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la prise de la Bastille. Aussi, la discussion fut excessivement animée. On commença par ajourner l'amendement, soutenu seulement par les amis du duc d'Orléans. Mais à peine cet ajournement eut-il été prononcé que Mirabeau, qui l'avait demandé, proposa de décréter que, pour exercer la régence, il faudrait être né en France. Alors la discussion recommença sur la maison d'Espagne, et se prolongea, sans résultat, pendant les séances du 15 et du 16. Une foule de motions furent présentées. On les écarta successivement. Celle de M. Target, qui voulait qu'on ajoutât à l'article proposé ces mots : sans rien préjuger sur l'effet des renonciations, fut combattue par Mirabeau, et rejetée également. Enfin, on vota, dans la séance du 17, la proposition pure et simple qui déclarait la personne du roi inviolable, et la couronne héréditaire.

Dans la séance du 15 au soir on s'occupa de la question des grains. Le rapporteur de la commission des subsistances apporta un projet d'arrêté qui ordonnait de nouvelles mesures pour empêcher l'exportation des grains et en assurer la libre circulation à l'intérieur. Il appuya ce projet des considérations suivantes :

« La circulation extérieure est autorisée, et cependant il y a des provinces qui regorgent de b'é, et où le pain se paye 5 sous la livre. Dans d'autres, les laboureurs ne peuvent approvisionner les marchés les routes sont infestées de brigands, les voitures sont pillées, et la sûreté publique n'existe plus. L'exportation n'a jamais été plus sévèrement défendue, et cependant jamais elle ne s'est faite avec plus de vivacité. Les primes que l'on a accordées jusqu'ici n'ont fait que l'encourager. En effet, l'avidité du négociant trouve un nouvel aliment à se livrer à la fraude de l'exportation, pour rapporter ensuite des grains qu'il a eus à bon compte, et qu'il vend à un prix exorbitant, sans compter le bénéfice des primes: c'est ainsi qu'en administration, souvent les causes dont on attend du bien produisent des effets contraires. C'est à la sagesse du ministre à tout calculer, à tout prévoir, à ne pas saisir avec avidité un moyen qui, sous un premier coup d'œil, se présente comme salutaire, mais dont on aperçoit le danger lorsqu'on l'examine dans tous ses rapports. »>

A la suite de ce rapport, il y eut une longue discussion. De nombreux amendements furent présentés et acceptés. L'arrêté, renvoyé au comité de rédaction, ne fut voté que dans la séance du 18, au soir.

Séance du vendredi 18 septemBRE.-M. le président fait lecture de la réponse du roi à la demande qui lui avait été faite de

sanctionner les arrêtés du 4 août et jours suivants. Cette réponse contient en substance ce qui suit :

Vous m'avez demandé, messieurs, de revêtir de ma sanction les articles arrêtés le 4 août dernier plusieurs de ces articles ne sont que le texte des lois dont l'assemblée a besoin de s'occuper; ainsi, en approuvant l'esprit général de vos déterminations, il est cependant un petit nombre d'articles auxquels je ne pourrais donner à présent qu'une adhésion conditionnelle. Je vais vous faire connaître à ce sujet des opinions que je modifierai, et auxquelles je renoncerai même, si, par la suite, je le reconnais nécessaire. Je ne m'éloignerai jamais qu'à regret de la manière de voir et de penser de l'assemblée nationale.

L'abolition des droits féodaux portés par le premier article est juste, en ce qui regarde ceux de ces droits qui dégradent l'homme; mais il est des redevances personnelles qui, sans l'avilir, sont d'une utilité importante pour tous les propriétaires des terres. Il est des redevances représentatives de devoirs personnels; il serait juste et raisonnable de les ranger parmi celles qui sont déclarées rachetables. Cet article comprend d'ailleurs des droits seigneuriaux appartenants à des princes étrangers, qui ont déjà fait des réflexions dignes de la plus sérieuse attention. Il prononce le rachat des droits féodaux réels et fonciers, et je ne puis qu'approuver cette résolution; mais il sera peut-être nécessaire d'établir en faveur de certains droits, qu'ils ne peuvent être rachetés indépendamment les uns des autres. Je vous invite à examiner si l'abolition du cens et des lods et ventes est utile au bien de l'État : ces droits détournent les riches d'acheter les fonds qui entourent leurs propriétés. Ne serait-il pas avantageux de les conserver sous ce rapport? etc. J'approuve l'article II, concernant les colombiers.

