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rante, chez les peuplades de la Grèce et de l'Italie, sur la première existence desquelles nous n'avons pas de renseignements certains. En retranchant de l'histoire de Rome la fable avérée des rois, en étudiant les institutions de l'époque où l'on commençait à écrire les annales de la République, en réfléchissant sur ce que devaient être ces institutions lorsque l'aristocratie, moins puissante, moins riche, ne les avait pas encore faussées, on aboutit infailliblement à la conclusion que Rome a été aussi bien régie par la Législation directe que l'a été toute la Germanie. Relativement à ce dernier pays, les historiens ont été plus heureux; là ils ont pu peindre les mœurs de peuples chez lesquels la liberté n'avait presque pas encore été entamée. Aussi nous disent-ils que chez les Germains les affaires publiques étaient discutées, réglées, jugées par tous les membres de la société, sans exception; et, chose curieuse, c'est ce peuple si divisé, mais librement constitué, qui, seul de toutes les nations de l'univers, a su résister à la domination romaine et accomplir la chute de la reine du monde.

Mais s'il est hors de doute que la Législation directe a existé presque partout, il est certain aussi qu'elle ne pouvait pas être une institution durable à une époque où toute connaissance et toute richesse acquise établissaient une différence formidable dans la position des citoyens, en procurant à ceux qui les possédaient une puissance extraordinaire. Peu à peu, les riches du temps, jetant les fondements du règne de l'aristocratie, enlevaient au peuple l'exercice de son droit de prendre part à la législation. Comme à Athènes, à Rome, ils créaient un état de choses qui ressemblait un peu à ce que nous voyons se passer dans le gouvernement de la République française. Il y avait exploitation de tous par un petit nombre de familles. L'inégalité dans la possession des richesses et surtout des

lumières augmentant, la disproportion dans l'exercice des droits politiques ne faisait que grandir. Bientôt un seul, plus puissant que tous les autres, s'élève sur les ruines de la liberté de tous; c'est le despotisme monarchique qui, à son tour, est obligé de morceler ses empires en faveur de ceux qu'il a rendus grands pour opprimer les peuples. L'apogée du despotisme et de la tyrannie, la féodalité, est arrivée; on ne voit que des serfs nus, affamés, dégradés, et des maîtres couverts de fer, guerroyant et festoyant.

Tout à coup le génie de l'humanité sort de son long sommeil; ce que l'ignorance a perdu, la science est appelée à le reconquérir. Deux grands hommes inventent, l'un la poudre à canon, l'autre l'imprimerie. Par la première invention, les châteaux de la féodalité, exposés au boulet du prince et du bourgeois, se trouvent désarmés; par la seconde, les connaissances, jusque-là monopole du riche, s'étendent rapidement, et, pénétrant dans les couches inférieures de la société, elles deviennent une arme offensive contre l'oppression. Depuis ce moment, la marche descendante de la tyrannie, la marche ascendante de la liberté commencent. La féodalité s'incline forcément sous la royauté absolue, parce que celle-ci est un progrès sur celle-là. A peine établie, la royauté absolue est elle-même battue en brèche, vaincue et renversée, pour être remplacée, d'abord par la monarchie constitutionnelle, et ensuite par la république représentative ou bourgeoise que l'année 1848 a établie en France. Arrivé à ce point, l'esprit de liberté désarmera-t-il? Nous disons non de toute la force de notre conviction. Tout ce que nous voyons se passer sous nos yeux ne l'indiquât-il pas, nous aurions néanmoins la certitude que la destinée de l'homme doit s'accomplir, que la liberté arrivera à son point de départ, qu'à son tour le règne de la bourgeoisie, dont le système représentatif est la suprême expression, sera suivi par la

Législation directe qui est la forme dans laquelle se moule le règne de tous.

M. Thiers, au reste, paraît l'avoir bien compris, si l'on en juge par les paroles suivantes qu'il a prononcées à la tribune de l'Assemblée législative :

<< Pourquoi ne pas nous respecter les uns les autres, ditil, pour l'intérêt du gouvernement représentatif qui court des dangers très-grands, et j'en atteste le ciel et mon pays, non pas par ma faute, non pas par des excès que nous aurions commis. >>

Ce n'étaient pas des phrases banales que ces paroles de M. Thiers, c'était l'aveu douloureux d'un homme d'État qui sent le sol s'échapper sous ses pieds. Et comme pour ne laisser aucun doute sur sa pensée intime, il reprend encore avec plus de solennité :

