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la démocratie doit franchement se déclarer l'adversaire du système représentatif. Nous serons courts, puisque les événements des dernières années nous permettent de l'être.

1. Le système représentatif est un reste de l'ancienne féodalité, reste qui aurait dû tomber déjà sous les coups de la première révolution française. Il avait sa raison d'être, lorsque la société était un composé de corporations de toutes espèces, donnant à leurs députés un mandat déterminé il n'a plus cette raison d'être, depuis que les corporations ont disparu. Avec l'esprit du moyen âge, avec la cause, le peuple aurait dû écarter l'effet.

2. Il est absurde de vouloir faire représenter une chose par ce qui lui est diamétralement opposé le noir par le blanc, l'intérêt général d'un peuple par un intérêt particulier qui est son contraire.

3. La représentation nationale est une fiction, rien qu'une fiction. Le délégué ne représente que lui-même, puisqu'il vote selon sa propre volonté et non selon la volonté de ses mandataires. Il peut dire oui quand ceux-ci diraient non, et il le fera dans la plupart des cas. La représentation n'existe donc pas, à moins que l'on ne veuille nommer ainsi l'action de heurter continuellement l'intérêt et l'opinion de ceux que l'on est censé représenter. Quelle preuve plus éclatante de cette vérité pourrions-nous citer que l'abolition du droit de suffrage de trois millions de Français par un coup d'autorité de ceux-là même dont le pouvoir législatif est sorti de ces suffrages?

4. Y eût-il représentation véritable par quelque phénix introuvable de député, la majorité des électeurs du pays ne serait jamais représentée, et la moitié à peu près des électeurs victorieux se trouverait dans le même cas par le fractionnement des assemblées en majorité et en opposition.

5. Dans les élections, l'intrigant a l'avantage sur l'hon

nête homme, parce qu'il ne reculera pas devant une foule de moyens qu'un candidat honorable dédaigne; l'ignorant a l'avantage sur l'homme de talent, parce que les trois quarts des électeurs voteront toujours et devront toujours voter sans connaître et sans pouvoir juger le candidat. D'ailleurs, dans ce système de gouvernement si mensonger, l'élection elle-même est encore une fiction absurde. Ou vous demandez que l'électeur dépose son vote d'après sa conviction personnelle, d'après la connaissance qu'il a du talent, de la probité et des opinions du candidat, et alors vous demandez l'impossible; ou vous voulez que l'électeur vote pour un candidat désigné par un comité électoral, et alors vous n'avez plus d'élection, vous n'avez qu'une nomination opérée par une petite coterie, dominée encore, quant à elle, par l'envie et l'intérêt personnel. Aussi l'histoire prouve-t-elle que dans chaque assemblée les cinq sixièmes des députés sont des esprits fort médiocres.

6. Dans l'assemblée, beaucoup de personnes honorables changeront de caractère; l'honnête homme y reniera le plus souvent ses convictions. Il y a des tentations auxquelles il ne faut pas exposer les hommes, sous peine de les voir succomber. L'une de ces tentations, c'est le pouvoir de s'élever, de s'enrichir, soi et sa famille, de tyranniser enfin ses semblables, sans encourir une responsabilité quelconque. De là des apostasies continuelles et l'impossibilité de créer jamais une majorité bienveillante. Dans ses articles intitulés : Guerre à l'apostasie, M. Émile de Girardin a suffisamment édifié le public sur ce chapitre.

7. La crainte de ne plus être réélu est sans influence sur la conduite du mauvais représentant. Plus il viole son mandat, plus il aura la certitude d'être envoyé encore à la chambre, ne fût-ce que par quelque bourg pourri à la disposition du gouvernement. Aussi les plus détestables dé

putés font-ils la plus longue carrière législative; ils survivent à la chute de tous les régimes. Les exemples ne seraient pas difficiles à citer, on n'aurait que le choix dans une multitude de noms propres.

8. Sous la domination de la même loi électorale, chaque assemblée qui arrive doit être nécessairement plus mauvaise encore que celle qui l'a précédée. L'Assemblée législative devait primer la Constituante dans le mal, et les élections faites au commencement de cette année (1850) ne pouvaient produire qu'une perte pour le socialisme. Ce qui contribue encore à ce résultat malheureux, ce sont le découragement et les calculs du parti démocratique. L'ouvrier sait que le vote donné à tel ou tel candidat, que la nomination même de ce candidat ne peut guère influer sur la force des partis dans l'assemblée, et que les inconvénients qui, grâce aux tracasseries de la police, peuvent sortir pour lui de ce vote, ne sont nullement proportionnels à l'avantage qu'il espère obtenir par une bonne élection dans son département. Par conséquent il s'abstient, surtout dans les petites villes, où l'autorité a l'œil sur tous, connaît chaque électeur par son nom (1).

9. Les assemblées législatives sont l'incarnation de l'incapacité ainsi que de la mauvaise volonté, et sous le rapport législatif et sous le rapport politique. En législation, elles commettent continuellement des attentats contre les libertés des peuples, ou elles livrent les deniers du pauvre aux spéculateurs en politique, c'est pis encore, si cela est possible. On attaque partout le bon droit des nations en se vendant au despotisme. En moins de trente ans, la France a fait, sous Louis XVIII, l'intervention en Espagne

(1) L'élection de Louis Bonaparte à la présidence décennale de la République démontre jusqu'à quel point l'autorité peut peser sur le corps électoral, quelque démocratique qu'il soit.

en faveur de Ferdinand VII; sous Louis-Philippe, elle est intervenue pour dona Maria dans le Portugal, elle a menacé la Suisse à différentes reprises; sous la République, enfin, elle a restauré l'absolutisme des prêtres dans les États romains.

S'il est vrai que le système représentatif porte en lui le germe de la mort; s'il est vrai qu'il s'est suicidé lui-même en France, par quelle autre forme de gouvernement doit-on le remplacer? La démocratie irait-elle en arrière avec M. Émile de Girardin, qui, rejetant comme nous les assemblées législatives, tente vainement de réédifier le ministère fort et absolu des Richelieu, des Mazarin? Non, mille fois non! la démocratie, restant fidèle à ses principes, ira en avant, et le premier pas en avant et en dehors du système représentatif, c'est la Législation directe par tout le peuple; nous défions le monde entier de nous prouver le contraire avec la moindre apparence de logique ou de bon sens. La Législation directe, c'est le seul gouvernement digne d'une nation éclairée, le seul par lequel le dogme de la souveraineté du peuple devient une vérité.

II

Avant d'exposer de quelle manière on peut organiser la Législation directe, nous nous permettons encore quelques réflexions sur la marche de la liberté et du despotisme dans le monde.

L'humanité, en naissant, est parfaitement libre; l'homme ne reconnaît aucun maître, aucun juge. Peu à peu les sociétés se forment, mais c'est sous condition que tous les citoyens exerceront une égale influence dans la fixation des règlements ou des lois qui doivent régir la nouvelle société. C'est la Législation directe dans toute sa pureté, quoiqu'elle ne soit qu'imparfaitement organisée, à cause de l'ignorance du temps. Le petit nombre des citoyens dans les sociétés naissantes permet, d'ailleurs, de convoquer tout le peuple sur la place publique, pour délibérer sur les affaires communes. Ce système de législation, qui s'est conservé en partie dans quelques cantons de la Suisse, a existé avec plus ou moins de perfection chez tous les peuples primitifs; l'histoire en fait preuve chaque fois qu'elle a pu décrire les institutions d'une société jeune et peu avancée. Nous trouvons la Législation directe chez les Juifs; nous la rencontrons, mais dégénérée, mais mou

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