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royaume; la nature lui en a prodigué les moyens : ils sont seuls possibles. Elle peut imiter son auguste mère : sinon je me tais. Le trouble d'hier au soir n'était rien. Il paraît que le boulanger nommé Augustin, demeurant rue Sainte-Famille, a voulu vendre un pain 4 sous plus cher. Il a vu le réverbère descendu, la corde prête; ses pauvres meubles ont été brûlés: il sera jugé; et ceux qui al laient faire justice eux-mêmes le seront aussi.

« Je supplie la reine de m'accorder une audience pour un des jours de cette semaine. »

<«< Quel effet produisit cette conférence sur les dispositions de la princesse et du commandant de la garde nationale de Versailles, quel en fut le résultat? Un champ vaste pourrait s'ouvrir ici aux conjectures. Mais le respect dû à la vérité et le puissant intérêt de la patrie nous défendent de percer le nuage mystérieux dont le trône parut s'envelopper à cette époque. >>

L'article du Moniteur nous apprend ensuite que ce fut après cette visite que M. d'Estaing alla obtenir de la municipalité de Versailles la demande du régiment de Flandre. Il nous apprend que la garde na tionale vit cet appel avec peine; que sur quarante-deux compagnies consultées, vingt-huit témoignèrent leur mécontentement, etc. Cependant, le 23, un détachement du corps alla, avec les membres du corps municipal, au-devant du régiment, qui entra traînant après lui deux pièces de canon et d'abondantes munitions de guerre.

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ASSEMBLÉE NATIONALE. - Le 29 septembre, l'assemblée entendit le rapport de Thouret sur l'organisation départementale. Les séances, jusqu'au commencement d'octobre, furent remplies par des discussions sur la constitution et les finances que nous analyserons plus tard.

La séance du 30, où l'on discuta deux articles constitutionnels relatifs au pouvoir exécutif, offrit un incident remarquable: Mirabeau vint demander qu'on ajournât ces questions de peur d'affaiblir encore les ressorts de la monarchie, déjà si languissante, et d'agrandir une liberté déjà voisine de l'anarchie.

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CHAP. III. Versailles et Paris du 1er au 5 octobre. Repas des gardes du corps. Ordonnance sur les grains. Les dames de la reine distribuent des cocardes. Second repas des gardes du corps. Vive agitation à Paris. Séance de la commune.

Dans la séance du 1er octobre, Necker présenta un projet de décret relatif aux finances. Il demandait entre autres l'établisse

ment d'une contribution patriotique du quart du revenu. Mirabeau proposa de voter le décret aussitôt, mais de présenter en même temps à la sanction royale la déclaration des droits et les articles constitutionnels votés dans les séances précédentes. La dernière partie de la motion seulement fut admise, et l'assemblée ordonna que le président se retirerait par devers le roi pour lui demander la sanction de la déclaration des droits et de la constitution.

Versailles, 1er octobre. — Depuis l'arrivée du régiment de Flandre, on remarquait dans les salles du château et dans les lieux publics une affluence extraordinaire et croissante d'officiers de tout grade. Jamais on n'avait vu tant d'uniformes et tant de croix de Saint-Louis. On disait que les congés de semestre avaient été multipliés dans l'intention de former un corps de volontaires royaux à Versailles; et en effet, l'on comptait dans cette ville mille à douze cents officiers de divers régiments.

En même temps, le nombre des gardes du corps se trouva doublé par une mesure non moins extraordinaire. Les compagnies dont le trimestre finissait vers le mois de septembre, au lieu d'être envoyées en congé selon l'usage, furent retenues avec celles qui devaient les relever. Il était tout simple que ce mouvement dans le service devint l'occasion d'une fête de caserne, et que les nouveaux arrivés choisissent le jour de leur première garde pour payer en quelque sorte leur bien venue, et pour fraterniser avec la garnison. C'était un usage assez général dans l'armée; mais on remarquait que nulle part, et surtout à Versailles, les gardes du corps ne l'avaient suivi; en outre, les frais du repas étaient payés par les commandants des compagnies; les nouveaux venus étaient pleins de ferveur royaliste, tout échauffés des bavardages et des préjugés de leur famille; enfin on leur accorda, pour leur réunion projetée, l'usage de la salle de spectacle du château, qui, jusqu'à ce jour, n'avait servi que pour les fêtes données par le roi. Les gens attentifs en conclurent donc que ce banquet avait un but plus sérieux que la nature de la fête ne semblait l'indiquer.

