membres de la jeune et véritable démocratie, de commencer à notre tour l'oeuvre de la rénovation sociale que les démocrates parlementaires ont dû abandonner et qui les a écrasés dans sa chute. Nous réussirons, amis ! car à tout un peuple tout est possible.

PRÉFACE

DE M. ALLYRE BUREAU à la première édition de la brochure intitulée : La Législation directe par le Peuple ou la véritable démocratie.

Le présent opuscule a été publié en trois articles dans la Démocratie pacifique. L'idée mère, qui en fait l'objet, est évidemment dans la ligne du principe radical de la Liberté individuelle et de la Souveraineté populaire. Pour tous ceux qui ne s'en tiennent pas aux préoccupations des nécessités plus ou moins démontrées, de ce qu'on est convenu d'appeler la Pratique dans nos sociétés imparfaites et vicieuses, le principe même de la Législation directe par le Peuple ne peut pas faire l'objet d'une discussion.

Il est clair que Liberté et Souveraineté populaire ne seront que de vains mots tant que le Peuple pourra être enchaîné par des lois émanées d'un pouvoir extérieur à lui, de quelque source d'ailleurs que ce pouvoir procède, droit divin, élection censitaire ou suffrage universel.

Le principe une fois admis, la question d'exécution reste

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tout entière, et sur ce terrain le nombre est encore grand de ceux qui, tout en confessant la justice, se retranchent derrière les impossibilités pour ne pas sortir de l'ornière des iniquités. Quant à nous qui basons sur notre ferme croyance en Dieu cette maxime absolue tout ce qui est juste est nécessaire, et par conséquent possible, nous ne nous laisserons jamais arrêter par une fin de non-recevoir de cette espèce. D'ailleurs, l'histoire de toutes les sciences, de tous les arts est là pour constater que l'impossibilité n'a jamais été un obstacle pour le génie humain tant qu'il ne s'agit pas de sortir des lois naturelles. Or ici il s'agit, au contraire, de la réalisation d'un principe incontestable, nous dirions même indiscutable, quand on se place, armé de sa raison, en face des faits éternels et au-dessus des faits contingents. Nous ne pouvions donc pas hésiter à accueillir l'idée juste qui nous était offerte, sauf plus tard à tenir compte de l'état des éléments sociaux pour juger dans quelle mesure il convenait d'appliquer cette idée aux sociétés actuelles en général, et à la société française en particulier.

Toutes les réflexions que nous avons faites dans ce sens depuis que l'idée est produite nous conduisent à penser que non-seulement son application est possible, mais qu'elle est d'absolue nécessité, si l'on veut fermer enfin d'une manière définitive l'ère des révolutions violentes; car il y aura des révolutions tant que des usurpations se produiront, et la Législation directe par le Peuple, c'est-àdire la souveraineté réelle du Peuple universel mise en action, aura seule puissance de rendre les usurpations impossibles.

Nous sommes pleinement confirmés dans cette manière

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