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tionnelle Angleterre. Sa destruction, au contraire, assure à cette puissance l'empire de l'Océan. Le ministère anglais délibère, et, dans le dix-neuvième siècle, au milieu de la paix, au mépris du droit des gens, la ville de Copenhague est bombardée et la flotte incendiée ou enlevée (1).

(1) 1er et 2 septembre 1807.

LIVRE QUATRIÈME.

La Législation directe par le peuple et l'anarchie de

P.-J. Proudhon.

(Novembre 1851.)

I

Pendant que la lutte s'engageait entre Considerant et moi, d'un côté, et MM. Anatole Leray, Louis Blanc et Émile de Girardin de l'autre côté, la Législation directe a trouvé un quatrième adversaire dans la personne de M. P.-J. Proudhon. Il y a des partisans de mon système qui s'étonnent de rencontrer ce socialiste renommé parmi nos adversaires. « N'est-il pas, disent-ils, l'ennemi acharné du système représentatif? n'a-t-il pas proclamé l'anarchie, qui en définitive ne peut être que la Législation directe par le peuple? » Moi-même, je n'ai jamais partagé les illusions de ceux de mes amis qui se berçaient de l'espoir que M. Proudhon allait nous apporter le secours de son immense talent. Je savais que cet écrivain distingué met trop facilement sa logique au service de sa passion et de l'esprit de rivalité, pour conserver l'indépendance d'esprit nécessaire pour juger sainement une idée conçue par tout

autre que lui. J'attendais donc l'attaque; elle ne s'est pas fait attendre.

Avant de commencer la défense, je tiens à expliquer la raison qui m'engage à ne pas bannir entièrement du cadre étroit de mon travail toute réponse aux incriminations personnelles qui fourmillent dans le livre intitulé: l'Idée générale de la révolution au dix-neuvième siècle. Je ne tiens guère à me disculper des insinuations malveillantes, injurieuses de M. Proudhon, et pourvu qu'on admette mon idée, il m'est parfaitement égal ce que tel ou tel individu, tel ou tel groupe d'individus pense de moi. Je ne m'en soucie pas; qu'on fasse tranquillement son métier.

Mais ce à quoi je tiens, c'est à démontrer au peuple la nécessité de se délivrer de la tutelle de tous ces chefs de file qui n'ont généralement en vue que de misérables intérêts de boutique ou de vanité personnelle; c'est de faire descendre ces chefs de l'autel sur lequel ils se hissent, tantôt sous telle forme, tantôt sous telle autre. Dans l'intérêt de la Législation directe, il faut, en un mot, faire ressortir la petitesse de l'individu.

Il va sans dire, du reste, que je ne m'abaisse pas jusqu'à jouer le rôle d'accusateur public. Je ne me mets pas à la recherche des faiblesses individuelles: je relève uniquement celles qui se livrent elles-mêmes. J'opposerai généralement à M. Proudhon... M. Proudhon lui-même. De cette manière personne n'a le droit de me faire un reproche, M. Proudhon moins que tout autre.

Mais n'allons pas plus loin dans ces explications, et laissons M. Proudhon se démolir lui-même : « Il est temps,>> dit mon adversaire, « que le public sache que la négation, en philosophie, en politique, en théologie, en histoire, est la condition préalable de l'affirmation. Tout progrès commence par une abolition, toute réforme s'appuie sur la dénonciation d'un abus, toute idée nouvelle repose sur l'in

suffisance démontrée de l'ancienne.... Celui-là donc qui, hautement, à la face du peuple, par une sorte d'acte extra-judiciaire, a posé le premier des conclusions motivées. contre le gouvernement et l'ancienne propriété, celui-là, dis-je, s'est engagé à en exprimer ultérieurement de nouvelles en faveur d'une autre constitution sociale... Pourquoi faut-il qu'aux questions les plus nettes se mêle toujours un peu d'équivoque? La priorité des conceptions philosophiques, bien qu'elles se réduisent à de simples observations sur la nature de l'homme et la marche des sociétés, bien qu'elles ne soient susceptibles ni de trafic ni de brevet, n'en est pas moins, comme la priorité des inventions dans l'industrie, un objet d'émulation pour les esprits d'élite qui en connaissent la valeur et qui en recherchent la gloire. Là aussi, dans le domaine de la pensée pure comme dans celui de la mécanique appliquée aux arts, il y a des rivalités, des imitations; je dirais presque des contrefaçons, si je ne craignais de flétrir, par un terme aussi énergique, une ambition honorable et qui atteste la supériorité de la génération actuelle. L'idée d'anarchie a eu cette chance. La négation du gouvernement ayant été reproduite depuis février avec une nouvelle insistance et un certain succès, des hommes, notables dans le parti démocratique et socialiste, mais à qui l'idée anarchique inspirait quelque inquiétude, ont cru pouvoir s'emparer des considérations de la critique gouvernementale, et, sur ces considérations essentiellement négatives, restituer sous un nouveau titre, et avec quelques modifications, le principe qu'il s'agit aujourd'hui de remplacer. Sans le vouloir, sans s'en douter, ces honorables citoyens se sont posés en contre-révolutionnaires; car la contrefaçon, puisque enfin ce mot rend mieux qu'un autre mon idée, en matière politique et sociale, c'est la contre-révolution. Je le prouverai tout à l'heure. Ce sont ces restaurations de l'autorité, en

treprises en concurrence de l'anarchie, qui ont récemment occupé le public sous les noms de législation directe, gouvernement direct, et dont les auteurs ou rééditeurs sont, en premier lieu, MM. Rittinghausen et Considerant, et plus tard M. Ledru-Rollin. Suivant MM. Considerant et Rittinghausen, l'idée première du gouvernement direct viendrait d'Allemagne; quant à M. Ledru-Rollin, il n'a fait que la revendiquer, et sous bénéfice d'inventaire, pour notre première révolution; on la trouve tout au long, cette idée, dans la constition de 1793 et dans le Contrat social (1). »

Ou je ne comprends pas le français, ou ce passage un peu obscur est destiné à couvrir d'un nuage fort transparent deux reproches. Comme quelques lignes plus bas à l'habile rédacteur en chef de la Presse, « aspirant sans doute à une part d'invention, » M. Proudhon nous crie : « Qu'alliez-vous donc faire dans cette maudite galère, dans cette galère qui est à moi, qui m'appartient? J'avais donné la négation, c'était à moi de trouver l'affirmation, de compléter mon œuvre, sur laquelle vous vous ruez comme des plagiaires. >>

Maintenant est-il vrai que j'ai pris à Proudhon la critique du système représentatif, critique qui court les rues depuis que ce système existe, comme le savent tous ceux qui connaissent l'histoire de cette forme de gouvernement? Jean-Jacques Rousseau lui-même, dont les œuvres se trouvent dans les mains de toute l'Europe lettrée, n'avait-il pas prononcé solennellement ce résumé de jugement : « Quoi qu'il en soit, à l'instant qu'un peuple se donne des représentants, il n'est plus libre, il n'est plus! »

Et J.-J. Rousseau avait-il découvert, lui, cette vérité? Nullement! il ne faisait que reproduire des lieux communs qui, dans son temps, comme aujourd'hui, étaient

(1) Idée générale de la Révolution, p. 110.

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