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jusqu'ici, et je ne souffrirai pas que vous outrepassiez votre droit. Ayons la bonne foi de tenir ce langage, et nous serons bientôt d'accord. Mars est le tyran, mais le droit est le souverain du monde. Débattons, sinon fraternellement, du moins paisiblement; ne nous défions pas de l'empire de la vérité et de la raison : elles finiront par dompter, ou, ce qui vaut mieux, par modérer l'espèce humaine, et gouverner tous les gouvernements de la terre.

Suivant l'orateur, l'assemblée n'a pas voulu l'exécution soudaine des arrêtés du 4 août. Dans ce cas, sans doute, le roi aurait le droit d'aviser; mais l'assemblée n'a fait que consacrer des maximes générales, dont la vérité et la justice sont incontestables. L'orateur cite comme exemples le principe de la non vénalité des offices, de l'abolition de la dime. Ce sont là des vérités que le roi ne peut, ne doit pas nier; il n'a ni le droit ni l'intérêt de s'opposer à la déclaration de telles maximes.

Cette observation s'applique à tous vos arrêtés du 4 août. Encore une fois, on aurait pu ne pas demander au roi de les sanctionner; mais puisqu'on l'a fait, puisque les imaginations, permettez-moi de m'exprimer ainsi, sont en jouissance de ces arrêtés; puisque, s'ils étaient contestés aujourd'hui, les méfiances publiques, les mécontentements presque universels en seraient très-aggravés; puisque le clergé, qui perdrait le droit de remplacement des dîmes, n'en aurait pas moins perdu les dîmes de fait; puisque la noblesse, qui pourrait refuser de transiger sur les droits féodaux, ne se les verrait pas moins ravir par l'insurrection de l'opinion, nous sommes tous intéressés à ce que la sanction pure et simple de ces arrêtés, réprimés par l'effet de nos propres réserves, rétablisse l'harmonie et la concorde. Alors nous arriverons paisiblement à la promulgation des lois, dans la confection desquelles nous prendrons en trèsrespectueuse considération les observations du roi, et où nous mesurerons avec beaucoup de maturité les localités et les autres difficultés de détail plus nécessaires à considérer dans l'application des maximes constitutionnelles, que dans leur énonciation.

J'appuie donc la motion de M. Chapelier, et je demande que votre président recoive l'ordre de se retirer de nouveau auprès du roi, pour lui déclarer que nous attendons, séance tenante, la promulgation de nos arrêtés.

La discussion se prolongea sans résultat, et la question fut ajournée. La nouvelle de cet ajournement eût, un mois auparavant, causé une émeute. Mais le Palais-Royal était dissous ou surveillé; les districts occupés d'affaires d'administration, et surtout de sub

sistances; et, le 19 septembre, l'assemblée des trois cents nouveaux représentants de la commune prenait séance, et prêtait serment en des termes vagues, parfaitement en rapport avec l'incertitude du rôle qu'elle devait remplir: Nous jurons, dirent-ils, et promettons de remplir fidèlement les fonctions qui nous ont été confiées. La presse elle-même ne fut pas bruyante comme elle le devait elle manquait de hardiesse; n'ayant plus l'appui populaire, elle n'avait pas encore celui de la loi. Marat seul ne fit pas défaut.

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« Je supplie mes lecteurs, disait-il, je les supplie d'observer avec soin que les articles à sanctionner, sur lesquels le roi, ou plutôt ses ministres, ont élevé des difficultés, sont ceux de l'indemnisation des redevances pécuniaires, de la suppression des dîmes avant d'avoir pourvu aux besoins des prélats, de la suppression de la vénalité des charges, de la suppression des pensions, etc. Ils n'ont donc eu en vue, dans ce refus de sanction, que de se ménager un parti formidable, le clergé, l'ordre de Malte, les tribunaux, les négociants, les financiers et la foule innombrable des créatures que le prince achète des deniers de l'État.

« Je les supplie aussi d'observer qu'en refusant d'exécuter à la rigueur le décret sur la circulation et l'exportation des grains, ils cherchent à se ménager le moyen de continuer à les accaparer, et de réduire le peuple à la famine.

<< Je les supplie encore d'observer qu'ils n'attendent que le travail sur les finances pour arrêter les travaux de l'assemblée nationale, réduire en fumée le grand œuvre de la constitution, et remettre le peuple dans les fers.

