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de voir par le remarquable travail de notre ami Considerant, dont une grande partie a déjà été publiée dans la Démocratie pacifique, et qui, nous le savons, a déjà dissipé les doutes et les hésitations d'un grand nombre de démocrates.

Au surplus, la question est aujourd'hui nettement posée devant tous. Elle est digne de la discussion la plus approfondie, et Dieu veuille qu'elle soit complétement élucidée avant que de nouvelles crises gouvernementales viennent à se produire.

En terminant cette courte préface, nous reproduirons les deux épigraphes dont nous avons fait précéder le travail de M. Rittinghausen :

«La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu'elle « ne peut être aliénée. Les députés du peuple ne peuvent être que ses <«< commissaires. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est << nulle. »>

J.-J. ROUSSEAU.

« Si vous voulez soustraire le grand nombre à l'oppression du petit « nombre, cherchez l'art de corporer le grand nombre et de lui donner « une puissance active qui ne soit jamais déléguée. »

FOURIER.

Décembre 1850.

ALLYRE BUREAU.

LÉGISLATION DIRECTE PAR LE PEUPLE

ET

SES ADVERSAIRES.

LIVRE PREMIER.

La Législation directe par le peuple ou la véritable démocratie.

(Septembre 1850.)

I

La révolution européenne, comme fait, a succombé. Dans fous les pays où elle avait éclaté, la réaction règne par la prison, le sabre et l'exil. Et pourtant jamais révolution n'avait été plus universellement acclamée; jamais les masses n'avaient montré autant de dévouement, autant de zèle! Les forces immenses que la démocratie a mises en ligne dans tous les pays ont été partout vaincues; partout les démocrates sont poursuivis, traqués, et bientôt ils ne trouveront plus en Europe un coin où ils puissent réfléchir tranquillement sur la cause de tant de malheurs, de tant de déceptions. C'est en effet un spectacle digne de réflexion que cette défaite infligée à la partie vivace des nations par

la partie mourante, à l'armée de l'avenir par la légion du passé, à l'esprit invincible du progrès par l'obstination de la routine et de l'immobilité.

De pareils résultats ne peuvent pas provenir de petites causes. En vain les démocrates s'accusent-ils mutuellement, à la plus grande joie de la réaction; les individus peuvent avoir commis des fautes, mais le grand mouvement de 1848 n'a pas manqué par suite de pareilles misères. Il y a une cause plus profonde de nos malheurs, et cette cause c'est l'absence complète de toute idée gouvernementale dans la démocratie européenne.

Maîtresse du champ de bataille après le 24 février, la démocratie française était riche en idées de réforme sociale, mais on ne peut pas plus pauvre en idées politiques, ou, ce qui est la même chose, en moyens d'exécution. On laissait subsister l'ancienne machine gouvernementale, inventée tout exprès pour faire sortir de ses rouages la domination de l'aristocratie; c'était désarmer, abdiquer régulièrement en faveur de cette aristocratie que, de cette manière, on chargeait naïvement de l'application des idées socialistes. Il est vrai que l'on jetait au peuple un mot d'ordre, un cri de ralliement dont tout le mérite consistait à exprimer clairement ce qu'on ne voulait plus. « Demandez la république démocratique et sociale, » disait-on aux masses; mais la définition de cette république ne fut jamais donnée en France. La démocratie présentait par conséquent et présente encore un chaos de systèmes se combattant les uns les autres avec plus ou moins de violence, mais elle ne s'appliquait nullement à doter le pays d'un gouvernement qui permît de réaliser tout ce qu'il y a de bon et d'utile dans toutes les théories, ou dans une théorie quelconque. C'était pourtant là le côté le plus sérieux de la révolution. Si vous vous trompez dans les moyens d'application, dans la question gouvernementale, votre révo

lution sera bientôt la proie des partis du passé, eussiezvous les idées les plus saines, les plus justes en science sociale. Mieux vaudrait, nous n'hésiterons pas à le dire, mieux vaudrait bien comprendre la nature, l'essence du gouvernement démocratique, sans se soucier beaucoup des réformes que ce gouvernement doit, du reste, nécessairement amener. En un mot: là où il n'y a pas de moyens d'exécution, il n'y a que le néant. Or, le gouvernement représentatif, cette pierre angulaire, cette source permanente du règne de la bourgeoisie, pouvait-il être un moyen d'exécution dans les mains de la démocratie? Ne devait-il pas, au contraire, faire renaître le pouvoir abattu, en le fortifiant encore par l'impression que devaient nécessairement produire toutes les impuissances manifestées par la démocratie dans la question gouvernementale?

Heureusement, la réaction a simplifié cette question sans le vouloir. Elle a travaillé avec un zèle inouï pour nous qui demandons, depuis les premiers jours de la révolution de février, l'abolition du système représentatif, que nous jugeons incompatible avec la véritable démocratie. En 1848, les ambitieux du parti pouvaient soutenir les assemblées législatives avec quelque apparence de raison; maintenant la nécessité les rejette forcément dans notre camp et les rangera autour de notre drapeau, celui de la Législation directe par tout le peuple. Arrière les querelles d'école, chefs de la démocratie! Il y a un terrain où vous devez tous vous tendre la main. Formons l'aréopage qui prononcera sur vos systèmes, qui y puisera, pour les appliquer, les vérités que vous avez découvertes: cet aréopage, c'est le peuple lui-même appelé à se prononcer directement, sans l'intermédiaire d'interprètes trop souvent infidèles, et, soyez-en sûrs, il prononcera bien.

Mais avant d'expliquer l'organisation de la Législation directe, qu'il nous soit permis de dire par quelles raisons

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