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d'indignation: A bas! non, non, infâme! On lisait un plan de constitution avec veto, sénat, etc. Les cris du dehors répondaient à ceux du dedans. La patrouille a cru qu'il y avait du tumulte; elle est entrée dans le café la vue des armes a effrayé quelques auditeurs. Ils ont cassé les carreaux pour sortir par les fenêtres plusieurs ont été blessés par le verre. Le café a été bientôt vide et fermé.» (Révolutions de Paris.)

La prison, en effet, était devenue chose assez redoutable. Lorsque l'on n'était point réclamé par quelque puissance du jour, par son district, par exemple, on courait risque d'y être oublié. Les maisons de force étaient encombrées, et la population y était tellement mêlée, que le séjour en était devenu un supplice anticipé. C'était un fait très-connu; car, dès le 11 du mois, un district, celui de Saint-Magloire, était venu solliciter l'assemblée pour qu'elle prît des mesures afin de débarrasser les prisons. En effet, le 15, celle-ci décida que le maire prendrait quatre assesseurs gradués, et exercerait les fonctions que remplissait l'ancien tribunal dit bureau de la ville. Mais cet arrêté ne prévoyait que pour les cas de simple police. Les prévenus pour les délits d'autre nature restaient toujours sans magistrats pour les entendre et décider de leur sort; les prisons, d'ailleurs, étaient fort malsaines. Quelques réclamations avaient été élevées à cet égard; mais on s'en occupait fort molle

ment.

Dans sa séance du soir, l'assemblée des représentants reçut une première députation d'un district sur la question du veto : ce fut celui des Capucins Saint-Honoré. Il venait demander à la commune d'envoyer une députation à l'assemblée nationale, afin d'obtenir de ses membres un sursis sur la question du veto, jusqu'à ce que le vœu de leurs commettants fût connu. Cette pétition était signée Marchand, président; Bénières, curé de Chaillot, député suppléant; Lubin, ancien électeur; Lamagnières, secrétaire, etc. Il fut répondu que la ville de Paris n'avait pas le droit de suspendre les délibérations de l'assemblée nationale.

On dut prendre en très-mauvaise part cette ferveur toute nouvelle mais nécessaire pour la hiérarchie légale; car les représentants donnaient un exemple contraire : ils ne se faisaient pas faute d'outre-passer leurs pouvoirs. Ainsi ils correspondaient avec les villes; ils leur faisaient des proclamations; ainsi le même soir, ils autorisaient l'établissement d'une milice bourgeoise dans la commune de Presle, et ordonnaient à un commandant de maréchaussée voisin de lui délivrer des armes.

CHAP. IV. suspensif.

Conclusion de la question du velo. - L'assemblée décrète le velo Elle écarte une déclaration de Rennes et un mémoire de Necker. Mesures d'ordre. Arrestations. Despotisme bourgeois. municipale de Paris. Plan de Brissot. Subsistances.

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garde nationale. - Indemnité offerte à Lafayette. Emeute à Lyon. Dons patriotiques.

Organisation Organisation de la Nouvelles étrangères.

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Revenons à la question du veto. Nous donnerons, dans la seconde partie de ce volume, l'analyse de la discussion qui eut lieu dans l'assemblée nationale à cette occasion. Il suffit, pour le moment, afin d'apprécier les tendances de l'opinion publique, de savoir que trois opinions furent défendues deux extrêmes : l'une qui voulait le veto absolu; l'autre qui le rejetait entièrement; la troisième était mixte, elle demandait le veto seulement suspensif. Cette dernière l'emporta, soit parce qu'elle fut mieux défendue, soit parce qu'elle rallia les centres, c'est-à-dire tous ceux qui penchaient pour le veto absolu, mais qu'effrayaient les émeutes dont s'autorisait le parti opposé. Les bases générales de la constitution furent posées en même temps. Cette question occupa l'assemblée jusqu'au 11 septembre. Le 8, elle décida que les assemblées législatives seraient permanentes; le 10, qu'elles seraient composées d'une seule chambre; le 11, le veto suspensif passa à la majorité de 675 voix contre 525.

Toute cette discussion fut d'ailleurs extrêmement orageuse, fréquemment interrompue, surtout vers la fin, par l'impatience de l'assemblée : elle ne fut pas moins vive dans la capitale. Nul doute_ même que l'adoption d'un parti mitoyen, celui du veto suspensif, ne fût surtout l'effet du désir de conserver une moyenne entre les deux opinions absolues, celle de la cour et celle qui paraissait po pulaire.

En effet, ainsi que nous l'avons vu, tous les districts de la capitale agitèrent cette question. Il s'agissait pour eux, non de la décider, mais d'obtenir un ajournement, et l'appel au peuple. Dans le plus grand nombre, la discussion n'eut point de conclusion : la question était terminée dans l'assemblée, lorsqu'elle commençait à peine chez eux. Dans quelques autres, le parti qu'avaient choisi les représentants de la commune triompha. Dans trois districts seulement, la majorité fut rapidement formée et d'accord pour que la commune de Paris insistât auprès de l'assemblée afin d'obtenir d'elle les deux concessions dont il s'agit : ce furent ceux de SaintGermain-l'Auxerrois, Saint-Étienne-du-Mont, et Saint-Jacquesde-l'Hôpital. Une députation de la ville de Rennes vint, le 4 septembre, solliciter les représentants de Paris dans le même sens;

ayant été écartée, elle s'adressa à l'assemblée nationale, et lui envoya la protestation dont elle était porteur. Cette démarche manqua d'exciter un orage dans l'assemblée : sans l'appui du côté gauche, elle eût été peut-être injurieusement repoussée.

