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porte des boulangers était tantôt libre, tantôt assiégée. On se plaignait amèrement du comité des subsistances; on disait que la ville était volée par ses agents inférieurs. En effet, quelques jours plus tard, un sieur Gallet, l'un d'eux, fut arrêté comme prévenu du fait de détournement de farines et de spéculation sur les grains. Nous avons sous les yeux une brochure dont le titre suffit pour indiquer le contenu; elle porte sur la couverture ces mots : L'intrigue du comité des subsistances dévoilée; la condamnation du sieur Gallet, et les amours criminelles de ses juges avec son épouse. Aussi l'assemblée des représentants ordonna que le comité des subsistances apportât sous ses yeux son journal d'achat. Elle fut obligée d'insister, et enfin on lui répondit qu'on n'avait pas tenu de journal, mais qu'on avait des pièces et qu'on allait les mettre en ordre. Pendant que le retentissement de ces débats jetait l'inquiétude dans le peuple, le maire était obligé d'appeler auprès de lui les présidents des soixante districts, pour leur prouver que si l'on courait le risque de manquer de pain, ce ne serait que pour un jour, et qu'on avait du riz pour le remplacer.

L'assemblée émit sur cette affaire, dans les premiers jours de septembre, plusieurs arrêtés qui méritent d'être cités. L'un, du 2 septembre, ordonnait qu'il serait demandé à l'assemblée nationale d'ordonner 1° que chaque fermier fût tenu de porter, chaque semaine, au marché, deux setiers de grains par charrue; 2o que, dans les marchés, après le temps accordé de préférence aux habitants du pays, il soit accordé, aussi de préférence à tous les autres, une heure aux boulangers et marchands de Paris. L'autre avait pour but de sommer M. Necker de faire connaître les achats qu'il avait faits à l'étranger pour Paris, et les mesures prises pour en assurer l'arrivée. Le troisième nommait des commissaires, et déterminait les arrondissements où ils devaient se transporter, afin de faire battre et moudre, sans interruption, des grains pour la capitale. En effet, on savait que la récolte était magnifique, et on expliquait le manque de farines par la lenteur du battage des grains. Cependant, à Versailles, l'approvisionnement ne souffrait point: il n'y avait pas la moindre apparence de disette.

Il nous serait impossible de rapporter en détail les mouvements dont les grains étaient l'occasion démarches des districts; démarches des boulangers; assemblées; consultations; lecture de projets. On alla jusqu'à décider que les fermiers qui se distingueraient par leur zèle seraient mentionnés sur les registres de la commune, etc.

Au travers de ces sérieuses occupations, on doit noter, pour l'histoire, quelques faits qui peignent l'époque.

Les officiers de la garde nationale prêtèrent le serment suivant : Nous jurons et promettons d'être fidèles à la nation, au roi, à la loi et à la commune de Paris.

Les communes des environs de Paris, suivant le plan de municipalité de Brissot, voulurent se fédérer entre elles. Il y eut une assemblée où leurs députés se réunirent, dans le but d'arrêter les bases de cette union. Ils avaient déjà nommé leur maire commun et leur commandant militaire. Les représentants de Paris cassèrent tout ce qui avait été fait, mirent le projet à néant, et allèrent jusqu'à défendre aux journaux de parler de ce fait on leur obéit.

Le 5 septembre', l'assemblée autorisa ses commissaires à faire mettre en liberté les personnes détenues en vertu de lettres de cachet, « lorsque les faits qui avaient servi de motifs à l'ordre et à l'emprisonnement seraient peu graves, ou leur paraîtraient suffisamment expiés par la durée de la détention; sauf, dans les cas graves, et principalement lorsque l'ordre aura été demandé par la famille de la personne détenue (ceci est souligné dans l'original de l'arrêté), à en être, par les commissaires, référé à l'assemblée.

Le 9 septembre, l'assemblée ordonna que tous les soldats qui étaient à Paris sans congé seraient arrêtés et reconduits à leurs régiments. En effet, il arrivait encore tous les jours des déserteurs de divers corps, qui venaient demander à servir dans la garde nationale soldée; mais les cadres étaient remplis.

Le même jour, on supprimale bureau des passe-ports; et on déclara cette précaution superflue.

Enfin, le 11, le comité de police fit défense, sous peine d'être poursuivis comme perturbateurs du repos public, aux garçons apothicaires de mettre à exécution un projet qu'ils avaient de s'assembler, pour délibérer sur leurs intérêts.

