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lois, elles ne comprennent pas que cela prouve uniquement que la législation a fait sciemment fausse route jusqu'ici, ayant été exploitée toujours par des hommes isolés ou par des partis intéressés à tout embrasser pour tout faire servir à leurs goûts de domination ou à leur cupidité.

Réduites par l'infiltration successive des principes de liberté et de fraternité, les matières de législation ne seront guère nombreuses. Depuis des siècles déjà elles tendent continuellement à décroître. Autrefois l'État se mêlait, par exemple, de toutes les questions religieuses; le salut des âmes ne l'intéressait pas moins que l'existence corporelle. Aujourd'hui, l'inquisition, la confession, ne sont plus de son ressort, et nous avons indiqué plus haut de quelle manière le peuple accomplira plus tard la séparation complète de l'État et de l'Église. Nous pourrions citer un grand nombre d'autres matières qui ont été effacées de nos codes par le développement des idées démocratiques, comme l'organisation des métiers et jurandes, le règlement du luxe et des habillements.

Nous ne tomberons pas dans l'exagération, si nous soutenons que le peuple, en délibérant deux fois par semaine dans les sections, aurait à peine, au bout de trois années, de quoi remplir convenablement les séances.

Quoi qu'il en soit de l'exactitude plus ou moins grande de notre opinion à cet égard, il y a une raison péremptoire qui parle pour le système de la Législation directe, quand il s'agit de la question du temps. Les assemblées législatives tournent éternellement dans un cercle vicieux; elles entreprennent peu de travaux utiles, elles n'en achèvent aucun, pendant que le peuple fera au moins une ou deux bonnes lois par séance.

En voulez-vous un exemple? Vous savez que l'Assemblée législative s'occupe depuis une année et plus du chemin de fer de Paris à Avignon. Différents projets de lois

ont été présentés, mais rien n'a été décidé, l'Assemblée n'osant pas tenir compte, autant qu'elle le voudrait, de l'intérêt des spéculateurs qui ont jeté leur dévolu sur cette belle voie de communication.

Eh bien! combien d'heures faudrait-il au peuple français pour résoudre les questions suivantes :

1o Y aura-t-il un chemin de fer de Paris à Avignon ? Réponse: Oui.

2° Qui bâtira ce chemin de fer, l'État ou une société d'actionnaires? R. L'État.

3o Comment l'État l'exécutera-t-il? est-ce en levant les sommes nécessaires par un impôt? est-ce en faisant un emprunt à 8 ou 10 p. 100 chez les banquiers? ou enfin, est-ce en décrétant une émission de papier-monnaie, garanti sur le chemin de fer même? - R. En faisant une émission de papier-monnaie.

4° L'État opérera-t-il le transport gratuit, ou tirera-t-il un revenu du chemin de fer?

Si le peuple décide qu'il y aura transport gratuit, l'amortissement du papier-monnaie se fera en chargeant le budget ordinaire de l'État. Si, au contraire, l'avis du peuple est de faire payer la locomotion, il y aura lieu de poser encore la question suivante :

5o Le revenu du chemin de fer sera-t-il employé à l'amortissement du papier-monnaie émis pour la ligne, ou figurera-t-il dans le budget des recettes de l'État sans destination déterminée? R. Il servira à l'amortissement.

De cette manière le peuple, dans une seule séance, aurait fait une loi, comme il n'en sortira jamais de vos assemblées législatives. Il aurait donné rapidement du travail à quelques cent mille ouvriers, sans toucher aux capitaux qui se trouvent actuellement engagés dans l'industrie, ce qui aurait une influence salutaire sur le taux de l'intérêt; il aurait enfin doté la France d'une voie de

communication des plus importantes sans demander un centime aux contribuables.

Où serait donc la perte pour le prolétaire? Il aurait passé dans sa section une soirée que trop souvent il doit perdre aujourd'hui dans le cabaret ou ailleurs. Et dans cette seule soirée il aurait gagné 300 millions au moins pour la France, c'est-à-dire 8 fr. 50 c. pour lui, ou 34 fr. pour une famille de quatre personnes.

Maintenant, n'est-ce pas ? vous commencez à comprendre ce que serait le monde dix ans après l'introduction de la Législation directe qui est tout simplement la mise en œuvre concentrée, l'utilisation de toutes les forces humaines?

Nous passerons à présent à la dernière objection qui nous viendra uniquement de la part de quelques démocrates.

3. La Législation directe ne réalise pas l'idéal

de la liberté.

Nous avouons que cette assertion est parfaitement fondée. Quelque minime que soit la minorité dans les votes, grâce à ce que les intérêts de presque tout le peuple sont identiques, il n'est pas moins vrai que cette minorité devra obéir à des lois qu'elle a désapprouvées. Aussi nous sommes-nous bornés à présenter la Législation directe comme le pas décisif à faire vers le brillant avenir que l'humanité voit ouvert devant elle.

Dans ce chapitre, destiné à répondre d'avance aux principales objections de nos adversaires, nous avons évité de parler des objections futiles que l'on fera peut-être contre la possibilité de partager le peuple en sections, de concentrer les votes, ainsi que contre notre idée d'enlever au ministère le droit de faire de sa propre autorité des pro

positions législatives. Nous ferons cependant encore deux courtes observations. Nous tenons peu au chiffre de mille citoyens pour chaque section, et nous savons parfaitement bien que ce chiffre devra varier selon la dissémination plus ou moins forte de la population dans les différentes contrées du pays. C'est d'ailleurs le peuple souverain qui réglera en dernier ressort cette question qui n'en est pas

une.

Quant à l'impuissance de notre ministère, nous professons l'opinion que chaque Pouvoir est une tyrannie en herbe et que la démocratie ne pourra jamais assez le neutraliser en lui enlevant toute initiative en matière de législation.

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