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ami Considerant : « Le peuple va enfin avoir un critérium sûr pour distinguer partout le démocrate réel du démocrate aristocrate, du démocrate doctrinaire, enfin du pseudo-démocrate. Il verra facilement quels démocrates veulent qu'il se gouverne, et quels démocrates veulent le gouverner. »

Voici ce que dit le journal élyséen la Patrie:

« ..... M. L. Blanc parle d'or, n'est-il pas vrai? Il a mille fois raison contre MM. Ledru-Rollin, Considerant et Rittinghausen. Une fois en sa vie, il a rencontré la vérité ! Mais nous croyons aussi qu'en la rencontrant il s'est joué à lui-même un assez mauvais tour. Il n'a pas examiné l'origine de la doctrine qu'il oppose avec succès aux partisans du gouvernement direct; il n'en a pas non plus calculé la portée. Or, quelle est cette doctrine, et où va-t-elle ? C'est la doctrine des théoriciens de la bourgeoisie, à commencer par Montesquieu et à finir par M. Guizot et les burgraves, auteurs de la loi du 31 mai. C'est la doctrine de la capacité ou de la raison substituée au nombre; c'est, pour tout dire, en un seul mot, la doctrine des doctrinaires. Et cette doctrine qui met la capacité, les lumières, avant le nombre, elle va non pas à l'extension, mais à la limitation du suffrage. C'est la doctrine du suffrage restreint. »

La Patrie aurait pu ajouter : « Elle est la justification de toute tentative de domination au nom des prétendues lumières hors ligne d'un seul. » Elle aurait pu conclure enfin : « Le despotisme est une affaire de confiance en soi-même; il est le devoir de celui qui se croit plus éclairé que les autres. » La royauté absolue et le papisme, la Sibérie et l'inquisition sont justifiés!

L'organe de la branche cadette, le Journal des Débats, n'a pas été moins explicite :

« ..... M. Louis Blanc, » dit-il, « appelle Girondins, par

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une assimilation très-peu rigoureuse, les étranges et dangereux sophistes qui, à bout de folies révolutionnaires, proposent aujourd'hui de transporter directement au peuple le gouvernement de l'État, sans intervention de représentants ni de mandataires. Les Girondins, n'en déplaise à Louis Blanc qui écrit l'histoire de la révolution française, n'ont jamais proposé pareille chose...

« Le Girondin, c'est vous, M. Louis Blanc; car c'est vous qui essayez en ce moment d'enrayer l'élan désordonné de vos amis sur la pente des utopies; c'est vous qui êtes le sage, le raisonnable, le rétrograde. M. Louis Blanc rétrograde! n'est-ce pas là un signe des temps? Et ce spectacle de l'auteur de l'Organisation du travail, attelé par derrière au char du progrès démagogique, et cherchant à le retenir dans l'ornière qu'il a creusée par vingt ans d'efforts, de travaux et de sophismes; ce spectacle qui vient se mêler à tant d'autres scènes risibles ou effrayantes dont notre époque abonde, ne vaut-il pas que nous nous y arrêtions un instant?... M. Louis Blanc a quelque chose qui le distinguera toujours, à nos yeux, dans la tourbe des novateurs. Il se donne la peine d'écrire. Nous allons voir que cette fois à la peine d'écrire il a joint celle de penser, et de penser comme nous tous; ce qui n'est pas une médiocre victoire du bon sens et du bon droit...

« On a rarement démontré avec plus de vivacité concluante et de sérieux arguments les absurdités matérielles et les impossibilités radicales du gouvernement populaire; et je m'étonne, quant à moi, que le livre de Louis Blanc ait été mis à l'index sur quelques points de la France. J'en conseillerais plutôt la lecture soit aux hommes de bonne foi que ces horizons trompeurs du gouvernement démocratique ont pu séduire, soit à ceux (le nombre en est grand) qui, très-peu frappés de ses mérites et médiocrement assurés dans son avenir, aiment à trouver leurs répugnances

exprimées avec chaleur et leurs alarmes rédigées en bon style. Le livre de M. Louis Blanc, malgré d'inévitables réserves que le passé commande à l'homme de parti, ce livre étrange et sérieux peut avoir ce double avantage. »

V

OBJECTIONS DE M. DE GIRARDIN CONTRE LA LÉGISLATION DIRECTE. RÉFUTATION.

Mon second adversaire, M. de Girardin, a trop d'esprit pour se rabattre sur la prétendue impossibilité de la Législation directe.

<< Tout chercheur de bonne foi qui sait par expérience, dit-il, l'extrême difficulté de trouver le simple, le juste, le vrai, est de sa nature fort tolérant; aussi n'opposerai-je à l'idée du gouvernement direct proposée, développée, adoptée par MM. Rittinghausen, Considerant et LedruRollin, aucune objection secondaire tirée de prétendues impossibilités d'exécution. C'est là un argument dont la médiocrité impuissante et présomptueuse a trop souvent abusé et que l'expérience a trop fréquemment condamné pour que je l'emploie. « Proposez ce qui est faisable,» ne cesse-t-on de répéter; c'est comme si l'on disait : « Proposez << de faire ce qu'on fait. » Ainsi s'exprimait J.-J. Rousseau, il y a un siècle. Depuis un siècle, depuis que J.-J. Rousseau s'exprimait ainsi avec tant de raison, avec un sentiment si juste de l'avenir, que de problèmes ont été résolus, que de progrès ont été accomplis, lesquels nous paraissent

infiniment simples et qui à cette époque eussent passé pour absolument impossibles! >>

Ceci constaté, il me reste à réfuter les rares objections que M. de Girardin a émises contre mon système.

« Une assemblée législative issue du suffrage universel,» s'écrie-t-il, « une assemblée tirée des entrailles mêmes du peuple à l'aide de ce forceps qui s'appelle une révolution, une assemblée recrutée des citoyens réputés entre dix millions d'électeurs les plus intelligents, les plus instruits, cette assemblée unique a manqué de lumières et de conscience. Chaque jour elle donne le spectacle le plus monotone de la plus déplorable impuissance. Pour remédier à ce mal, que propose M. Ledru-Rollin? Il propose de multiplier jusqu'à l'infini le nombre des assemblées; il propose que tous délibèrent sur tout. En 1793, où tout était en question, où rien encore n'avait été débattu, cela pouvait être nécessaire; mais en 1851, après trente-cinq années de controverses, n'y a-t-il rien de plus utile à faire que de continuer à toujours discuter sans rien résoudre? Le temps d'agir n'est-il donc pas enfin venu? Un tel régime ne serait-il pas le babélisme des idées, le doute jeté dans toutes les consciences, la confusion semée dans tous les esprits? »

Le babélisme des idées! Mais n'existe-t-il pas, ne doit-il pas exister au plus haut degré sous un régime qui, ne pouvant plus empêcher le peuple d'avoir des idées, n'offre cependant aucun moyen de les réaliser quand elles sont justes et réalisables, ou de les mettre à l'épreuve quand elles paraissent dignes de considération? sous un régime qui remet à un petit groupe de privilégiés toutes les forces de la société, forces qu'ils ne manquent jamais de tourner contre le mouvement intellectuel, de faire servir au soutien d'institutions et à la création de nombreux organes de publicité destinés à opposer à chaque idée juste une idée fausse, à

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