Les gardes du corps invitèrent les officiers du régiment de Flandre, ceux des dragons de Montmorency, ceux des gardes suisses, des cent-suisses, de la prévôté, de la maréchaussée, l'état-major et quelques officiers choisis de la garde nationale de Versailles. Afin de bien connaître la physionomie de ce repas, il faut savoir que tous ces officiers portaient la cocarde nationale. Les gardes du corps, au contraire, n'avaient jamais quitté l'usage de la cocarde blanche, et ils n'avaient pas non plus prêté le serment civique.

Ainsi, il suffisait d'ouvrir les yeux pour voir qu'il s'agissait d'une alliance entre deux partis contraires, au moins en apparence.

Le rendez-vous était au salon d'Hercule, d'où l'on passa à la salle de l'Opéra, où était servi ce magnifique repas. La musique des gardes du corps et du régiment de Flandre embellissait la fête. Au second service on porta quatre santés, celles du roi, de la reine, de M. le dauphin et de la famille royale. La santé de la nation fut proposée, omise à dessein selon les uns, expressément rejetée par les gardes du corps qui étaient présents, selon un grand nombre de témoins.

<< Une dame du palais accourt chez la reine, lui vante la gaieté de la fête, et demande d'abord que l'on y envoie M. le dauphin, que ce spectacle ne pouvait manquer de divertir. La princesse paraissait triste; on la presse de s'y rendre pour se dissiper : elle semblait hésiter. Le roi arrive de la chasse; la reine lui propose de l'accompagner, et on les entraîne l'un et l'autre, avec l'héritier de la couronne, dans la salle du festin. Elle était pleine de soldats de tous les corps, car on y avait fait passer, à l'entremets, et les grenadiers de Flandre et les Suisses, et les chasseurs des Évêchés.

« La cour arrive: la reine s'avance jusqu'au bord du parquet, tenant par la main M. le dauphin. Cette visite inattendue fait pousser des cris d'allégresse et de joie. La princesse prend alors le dauphin dans ses bras, et fait le tour de la table au milieu des applaudissements les plus vifs et des acclamations les plus bruyantes. Les gardes du corps, les grenadiers, tous les soldats, l'épée nue à la main, portent les santés du roi, de la reine et du dauphin. La cour les accepte et se retire.

<< Bientôt la fête, qui jusque-là n'avait été animée que par une gaieté un peu libre, il est vrai, mais encore décente, se change en une orgie complète. Les vins, prodigués avec une munificence vraiinent royale, échauffent toutes les têtes; la musique exécute divers morceaux propres à exalter davantage les esprits, tels que : O Richard, 6 mon roi, l'univers t'abandonne! dont la perfide allusion ne pouvait manquer en ce moment son application, et la marche des Houlans.

<< On sonne la charge: les convives chancelants escaladent les loges, et donnent à la fois un spectacle dégoûtant et horrible. On se permet les propos les plus indécents. La cocarde nationale est proscrite on offre la cocarde blanche, plusieurs capitaines de la garde nationale de Versailles ont la faiblesse de l'accepter. »

L'orgie ne se tint pas enfermée dans la salle du banquet; elle en sortit, et vint s'étaler en public dans la cour de Marbre. Soldats et

officiers mêlés se livrèrent à toutes les folies, à toutes les exagérations royalistes que l'ivresse pouvait leur inspirer. Le tumulte devint tel, que l'alarme se répandit dans la ville : quelques corps de garde éloignés envoyèrent des détachements, comme s'il se fût agi d'une émeute.

Paris 1er octobre. - L'avant-veille, l'assemblée des représentants, informée que les boulangers allaient sur les routes au-devant des voitures de farine, et s'en emparaient, invitait le Châtelet à faire tout ce qui était de son ministère pour arrêter et punir les coupables. Enfin, on afficha le décret de l'assemblée, sanctionné par le roi, sur les grains. L'article suivant de Marat en fera connaître la teneur, et donnera en même temps une idée de l'esprit dans lequel le peuple étudiait les actes de la cour.