J'approuve l'article III, qui détruit le privilége exclusif de la chasse; mais en permettant à tout propriétaire de chasser sur son fonds, il conviendrait d'empêcher que cette liberté ne multipliât le port d'armes d'une manière contraire à l'ordre public. J'ai supprimé mes capitaineries, et j'ai donné des ordres sur les condamnations prononcées pour faits de chasse.

Art. IV. J'approuverai la suppression des justices seigneuriales dès que j'aurai la connaissance de la sagesse des dispositions qui seront prises sur l'organisation de l'ordre judiciaire.

Art. V. J'accepte d'abord le sacrifice offert par les représentants de l'ordre du clergé mes observations portent seulement sur la disposition qu'on doit en faire. Les dîmes ecclésiastiques montent de 60 à 80 millions; et si l'on se borne à la suppression pure et

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simple, c'est une grande munificence au profit des propriétaires des terres dans la proportion de leurs possessions. Mais cette proportion, très-juste dans l'assiette d'un impôt, ne l'est pas tant pour la répartition d'un bienfait. Les négociants, les manufacturiers, les personnes qui se livrent aux sciences et aux arts, les rentiers, et, ce qui est plus intéressant, la classe nombreuse des citoyens qui sont sans propriété, n'auraient aucune part à cette munificence. Cette faveur ne s'étendrait-elle pas sur tous, si dans un moment où les finances sont épuisées, les revenus du clergé supprimés étaient consacrés au secours général de l'État? Il est nécessaire de voir si, le produit des dîmes mis à part, le reste des biens du clergé suffirait au service de l'Église; et l'on ne dit point quel serait l'impôt qu'on établirait en échange, à la charge des terres précédemment soumises à la dime. Ces observations s'appliquent encore aux dîmes des commandeurs de Malte: il faut ajouter que cette puissance existe principalement par les redevances que payent les commanderies.

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L'art. VI, concernant les rentes rachetables, est approuvé.

L'art. VII, qui prononce la suppression de la vénalité des offices, exige de grands sacrifices à raison du remboursement des finances, dont l'État ne paye qu'un léger intérêt, et pour les émoluments à donner aux juges. La sagesse de l'assemblée l'engagera à rechercher les moyens propres à s'assurer que les places seront bien occupées. La suppression de la vénalité ne serait pas suffisante pour rendre la justice gratuite, si l'on ne détruisait encore les droits relatifs à son exercice. Ces droits font une portion importante du revenu de l'État.

Les art. VIII, IX et X, qui suppriment les casuels des curés, les priviléges en matière de subsides, et les priviléges des provinces, sont approuvés ; il en est de même de l'art. XI, qui établit le droit qu'a tout citoyen de parvenir indistinctement aux emplois et dignités.

L'art. XII porte la suppression des annates. Cette rétribution, fondée sur le concordat fait entre la France et le saint-siége, appartient à la cour de Rome. Une seule des parties qui ont contracté ne peut pas rompre ce traité. Je m'occuperai de cette négociation avec tous les égards dus à une puissance alliée et au chef de l'Église.

L'art. XIII a pour objet des attributions faites aux évêchés, aux archiprêtres, aux chapitres : des indemnités paraîtraient peut-être nécessaires.

L'art. XIV proscrit la pluralité des bénéfices; cet article est fort raisonnable.

:

L'art. XV a pour objet la suppression et la réduction des pensions je ne m'oppose point à l'examen qui sera fait de ces grâces, mais je présenterai à l'assemblée les dangers d'une pareille inquisition, les alarmes qu'elle ne manquerait pas de répandre, et le le travail sans fin qu'elle exigerait. Une réduction faite sur des principes généraux serait préférable.

Ainsi j'approuve le plus grand nombre de ces articles, et je les sanctionnerai quand ils seront rédigés en lois.