Tous les décrets, confiés au zèle de la garde nationale, étaient mis à exécution avec une telle précision et une telle vigueur, que personne ne s'avisa d'enfreindre celui-là. La garde nationale venait d'être organisée par M. Lafayette. Elle se composait de trente et un mille hommes, dont mille officiers, six mille hommes soldés, débris des gardes françaises et des régiments qui s'étaient débandés, et vingt-quatre mille gardes nationaux sans solde. Elle était divisée en six divisions comprenant chacune dix districts. Chaque district fournissait un bataillon de cinq compagnies, dont une, dite du centre était soldée. Les commandants de divisions étaient nommés par les représentants des districts, le commandant général par les

districts eux-mêmes comme le maire. On forma plus tard d'autres compagnies soldées de chasseurs pour garder les barrières, et un corps de cavalerie et un corps de canonniers soldés ; et dans chacun des soixante bataillons une compaguie de grenadiers et une compagnie de chasseurs. L'assemblée même était tellement satisfaite de la sécurité que lui assurait l'énergie du commandant en chef. qu'un jour, par acclamation, elle vota pour M. de Lafayette un traitement de 180,000 fr. par an, et une indemnité immédiate de 100,000 fr. M. de Lafayette refusa. Mais, dans le public, on prit occasion de ce mouvement des représentants pour faire le procès à l'esprit qui les animait : Quoi! disait-on, ces gens sont si malappris, qu'ils ne croient pouvoir payer des services qu'avec de l'argent! ils ne savent donc pas ce que vaut l'estime publique, la conscience de bien faire, le dévouement, etc.?

Bailly prit autrement la chose. « L'assemblée, dit-il, dans ses Mémoires, pour ne donner une marque de sa défaveur, imagina aujourd'hui de régler le traitement du commandant général. D'abord, il était de la bienséance de songer au chef civil, qui est le premier, le chef militaire n'étant que le second. Il était facile de juger, sur les seules apparences, entre M. de Lafayette et moi, lequel pouvait être le plus pressé d'être indemnisé. Les dépenses de l'entrée, avaient été, en effet, énormes pour moi; j'étais arrivé avec 9 ou 10,000 fr. comptants que j'avais par hasard, et qui étaient en partie destinés à des payements. Mon receveur m'avait avancé 3,000 fr.; c'est avec cela que j'avais vécu. Les échevins m'avaient bien proposé de toucher les appointements de prévôt des marchands, qui, me disaient-ils, étaient de 5,000 fr. par mois. Tout était changé. Je voulus ne rien toucher jusqu'à ce que la commune eût réglé le traitement du maire... Mais, ce qui est le comble de l'inconséquence, c'est d'aller offrir à M. de Lafayette, riche, et à qui un état de maison n'etait point nouveau, et ne pouvait peser comme à moi, une indemnité de 100,000 fr., comme si, depuis six semaines qu'il était en place, il avait pu les dépenser. »

Ce fut à cette époque, si pleine d'événements de toute espèce, que les patriotes commencèrent à détourner leurs regards du spectacle de la France, et à les jeter sur les pays étrangers. Ils y furent attirés par la persistance des princes émigrés à séjourner dans ces contrées. «Leurs voyages de cour en cour ont pour objet, écrivait Loustalot le 12 septembre, de former une confédération entre plusieurs princes, pour venir, à la tête des troupes qui leur seront prêtées, fondre sur la France, et profiter de ses divisions intestines pour rétablir l'aristocratie.

« Ce projet doit plaire à tous les despotes, à tous les aristocrates de l'univers; et la confédération doit d'autant moins éprouver d'obstacles, que les princes doivent sacrifier toutes leurs animosités à l'intérêt de tenir les peuples dans l'asservissement.

«Cependant, on ne parle encore que de probabilités. L'empereur fait la paix avec le sultan, c'est pour venir soutenir un parti (celui de la reine), dont il est l'âme secrète et invisible. Le roi de Prusse fait avancer sur les frontières de France et de l'Empire une armée de cinquante mille hommes, qui seront suivis de six mille Hessois et de quelques autres troupes des cercles. Son prétexte est d'empêcher l'introduction du mal français, qui a déjà pénétré à Nuremberg, à Cologne et à Trèves. Le roi de Sardaigne ne peut pas refuser des secours à un gendre (le comte d'Artois) qui les sollicite. Une de ses filles s'est déjà retirée près de lui. Madame va se rendre aussi à la cour de son père. L'Espagne a déjà fait des tentatives auprès du ministère anglais.