<< Voilà donc enfin mes craintes sur les dangers de la fausse marche que l'assemblée suit depuis deux mois, justifiées par l'évé–

nement...

<< Voilà donc le prince rendu l'arbitre suprême des lois, cherchant à s'opposer à la constitution avant même qu'elle soit ébauchée.

<< Voilà donc ces ministres si ridiculement exaltés, ne songeant plus qu'à remettre dans les mains du monarque les chaînes du despotisme que la nation en a fait tomber. » (L'Ami du peuple, no X, 20 septembre.)

« Si l'on considère que ces beaux sacrifices (du 4 août) ont été proposés au moment même où il n'y avait plus qu'à recueillir les voix pour délibérer sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, on sera tenté de craindre que la confiante loyauté des députés du tiers état n'ait été exposée aux entreprises de la politique, convérte du masque du patriotisme. Et de fait, comment n'ont-ils

pas senti que tous ces sacrifices, annoncés avec art, ne sont que des conséquences nécessaires des lois fondamentales à établir? Comment n'ont-ils pas senti que le corps législatif ne doit procéder au bien des peuples que par des lois générales (1)?...» (Ami du peuple.)

Pour apprécier la portée et connaître le retentissement des observations de l'Ami du peuple, il faut savoir que ce journal mal écrit, mais qui ne manquait pas de sens, avait déjà un nombreux public. A cette époque, on lisait énormément, car on ne lisait que les écrits qui traitaient des affaires publiques; l'attention n'était pas éparpillée, ainsi qu'aujourd'hui, sur une multitude de livres vides et sans portée, et qui n'ont d'autre résultat que d'exciter et d'épuiser l'imagination sur de mauvaises et de stériles pensées.

Pour terminer cette question, nous dirons que le lendemain samedi l'assemblée arrêta que le président se retirerait par devers le roi pour supplier Sa Majesté de faire promulguer les arrêtés du 4 et en même temps l'arrêté relatif à la libre circulation des grains, qui avait été pris dans la séance du vendredi au soir; le lundi 21 septembre elle reçut la réponse suivante :

« Vous m'avez demandé, le 15 de ce mois, de revêtir de ma sanction vos arrêtés du 4 et jours suivants. Je vous ai communiqué les observations dont ils m'avaient paru susceptibles; vous m'annoncez que vous les prendrez dans la plus haute considération, lors de la confection des lois et des détails qui doivent être la suite de vos arrêtés; vous me demandez en même temps de promulguer ces mêmes arrêtés; la promulgation appartient à des lois rédigées et revêtues de formes qui doivent en procurer l'exécution; mais, comme je vous ai déjà dit que j'approuvais l'esprit général de ces arrêtés, et le plus grand nombre en entier, et comme Je me plais à applaudir au sentiment patriotique qui les a dictés, je vais en ordonner la publication dans tout mon royaume. La nation y verra, comme dans ma dernière lettre, l'intérêt dont nous

(1) « Un inconvénient bien fâcheux de cette fausse marche est que le corps législatif ne s'est occupé qu'à détruire, sans réfléchir combien il était indispensable de construire le nouvel édifice avant de démolir l'ancien. Abolir était chose aisée mais aujourd'hui que le peuple ne veut payer aucun impôt qu'il ne con. naisse son sort, comment les remplacer? Et comment, dans ces jours d'anarchie, pourvoir aux besoins pressants des vrais ministres de la religion? Comment soutenir le poids des charges publiques? Comment faire face aux dépenses de l'État ? « Un autre inconvénient de cette fausse marche du corps législatif est d'avoir négligé le soin des choses les plus urgentes; le manque de pain, l'indiscipline et la désertion des troupes, désordres portés à un tel degré, que, sous peu, nous n'aurons plus d'armée, et que les peuples sont à la veille de mourir de faim. » (Note de Maral.)

sommes animés pour son bonheur et je ne doute point, d'après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés. J'accorde ma sanction à votre décret concernant les grains. >>

A la fin de la séance orageuse du vendredi, qui s'était terminée par l'ajournement de la motion de Chapelier, Volney avait pris la parole: « M. de Volney s'élève contre les motifs d'intérêt particulier qui s'opposent constamment dans l'assemblée à l'intérêt général, et propose une motion dont l'objet est d'engager l'assemblée à s'occuper sans délai de l'organisation des nouvelles législatures et de l'énonciation des qualités nécessaires pour être électeur et éligible. L'assemblée alors ordonnera une élection générale, et de nouveaux représentants viendront remplacer ceux qui sont actuellement en activité. (Applaudissements, marques presque · universelles d'adhésion.) »