Un décret pour la liberté de la vente et de la circulation des grains dans tout le royaume, et la défense provisoire de l'exportation à l'étranger m'a aussi été présenté. Je le sanctionnerai; mais je dois prévenir que dans l'état actuel des choses ce serait manquer de sagesse que de vouloir faire exécuter ce décret avec trop de rigidité.

Je vous ai déjà fait demander plusieurs fois, et je vous demande encore d'ordonner de nouveau, et de la manière la plus explicite, la conservation des droits fiscaux et leur exacte perception.

Plusieurs membres des communes demandent l'impression de la réponse du roi, pour qu'elle soit très-promptement envoyée dans les provinces.

L'assemblée délibère que cette impression sera faite en nombre assez considérable, pour que chaque député puisse disposer de quatre exemplaires.

L'impression profonde que cette lecture a faite sur une grande partie de l'assemblée semblait prouver que l'on attendait des dispositions plus décisives dans un moment où les peuples avaient l'espoir de jouir des bienfaits du patriotisme français.

M. Goupil de Préfeln propose de nommer soixante commissaires pour examiner la réponse du roi et en faire le rapport à l'assemblée qui, jusqu'à ce moment, s'interdira toute discussion sur cet objet.

M. Chapelier. Je suis bien loin d'adopter l'établissement d'un comité chargé d'examiner l'espèce de discours du roi. Nous avons fait, le 4 août, des arrêtés qui sont en partie constitutionnels; nous en avons demandé la sanction, et nous enten tions par là la promulgation. Tout ce qui s'est dit à ce sujet devait [éloigner de penser que nous demandions un consentement. Nous n'avons obtenu ni l'un ni l'autre, mais une espèce de conférence que nous ne pouvons agréer. Je propose, pour éviter toute équivoque, de dé

cider toute de suite quels seront les termes et la forme de la sanction, et de ne point désemparer que la promulgation ne soit obtenue.

Cette motion est appuyée par beaucoup de membres, et applaudie avec transport.

M. le vicomte de Mirabeau en demande le rejet.

M. le comte de Mirabeau. Non-seulement la motion de M. Chapelier n'est pas irrégulière, mais elle seule est précisément conforme à la loi que vous vous êtes imposée. On lit dans l'article X du chapitre IV du règlement, ces propres paroles : Toute question qui aura été jugée, toute loi qui aura été portée dans une session de l'assemblée nationale, ne pourra pas y être agitée de nouveau..... Je demande, messieurs, si les arrêtés du 4 août sont ou ne sont pas une question jugée.

Mais j'ai méprisé toute ma vie les fins de non-recevoir, et je ne m'apprivoiserai pas avec ces formes de palais dans une question si importante. Examinons-la donc sous un autre aspect...

Nous ne sommes point des sauvages arrivant nus des bords de l'Orénoque pour former une société. Nous sommes une nation vieille, et sans doute trop vieille pour notre époque. Nous avons un gouvernement préexistant, un roi préexistant, des préjugés préexistants.

Il faut, autant qu'il est possible, assortir toutes ces choses à la révolution, et sauver la soudaineté du passage. Il le faut, jusqu'à ce qu'il résulte de cette tolérance une violation pratique des principes de la liberté nationale, une dissonance absolue dans l'ordre social. Mais si l'ancien ordre de choses et le nouveau laissent une lacune, il faut franchir le pas, lever le voile et marcher.

Aucun de nous, sans doute, ne veut allumer l'incendie dont les matériaux sont si notoirement prêts d'une extrémité du royaume à l'autre. Le rapprochement où la nécessité des affaires suffit pour nous contenir ressemble certainement plus à la concorde que l'état de situation de nos provinces, qui, au poids de nos propres inquiétudes et des dangers de la chose publique, mêlent le sentiment de leurs propres maux, la triste influence de leurs divisions particulières, et les difficultés de leurs intérêts partiels. Traitons donc entre nous; repoussous ces réticences, ces suppositions notoirement fausses, ces locutions manifestement p-rfides, qui nous donnent à tous la physionomie du mensonge, et l'accent des conspirateurs. Parlons clairement posons et discutons nos prétentions et nos doutes; disons, osons nous dire mutuellement : -Je veux aller jusque-là, je n'irai pas plus loin. Vous n'avez droit d'aller que

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