<< Il paraît une déclaration du roi, pour sanctionner et faire exécuter divers articles de l'assemblée nationale, concernant la sortie et la circulation des grains, en date du 27 septembre, enregistrée en parlement le 30 du même mois. Après un préambule dérisoire, le ministre favori y fait prendre au monarque l'ancien style des despotes. Il y présente le souverain (la nation) en suppliant, devant son simple mandataire, protocole insultant à la majesté d'un peuple libre, et dont il aurait bien dû s'abstenir encore quelque temps. Rapportons-en les propres termes :

«L'assemblée nationale, partageant notre sollicitude et nos alarmes sur la cherté des grains et les difficultés qu'éprouve leur circulation dans l'intérieur du royaume, a cru devoir décréter diverses dispositions, qu'elle nous a supplié de sanctionner; à ces causes et autres, à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons dit, déclaré, et ordonné, et par ces présentes signées de notre main, disons, déclarons, et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit : » Quant à la science certaine du prince, on ne sait pas trop à quoi s'en tenir. Quant à sa pleine puissance, grâce à nos dignes délégués, elle est plus formidable que jamais, et ce serait fait de nous pour toujours, si nous n'avions les armes à la main.

« Jetons un coup d'œil sur les principaux articles de cette déclaration :

« Art. Ier. La vente et circulation des grains et farines seront libres dans toute l'étendue de notre royaume. Voulons que toute opposition qui y serait apportée soit considérée comme un attentat contre la sûreté et la sécurité du peuple, et que ceux qui s'en ren

draient coupables soient poursuivis extraordinairement, et punis comme perturbateurs de l'ordre et du repos public. » Ce sont donc les agents du ministre qu'il faudra punir comme perturbateurs; et quelque peine qu'on leur inflige, on n'aura pas à craindre d'avoir puni des innocents. Au demeurant, les dispositions de cet article sont excellentes pour endormir les hommes peu éclairés, et leurrer les hommes clairvoyants eux-mêmes, si on ignorait encore que, pour se soustraire à la fureur du peuple, les agents du ministre parcourent la campagne, et enlèvent, par les mains vénales d'un grand nombre de paysans, les grains de tous les marchés, où les meuniers n'ont la liberté d'acheter que deux heures après qu'ils sont ouverts, c'est-à-dire qu'ils sont vides. Ces rubriques des accapareurs ministériels sont connues. Celles que le ministre emploiera pour soustraire ces misérables au châtiment, le sont de même; mais il serait bon de les tenir sans cesse sous les yeux du public, jusqu'à ce que l'indignation l'ait porté à venger ses droits.

<< II. Toute exportation de grains et de farines hors du royaume sera et demeurera, par provision, défendue jusqu'à ce que, par nous, il en ait été autrement ordonné, sous pareille peine contre les contrevenants, d'être poursuivis extraordinairement et punis comme perturbateurs du repos public. » — Observons, au sujet de cet article et du précédent, que le monarque s'y arroge le pouvoir suprême législatif, en statuant de son chef sur les cas où il dérogera à la loi : attentat d'autant plus révoltant, qu'il est commis sous les yeux mêmes du législateur, et que le prince paraît se jouer de la constitution, avant même qu'elle soit achevée.

« Observons encore, au sujet de cet article, que le législateur y viole la sûreté publique, en menaçant les délinquants de poursuites extraordinaires, arme terrible du despotisme, tout citoyen ne devant redouter jamais que les peines portées par la loi.

<< Au moment même où l'on proclame cette déclaration, les suites cruelles d'une administration tyrannique se font sentir plus que jamais. Quoi toujours les boutiques des boulangers assiégées! toujours les horreurs de la famine à redouter, toujours le gouvernement accaparant les grains, et nous enlevant ceux du royaume, pour nous vendre ceux de l'étranger, et pour nous faire acheter au poids de l'or du pain qui nous empoisonne ! Il n'est que trop certain, mais pourra-t-on le croire, dans un temps où les greniers de la France regorgent de grains excellents, le ministre favori continue à en faire venir à grands frais de l'Angleterre! Du Havre à Étampes et d'Étampes à Versailles, les chemins sont couverts d'une foule

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