<< Volney en faisant cette motion, dit M. de Ferrières, n'avait consulté que sa haine contre les nobles et les prêtres... mais les nobles et les prêtres l'appuyèrent parce qu'ils pensaient que dans les circonstances actuelles, une convocation nouvelle serait la ruine de la constitution. » Ils se trompaient sans doute, et la presse révolutionnaire comprenait mieux la situation. Marat applaudit de toutes ses forces à la motion. Voici l'article de Loustalot à ce sujet :

<< Nos représentants, dit-il, ne sont point, comme en Angleterre, les souverains de la nation : C'est la nation qui est le souverain..... Le peuple a le droit de révoquer ses représentants;... usons de ce droit..... Un article du 4 août commence ainsi : L'assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Or, n'est-ce pas par le régime féodal que la noblesse et le clergé ont une représentation égale à celle des communes? et jamais la féodalité a-t-elle donné un droit plus abusif, plus, révoltant aux 400,000 hommes qui composent les deux ordres privilégiés, que celui de concourir à la formation de la constitution, en proportion égale avec 23 millions d'hommes? Les grands enfants qui sont dans l'assemblée nationale rappellent à l'ordre quiconque prononce le mot d'ordres; mais ne voit-on pas que, par la représentation actuelle, la distinction des ordres existe toujours? L'assemblée n'est point nationale dans ce moment; elle est féodale. Elle ne sera nationale que lorsqu'on aura adopté la divine motion de M. de Volney, et qu'on ne verra plus dans l'assemblée des magistrats qui plaident la cause des parlements, des nobles qui stipulent pour la noblesse, des prêtres qui

ne se croient députés que du clergé, des membres des communes qui feignent de nous défendre pour que l'on nous trouve sans défense; enfin des hommes avides d'argent, qui font des journaux pour leurs motions, et des motions pour leurs journaux. »

SÉANCE DU SAMEDI 19 SEPTEMBRE. L'assemblée décide qu'elle fera imprimer toutes les semaines l'extrait du registre des dons patriotiques, qui deviennent de jour en jour plus nombreux.

La question de la sauction des arrêtés du 4 août n'était pas terminée; M. le vicomte de Mirabeau demande la priorité pour la motion présentée par M. de Volney.

M. de Volney retire sa motion.

Cependant le vicomte de Mirabeau insiste et il finit par obtenir la parole:

M. le vicomte de Mirabeau. Les applaudissements donnés à la motion de M. de Volney ont prouvé deux choses : l'une que nous voulons tous le bien, mais d'une manière différente; l'autre, que nous sommes pénétrés de l'impossibilité d'y parvenir à cause de la diversité de nos opinions et de nos moyens. Il résulte de cette réflexion, qu'une nouvelle convocation est indispensable; peut-être y aurait-il alors dans l'assemblée nationale plus de propriétaires que d'orateurs, plus de citoyens que de philosophes. Je propose deux amendements à la motion de M. de Volney le premier, qu'aucun membre de l'assemblée actuelle ne puisse être éligible dans la prochaine convocation; le second, que les membres de la session présente ne puissent approcher des lieux où se feront les prochaines élections. Nos dispositions à cet égard nous feront d'autant plus d'honneur, qu'on reconnaîtra que nous nous sommes fait justice.

M. Lavie. Je demande si nous sommes venus ici faire un cours d'épigrammes, et si la tribune est un tréteau.

M. le marquis de Bonnay et M. Madier de Monjau parlent contre la motion. La discussion dévie et va se perdre dans une question de finances.

M. le comte de Mirabeau. Je réponds à celui des préopinants qui a réclamé la priorité pour la motion de M. de Volney.

J'ai toujours regardé comme la preuve d'un très-bon esprit, qu'on fit son métier gaiement. Ainsi je n'ai garde de reprocher au préopinant sa joyeuseté dans des circonstances qui n'appellent que trop de tristes réflexions et de sombres pensées. Je n'ai pas le droit de le louer; il n'est ni dans mon cœur, ni dans mon intention de

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