Page images
PDF
EPUB

La somme totale de chaque émission figurerait exactement la somme du cahier des charges de nos travaux, et elle serait versée en entier dans la caisse spéciale destinée à solder l'entreprise, avec défense rigoureuse de détourner un seul écu pour d'autres dépenses. De cette manière chaque somme jetée dans le public serait représentée exactement par des travaux exécutés et payés.

La critique de la quatrième question : « L'Etat opérera-t-il le transport gratuit, ou tirera-t-il un revenu du chemin de fer?»> est également sans fondement. Certes, le texte de la question n'est pas d'une rigueur scientifique, mais cela n'est nullement nécessaire. Notre langage deviendrait inintelligible et même impossible, si chaque locution devait s'appuyer strictement sur une formule de science. Il suffit que le peuple, que personne ne puisse se tromper sur le sens attaché aux questions, et je demande si ce n'est pas ici le cas? Tout le monde comprend avec facilité que cette question veut dire : Chacun payera-t-il les frais de transport au fur et à mesure des services personnels qu'il exige du chemin de fer, ou payera-t-il en sa qualité de contribuable et sur sa cote des contributions une partie proportionnelle des frais que nécessite l'exploitation, si elle ne prélève rien directement sur le transport? Que le prix de revient varie sans cesse ou non, cela ne pourra rien changer à la question dans les deux cas. M. Proudhon veut-il interdire chaque opération, abolir chaque budget de recettes et de dépenses parce qu'il est impossible de ne jamais se tromper d'un centime? Cette manière de critiquer est d'autant plus absurde que dans un cas analogue il se sert du même langage qu'il attaque chez moi.

En parlant de sa nouvelle banque, il dit (1):

<< La banque de France, devenant établissement d'utilité

(1) Page 200.

LÉGISLATION DIRECTE.

19

publique, ayant pour capitalistes ses propres clients, n'aurait d'intérêts à servir à personne... Or, cet intérêt appartenant au public, le public serait maître de le réduire, à volonté, à 3, 2, 1, 1/2 et 1/4 p. c., suivant qu'il trouverait plus d'avantage à tirer de la banque un gros revenu, ou à faire ses affaires à meilleur compte. »>

Ne pourrais-je pas vous renvoyer l'argument dont vous vous servez contre moi? « si le peuple décide que l'État tirera un revenu du chemin de fer (de la banque), il manque à son propre intérêt, puisque les services publics doivent être sans bénéfices. » Pour le public, le revenu dont vous parlez, est aussi peu un revenu que le transport gratuit, dont je parlais, n'est un transport gratuit. Ces ergoteries sont indignes d'hommes éclairés et sérieux!

Plein de confiance dans le bon sens du peuple, je finis ici mon travail, en admettant comme un bon augure ces paroles de Proudhon avec lesquelles je prendrai congé du lecteur (1):

<< Supposons que la question posée soit celle-ci : Le gouvernement sera-t-il direct ou indirect?

<< Après le succès qu'ont obtenu dans la démocratie les idées de MM. Rittinghausen et Considerant, on peut présumer, avec une quasi-certitude, que la réponse, à l'immense majorité, sera DIRECT. »

(1) Page 168.

ÉPILOGUE.

Le 2 décembre a confirmé une observation que j'ai exprimée bien des fois depuis février. Cette observation, c'est que le système représentatif n'a plus de partisans en France, ni dans la bourgeoisie ni dans le peuple. Cette partie de la bourgeoisie qui autrefois faisait la force du parti constitutionnel, a reculé vers le despotisme : le peuple est allé en avant; il désire quelque chose de mieux que la prétendue représentation nationale; il veut une nouvelle forme de l'interprétation sociale du droit, sans se rendre cependant un compte exact de ce qu'il désire.

Quant à moi, je n'ai jamais été surpris de l'abandon dans lequel je voyais tomber subitement, après 1848, le régime constitutionnel; car ce système, en France, ne reposait que sur une erreur de la bourgeoisie, erreur que la foudre de février est venue dissiper brutalement et tout d'un coup. Pour établir ceci d'une manière incontestable, remontons un peu plus haut (1).

