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et la noblesse conservaient leurs priviléges. Cette fameuse nuit du 4 au 5 août, le roi eût dit: Je la retranche du nombre des nuits, je défends qu'on en invoque les décrets, j'annule tout veto! En vain l'assemblée générale aurait supprimé les fermiers généraux et la gabelle, le roi aurait pu dire: Veto. Voilà pourquoi M. Treilhard, avocat des publicains, a défendu le veto jusqu'à extinction de voix. Il a bravé l'infamie et a dit, comme M. Pincemaille, dans Horace :

Populus me sibilat, et mihi plaudo

Ipse domi, nummos simul ac contemplor in arcâ.

«Il semble, en vérité, dit ailleurs Desmoulins, que Paris n'ait couru en juillet que des dangers imaginaires. Est-ce qu'il n'y avait pas une conspiration? Que signifiaient ces deux régiments d'artillerie, ces cent pièces de canon, ce déluge d'étrangers, ce régiment de Salis-Samade, Chateauvieux, Diesbach, Royal-Suisse, Royal-Allemand, Roemer, Berchigny, Esterhazy, cette multitude de hussards et d'Autrichiens altérés de pillage, et prêts à se baigner dans le sang de ce peuple si doux, qu'aujourd'hui même à peine peut-il croire à l'existence de ce complot infernal. Mais comment n'y pas croire? est-ce qu'on n'avait pas transporté trois pièces d'artillerie jusque sur la terrasse du jardin d'un citoyen à Passy, parce qu'on l'avait trouvée propre à canonuer de là les Parisiens, sur ce même quai où Charles IX les avait arquebusés, il y a deux cents ans? Est-ce que Besenval ne s'est pas mis en fureur à la nouvelle du renvoi de M. Necker, parce que c'était sonner, avant le temps, les vêpres siciliennes?... On a développé leur plan d'attaque dans le Courrier de Versailles à Paris, dans le Point du jour, etc. Moi-même j'ai entendu de respectables militaires, des officiers généraux, obligés de s'avouer à eux-mêmes qu'il n'est que trop vrai qu'une cour aussi corrompue que celle de Catherine de Médicis était aussi sanguinaire.

« Ces petits-maîtres et petites-maîtresses, si voluptueux, si délicats, si parfumés, qui ne se montraient que dans leurs loges ou dans d'élégants phaétons, qui chiffonnaient dans les passe temps de Messaline et de Sapho, l'ouvrage galant de la demoiselle Bertin, à leurs soupers délicieux... le plan de Paris à la main, montraient gaiement comme le canon ronflerait des tours de la Bastille; comme des hauteurs Moutmartre, les batteries choisiraient les édifices et les victimes, comme les bombes iraient tomber paraboliquement dans le Palais-Royal. J'en demande pardon à M. Bailly, cet excellent citoyen, ce digne maire de la capitale; mais il sait bien que le 4

TOME II.

maire de Thèbes, Épaminondas, au rapport de Cornélius Népos, ne se serait jamais prêté à un mensonge, même pour ramener le calme. A qui fera-t-il croire que la plate-forme de Montmartre n'ait pas été destinée uniquement à nous foudroyer et qu'elle puisse servir à un autre usage? Bons Parisiens, il y avait donc contre vous une conspiration exécrable... Puisque la trahison est avérée, pourquoi s'enquérir si peu des traîtres?... cela est vieux, dit-on, et devrait être oublié. Mais, s'imagine-t-on que je ne me souvienne plus que le sieur de Messemy, figurant aujourd'hui parmi les représentants de la commune, était le féal du sieur Barentin et le directeur de la librairie? S'imagine-t-on que j'aie oublié que dans la consternation de la capitale, le dimanche 12 juillet, quand les plus zélés patriotes parmi les électeurs, conjuraient M. de La Vigne, leur président, de sonner à l'instant le tocsin et de convoquer leur assemblée générale, ce pusillanime président les désespéra par ses refus, et, malgré les reproches les plus durs qu'il essuyait de ces zélateurs du bien public, sut reculer encore de vingt-quatre heures, en temporisant, une assemblée dont la tenue était si urgente, et qu'il reculait déjà depuis plusieurs jours malgré le murmure général? S'imagine-t-on que j'aie oublié que le sieur de Beaumarchais était l'intime du sieur Lenoir, cet honnête lieutenant de police?... >>