« Voilà donc, s'il faut en croire les gens qui lisent les journaux anglais et allemands, une ligue formée, ou du moins prête à se former entre quatre grandes puissances. Cinquante mille Espagnols nous attaqueront au midi, pendant que les Prussiens entreront par le nord de la France. L'Alsace verra l'empereur à la tête de toutes les forces qu'il employait contre les Turcs. Le Dauphiné et les provinces voisines seront contenues par vingt-cinq mille Italiens, etc.>>

Il était d'autant plus probable que telles étaient les intentions des souverains des États despotiques du continent, que le feu de l'insurrection se propageait hors de nos frontières. Les Liégeois venaient de prendre la cocarde patriotique. Le 18 août, ils avaient marché en armes sur l'hôtel de ville; puis, après avoir chassé les bourgmestres et les conseillers qui y siégeaient, en avaient élu d'autres. De là ils avaient couru s'emparer de la citadelle; les soldats s'étaient joints à eux. Enfin, la bourgeoisie alla trouver l'archevêque, prince temporel de Liége; elle obtint de lui la renonciation à ses priviléges pécuniaires, et l'approbation de tout ce qu'avait décidé le peuple.

Dans le canton de Genève, on venait de voir avorter un mouvement plus grave. Les montagnards, persuadés que les mots de liberté et d'égalité emportaient l'idée de partage des biens, s'attroupèrent et s'avancèrent sur Ferney, afin d'y établir ce qu'ils croyaient réalisé en France. La garnison et la bourgeoisie de Genève marchèrent contre eux avec du canon; et l'attroupement fut dissipé.

Lyon éprouva comme un contre-coup de cet événement. On vou

lait que les bourgeois rendissent leurs armes en descendant la garde. Une compagnie s'y refusa. Alors, tout le peuple s'assembla sur la place des Terreaux. On fit marcher des Suisses sur le rassemblement, il y eut quelques pierres jetées, quelques coups de fusil de tirés; deux personnes, disait-on, furent tuées, et plusieurs blessées. Cependant, les troupes fraternisèrent avec le peuple, et la bourgeoisie conserva ses armes.

<< Français ! s'écrie Loustalot à ces nouvelles, Français ! ce ne sont pas les attaques étrangères que nous devons craindre; nous leur devrions peut-être un jour notre salut... Vous, Parisiens, qui avez pris la Bastille d'assaut en quatre heures, qui avez formé dans un seul jour une armée de trois cent mille hommes, vous seuls, s'il le fallait, vous sauveriez la patrie!

<< Louis XIV disait à Villars: Si vous étes vaincu, écrivez-moi ; je traverse Paris votre lettre à la main; je connais les Français ; j'irai vous joindre avec deux cent mille hommes nous vaincrons, ou nous nous ensevelirons sous les ruines de la monarchie!... Français ! ce que vous auriez fait pour Louis XIV, vous le ferez pour vousmêmes; ce que vous auriez fait pour sa gloire, vous le ferez pour votre liberté. »

En effet, la France donnait tous les jours des preuves de patriotisme. On savait que l'État était obéré, et les dons patriotiques pleuvaient sur le bureau du président de l'assemblée nationale. On ouvrait des souscriptions dans les villes, dans les districts, partout. Ce furent des dames de la bourgeoisie de Paris qui donnèrent le signal de ce mouvement; elles étaient venues le 7 en députation à Versailles présenter à l'assemblée une cassette qui renfermait des bijoux d'une valeur considérable. Cet exemple fut imité, en sorte que chaque séance commençait par la lecture d'une assez longue série de dons de toute nature, de bijoux, de pensions, de rentes, de prélèvements sur des revenus, etc. Comme cette énumération quotidienne employait un temps précieux, on décida qu'il en serait fait une liste générale, qui serait rendue publique à des époques assez éloignées. Nous trouvons, sur la première de celles qui furent publiées une annotation, que nous transcrivons tout de suite, bien qu'elle soit du 3 octobre, parce que nous n'aurons plus occasion de revenir sur ce sujet; il s'agit d'un don de bijoux fait par une femme. Il était accompagné d'une lettre ainsi conçue : « Messeigneurs, j'ai un cœur pour aimer; j'ai amassé quelque chose en aimant; j'en fais entre vos mains l'hommage à la patrie : puisse mon exemple étre imité par mes compagnes de tous les rangs. » La mention honorable de rigueur fut accordée à cette démarche.

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