(1) Ce recul de la bourgeoisie vers le despotisme peut être observé même dans les pays qui n'ont pas été atteints directement par les dernières

La révolution de 1789 avait doté la France du système représentatif qui peut-être aurait pu se maintenir durant quelque temps, comme il s'est maintenu durant des siècles en Angleterre, si la révolution n'avait pas pris dès son début le caractère bien tranché d'une révolution sociale. La noblesse et le clergé furent défaits et dépouillés au profit de la bourgeoisie qui, par la vente des biens nationaux qu'elle seule pouvait acheter, se substituait aux deux classes renversées en soulevant la juste indignation du peuple. Ce dernier qui, avant la nuit du 4 août, avait donné l'assaut aux châteaux, vit passer le prix de ses efforts dans les mains de ceux qui n'avaient été qu'entraînés, qui avaient même voulu enrayer ce mouvement révolutionnaire.

Ce changement dans la position sociale de la bourgeoisie nécessitait également un changement dans la politique. Au lieu de réclamer la liberté de la discussion, comme

révolutions. En Belgique les élections de 1852 ont été favorables au parti catholique, quoique jamais ce parti n'ait attaqué plus ouvertement la constitution. En Angleterre le journal the Times disait (en mai 1852, à l'occasion du discours de lord Palmerston relativement aux dangers que court la constitution espagnole :

« D'après nous, les formes du gouvernement constitutionnel n'ont pas de mérite superlatif ou exclusif là où la masse de la nation n'est pas résolue de cœur et d'âme à les employer et à les protéger..... La question que se fait une nation, après que la fièvre d'enthousiasme est passée, est simplement si les institutions (constitutionnelles) donnent la meilleure forme de gouvernement qu'elle ait connue. A cette question la réponse n'est pas toujours affirmative, et nous ne sommes pas étonnés que les Grecs, les Napolitains et les Portugais ne soient pas toujours heureux dans un art qui demande tout l'esprit public et l'activité des Anglais pour échapper au ridicule ou à l'insuccès. Nous ne cherchons pas querelle à la chambre des communes de ce qu'elle est quelquefois faible et factieuse, mais il n'y a pas d'autre peuple en Europe qui eût considéré les actes de cette chambre, pendant cette session, sans se former une tout autre opinion que nous sur le mérite du gouvernement constitutionnel. »

dans le temps où il s'agissait de battre en brèche le monde féodal, il fallait dorénavant frapper la discussion d'un coup mortel, sous peine de se voir dépouiller à son tour par le peuple qui, certes, n'aurait pas manqué de tribuns assez énergiques pour se servir contre la fortune de la bourgeoisie des mêmes raisons de salut public que la bourgeoisie avait fait valoir contre le clergé et la noblesse.

Or, la libre discussion, c'est la réunion électorale, la liberté de la presse, le droit de réunion, la tribune nationale, l'essence du système représentatif enfin. Puisqu'il fallait tuer à tout prix la libre discussion, il fallait culbuter à tout prix le régime constitutionnel, et la bourgeoisie le comprenait à merveille et d'instinct.

Heureusement pour elle il y avait en France un homme qui savait apprécier avec une sûreté merveilleuse ses dispositions du reste fort transparentes. Cet homme, c'était Napoléon Bonaparte. Avec ce tact politique qui paraît distinguer sa famille, Bonaparte s'empare de l'autorité et organise la France bourgeoise par cette législation des cinq codes qui vient d'être placée de nouveau sous l'égide usée de son nom. Cette organisation, il la défend par le silence, en renversant la tribune et en détruisant la presse. Le sabre règne; il est le couronnement naturel de la France. bourgeoise, comme Louis Bonaparte vient de le proclamer à l'instar de son oncle.

Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes bourgeois possibles sans ces guerres incessantes qui amenèrent la chute de l'Empire et la restauration des Bourbons. Le règne de Bonaparte avait valu à la bourgeoisie une possession tranquille de quinze ans, et comme celui qui a commis des fautes les oublie plus facilement que celui qui en a été la victime, le bourgeois se mit à rêver liberté, oubliant que la liberté fouille partout, se souvient de tout, et ne âche jamais sa proie, quoiqu'elle en ait quelquefois un peu

« PreviousContinue »