Les journaux patriotes se plaignaient en effet que l'autorité municipale fit arrêter chaque jour quelques citoyens pour les actes les plus indifférents d'opposition. On avait saisi un homme au café de Foy parce qu'il distribuait quelques exemplaires d'une brochure qu'il avait faite; un autre, parce qu'il lisait tout haut un journal; un autre qui se promenait dans le jardin, parce qu'il parlait trop haut; d'autres dans les rues; les patrouilles allaient faire la police jusque dans les cafés: elles le tentaient au moins. L'une d'elles fut repoussée au café Procope, etc. (Révolutions de Paris.) Eufin on arrêtait des malheureux pour fraude des droits de gabelle. On se plaignait que les détenus fussent renvoyés devant un tribunal de l'ancien régime, la Prévôté et le Châtelet, composé de juges ennemis de la révolution, et non devant des jurés. En eff t, par arrêté des représentants de Paris, les tribunaux avaient repris séance. Il est vrai que M. Lafayette avait proposé de suspendre le jug ment des délits politiques jusqu'au moment où la justice pourrait être administrée par une institution plus en rapport avec les principes modernes Mais cette proposition avait été sans résultat, même dans l'assemblée nationale, où elle fut portée. On se plaignait que des patrouilles se permissent de saisir même les brochures et les journaux marqués du visa de la ville. Ainsi quelques paquets du journal

très-modéré de Prudhomme furent confisqués. Loustalot voyait dans cette conduite un système qu'il appelait le despotisme bourgeois, ayant pour but de substituer l'aristocratie des riches à celle des nobles.

Cependant les garçons cordonniers purent s'assembler, sans être troublés, aux Champs-Élysées; on se borna à les surveiller. Ils arrêtèrent entre eux le prix du travail, et nommèrent un comité chargé de veiller à l'intérêt commun, et de recueillir et distribuer une cotisation convenue, destinée à subvenir aux besoins de ceux d'entre eux qui se trouveraient sans ouvrage.

Mille objets d'intérêt local détournaient la commune et les districts des questions d'intérêt général. Les deux principaux étaient relatifs aux subsistances et à l'organisation de la municipalité. L'un et l'autre méritent quelque attention de notre part. Nous nous occuperons d'abord de la question municipale; elle est intéressante à plusieurs titres dans cette histoire parlementaire.

L'assemblée des représentants de la commune nommée, en même temps, pour administrer la ville et pour rédiger un plan de municipalité, vivait dans le provisoire. Elle avait arrêté, le 24 août, un règ'ement pour l'organisation de l'assemblée des représentants de la commune, jusqu'à l'établissement définitif de la constitution muni– cipale. Ce règlement offrait seulement des dispositions relatives à l'ordre intérieur des délibérations, au nombre et à l'élection des comités. On ne s'y était nullement occupé de déterminer les attributions du conseil municipal; aussi ce conseil, ainsi que nous l'avons vu et que nous le verrons encore, se les donnait toutes, même celles de la politique générale. L'insuffisance du règlement était parfaitement sentie. De semaine en semaine, l'assemblée des représentants appelée à s'occuper des matières les plus nombreuses, était obligée, pour répondre à ces nécessités nouvelles, d'augmenter le nombre de ses membres, et de faire appel aux districts. Elle leur avait successivement demandé d'élire soixante représentants de plus et soixante suppléants, et ces additions se trouvaient encore insuffisantes; il était facite de reconnaître que ces besoins sans cesse renaissants étaient l'effet d'un défaut d'ordre auquel on ne savait suppléer qu'en multipliant les commissions. Un plan de municipalité, rédigé par une commission, fut donc imprimé et distribué. Ce projet établissait un conseil général de trois cents personnes, un petit conseil de soixante, et un bureau administratif de vingt et un. L'assemblée arrêta, le 28 août, qu'elle s'en occuperait sans désemparer, et que « le plan de municipalité serait précédé d'un préambule qui contiendrait la déclaration des droits de la commune. » Mais elle fut