« Je vous le répète: pour l'honneur du pays, dans l'intérêt de ce gouvernement représentatif qui doit nous être cher aussi, ne donnons pas des arguments à ceux qui disent que c'est un gouvernement indécent, qui abaisse les mœurs du pays, qui rend ses affaires impossibles; respectons-nous les uns les autres; qu'on puisse monter ici, s'entendre, se combattre, sans s'offenser, sans perdre les belles mœurs de notre pays; prouvons qu'on peut discuter les affaires utilement, sérieusement. »

Et quels sont les périls que M. Thiers voit poindre à l'horizon politique? Est-ce un coup d'État de l'autorité qui, selon lui, menace le régime représentatif? Non; il va vous éclairer sur ce point, car il ajoute :

<< Prouvons tout cela. Cela vaut mieux, entendez-vous, que toutes les résistances que vous pouvez préparer à je ne sais quel événement obscur de l'avenir. »

Encore une fois, quel est donc l'ennemi que M. Thiers voit avec terreur s'avancer contre ce gouvernement de coterie qu'il aime avec tant de chaleur? Cet ennemi, c'est la

démocratie, c'est le peuple, réclamant son droit de prendre directement part à la législation.

Maintenant, il est temps de montrer comment la Législation directe peut être organisée.

Le peuple se divise en sections de mille citoyens chacune. Cette division est possible, puisque deux fois déjà elle a été établie en Prusse en quelques jours et avec une exactitude rigoureuse pour les élections de la Constituante de 1848 et des deux chambres convoquées au commencement de l'année 1849.

Chaque section s'assemble dans un local propre à cet usage, école, hôtel de ville ou salle publique.

Elle nomme son président qui dirige les débats de la manière dont il sera parlé ci-après.

Chaque citoyen peut prendre la parole dans les discussions, par conséquent toutes les intelligences sont au service de la patrie.

La discussion close, chaque citoyen émettra son vote. Après le dépouillement du scrutin, le président de la section fait transmettre au maire de la commune le chiffre des votes pour et contre. Le maire fait le relevé des votes de toutes les sections de la commune, et en communique le résultat à l'administration supérieure qui, opérant de la même manière pour son district, fait parvenir le chiffre des votes pour et contre au préposé du département. Ce dernier transmet le résultat du dépouillement au ministère qui fait l'addition pour le pays entier.

Cette opération est simple et ne demande que peu de travail et peu de temps; elle fera connaître exactement combien de citoyens ont approuvé et combien ont repoussé telle ou telle mesure. La majorité décide de l'adoption ou du rejet.

Voici les règles générales pour les débats. Le président dirige les discussions. Il ne sera pas fait de projets de lois;

la seule initiative du ministère élu par le peuple entier pour un certain temps consiste à déterminer que tel ou tel jour, dans toutes les sections du pays, auront lieu les délibérations concernant la loi sur tel ou tel objet. Dès qu'un certain nombre de citoyens demande une nouvelle loi sur une matière quelconque ou la réforme d'une loi ancienne, le ministère est obligé d'inviter le peuple, dans un délai prescrit, à faire acte de souveraineté et de législation. Ce n'est qu'en affaires de politique extérieure que le ministère pourra soumettre aux délibérations du peuple des propositions qui ne lui auront pas été indiquées par le nombre de citoyens que la loi aura fixé.

La loi sortira d'une manière organique des discussions mêmes. Pour amener ce résultat, le président ouvrira d'abord le débat sur le principe; il descendra ensuite d'une manière toute naturelle aux questions subordonnées.

Un exemple expliquera suffisamment combien il est facile de diriger les délibérations et d'en faire sortir toutes les données nécessaires à la composition de la loi. Choisissons un sujet qui divise la science elle-même en deux écoles et qui, certainement, a préoccupé fort peu le peuple: la prescription en matière criminelle. L'école française et le code napoléonien admettent la prescription : les légistes prussiens la rejettent et l'ont effacée du projet de code pénal proposé, il y a deux ans, aux diètes provinciales de la Prusse.

Le président de chaque section ouvrira donc le débat sur la question de principe: « Y aura-t-il prescription en matière criminelle, ou non? »

Les partisans du droit prussien feront valoir qu'un crime est toujours un crime et que la stricte justice demande qu'il soit puni sans égard au temps écoulé depuis sa perpétration. Les amis du droit français parleront de l'impossibilité d'intenter un procès criminel après un certain laps de

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