détournée de cette occupation par les événements extérieurs, et le 30 août elle prit l'arrêté suivant : « Les districts sont invités à accepter provisoirement le projet de plan de municipalité à eux envoyé par l'assemblée, dans la partie qui concerne l'organisation de l'assemblée générale des représentants de la commune, du conseil et du bureau de la ville. Ils sont invités en conséquence à nommer, dans la huitaine, cinq députés, à l'effet, par l'assemblée de ces trois cents députés, de nommer immédiatement le conseil de ville et ses officiers, et d'organiser les divers départements. — Les districts sont pareillement invités à adopter provisoirement la partie du plan de municipalité qui les concerne, etc., en conséquence, à nommer aussitôt leurs comités et officiers de district... Que les membres de l'assemblée future des trois cents qui resteront après l'élection des officiers du conseil des soixante, s'occuperont de l'examen du plan, le modifieront d'après les observations des districts; et, après l'avoir arrêté, le présenteront aux districts pour avoir leur sanction. Cette approbation obtenue, ainsi que celle du pouvoir législatif, le plan sera alors mis en exécution définitive. Les districts sont avertis que, quelque plan qu'ils adoptent, la municipalité doit, il est vrai, concentrer le pouvoir en peu de mains, mais que ce pouvoir doit être toujours surveillé par un conseil assez nombreux pour prévenir toute oligarchie, etc. »

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Toutes ces choses furent exécutées, c'est-à-dire qu'une assemblée de trois cents membres remplaça celle des cent quatre-vingts ou deux cent quarante; que les districts discutèrent des plans de municipalité. Bailly leur envoya le sien.

Suivant Bailly (Mémoires, t. III, p. 69), l'assemblée avait eu tort de ne pas remettre la délibération tout entière aux districts, en se chargeant seulement de recueillir les voix. «Si elle eût eu seule le pouvoir de lui donner force de loi, sans doute, il aurait fallu que tout entière elle en fît l'examen : mais cette force de loi, même provisoire, ne pouvait être donnée que par les seuls districts...; elle devait sentir quelles longueurs allait entraîner la discussion d'un long projet, discussion sans cesse mêlée aux affaires instantes de l'administration.

<< Brissot (1) avait fait un préambule au plan de municipalité, qu'il donne dans un de ses journaux, et qui dévoile bien des choses. Il établissait 1° «< Que les habitants d'une même cité ont le droit de se constituer par eux-mêmes en municipalité, c'est-à-dire, d'établir

(1) Brissot était l'un des représentants de la commune, et membre de la commission du projet de municipalité.

une administration et une police pour tout ce qui peut être commun entre eux comme habitants de la cité; 2o que les cités d'une même province ont pareillement le droit inaliénable d'établir une administration provinciale pour tout ce qui peut être commun entre toutes ces cités ; 3° que les assemblées municipales et provinciales doivent être, quant à leur objet et à leur pouvoir, bien distinctes et séparées de l'assemblée nationale, qui ne doit embrasser que les objets communs à la généralité du royaume ; · que néanmoins les principes sur lesquels doivent être appuyées ces administrations municipales et provinciales, ainsi que leurs règlements, doivent être entièrement conformes aux principes de la constitution nationale; que cette conformité est le lien fédéral qui unit toutes les parties d'un vaste empire.» (Patriote français, no 16.)

« Les passages soulignés, continue Bailly, le sont dans l'original. Maintenant, je demande pourquoi ils le sont, surtout le mot fédéral; je demande s'il ne résulte pas de ce plan un grand État populaire, partagé entre trente ou plus de républiques, partagées ellesmêmes en quarante-quatre mille petites républiques, et toutes unies par un lien fédéral. »

«Il était cependant instant, dit ailleurs Bailly, de mettre un terme à l'anarchie extrême qui résultait de ce que chaque district agissait comme une commune séparée. » Il en cite une multitude d'exemples, les mêmes que nous avons notés nous-mêmes. En effet, le désordre était à ce point, qu'il fallut un arrêté spécial des représentants pour empêcher que les sections allassent se fournir directement de munitions à la poudrière. Un district, le 5 août, avait pris un arrêté pour demander qu'on mît un terme à cet état de choses, envisageant avec effroi, dit le préambule, les funestes conséquences des idées qui, si elles n'étaient pas détruites, diviseraient la capitale en soixante républiques indépendantes. Mais pour cela il ne fallait pas recourir à des projets qui, en multipliant hors de mesure le nombre des officiers, multipliaient les discussions et amoindrissaient l'activité nécessaire à l'administration des affaires. Parmi les plans qui furent présentés, l'un d'eux, celui de M. de la Métherie, proposait un grand conseil de douze cents membres, et un petit composé de cent soixante et onze.

Ces questions réglementaires furent partout interrompues par l'affaire des subsistances. Il n'y avait pas une séance de la commune où il n'en fût question, et où il ne fût pris quelque arrêté. Il ne se passait pas un jour où il n'y eût quelque trouble à la halle. Il avait été nécessaire d'y établir un corps de garde; le piquet fut augmenté successivement le 10 il était de six cents hommes. La

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