Cependant « rien de si naturel que la délibération des citoyens. de la ville de Rennes, observe Marat (le Publiciste parisien, journal politique, etc.), rien de si juste que les principes qui lui servent de fondement, rien de si étrange que les réclamations qu'elle a excitées, et rien de plus odieux que les motions auxquelles elle a donné lieu... Si la délibération de Rennes devait trouver un zélé défenseur, c'était le comte de Mirabeau... Mais, au lieu d'épouser la cause de la nation, il a pris un ton d'importance pour élever l'autorité des députés au-dessus de celle des commettants.

« Les villages, les bourgs, les villes, les provinces, s'est-il écrié, tout cela n'est que sujet, et le corps législatif ne doit nulle déférence légale, nul compte de ses opinions à telle ou telle agrégation. Ce n'est pas là sans doute les sentiments qu'il a fait éclater pour capter les suffrages des bourgeois de Marseille et des paysans, lorsqu'il s'est humanisé avec eux jusqu'à leur vendre du drap...

<«< Deux autres membres des états, Garat l'aîné et M. l'abbé Maury, se sont oubliés d'une manière encore plus révoltante : ils ont poussé l'audace jusqu'à demander un décret qui condamnât la déclaration de Rennes comme outrageante et attentatoire. - Quoi! l'on fera un crime aux députants de faire connaître leurs vœux aux députés... De pareilles réclamations prouvent que leurs auteurs méconnaissent les devoirs d'un député. Retraçons-les à leurs yeux.

« Dans un gouvernement bien constitué, le peuple en corps est le véritable souverain, etc.»

L'assemblée repoussa purement et simplement l'adresse bretonne. Elle fut aussi sévère à l'égard d'un mémoire que M. Necker lui adressa: elle refusa de l'entendre. Le ministre fit imprimer son factum; il votait pour le veto suspensif. On lui en voulut de cette démarche. Qu'avait-il à faire dans ce débat? disait-on. Se croyait-il donc de si grand poids, qu'il fût contraint de donner son opinion, et qu'on ne pût avoir un avis sans son autorisation. M. le Genevois manquait de modestie, etc.

L'assemblée était en effet impatiente d'en finir. En prolongeant les débats, il aurait pu arriver qu'elle cessât d'être libre. D'autres adresses, conçues dans le sens de celle de Rennes, étaient en route, et chaque jour il en arrivait quelqu'une.

Versailles même n'était pas tranquille. Des placards, affichés

pendant plusieurs nuits de suite, menaçaient d'incendier la salle des États. Cela donna lieu à beaucoup de démarches et à de grandes démonstrations de la part de M. d'Estaing, commandant de la garde nationale de Versailles, et de la part de cette garde elle-même.

En prolongeant la discussion, il était à craindre que ces menaces ne se changeassent en une insurrection; surtout si les districts de Paris avaient le temps d'achever les discussions qu'ils avaient commencées. Les efforts des représentants de la commune se fussent trouvés nuls. Ils avaient cependant persisté dans leur système contre le Palais-Royal. Ils firent arrêter plusieurs motionnaires : le marquis de Saint-Hurugues, un M. Tintot, etc., furent emprisonnés.

Il était en effet admis dans l'opinion publique que les mesures prises par la ville contre le Palais-Royal étaient dirigées dans l'intérêt du pouvoir de Louis XVI. Un grand nombre de brochures en font foi.

« Lorsque M. de Lally, disait Desmoulins dans son Discours de la Lanterne aux Parisiens, proposa à l'assemblée nationale une chambre haute, une cour plénière et deux cents places de sénateurs à vie, et à la nomination royale; lorsqu'on fit briller ainsi à tous les yeux deux cents récompenses pour les traîtres, cominent les Chapelier, les Barnave, les Pétion, les Target, les Grégoire, les Robespierre, les Biauzat, les Volney, les Mirabeau... et tous les Bretons, comment ces fidèles défenseurs du peuple n'ont-ils pas déchiré leurs vêtements en signe de douleur? Comment ne se sontils pas écriés: Il a blasphémé!... Proposer un veto absolu, et, pour comble de maux, des aristocrates à vie, à la nomination royale, je demande si on peut concevoir une motion plus liberticide.

«Le Palais-Royal avait-il donc si grand tort de crier contre les auteurs et fauteurs de pareilles motions? Je sais que la promenade du Palais-Royal est étrangement mêlée ; que des filous y usent fréquemment de la liberté de la presse, et que maint zélé patriote a perdu plus d'un mouchoir dans la chaleur des motions. Cela n'empêche point de rendre un témoignage honorable aux promeneurs du Lycée et du Portique. Ce jardin est le foyer du patriotisme, le rendez-vous de l'élite des patriotes qui ont quitté leurs foyers et leurs provinces pour assister au magnifique spectacle de la révolution de 1789, et n'en être pas spectateurs oisifs. De quel droit priver de suffrages cette foule d'étrangers, de suppléants, de correspondants de leurs provinces? Ils sont Français, ils ont intérêt à la constitution, et droit d'y concourir. Combien de Parisiens même ne se

soucient pas d'aller dans leurs districts: il est plus court d'aller au Palais-Royal. On n'a pas besoin d'y demander la parole à un président, d'attendre son tour pendant deux heures. On propose sa motion; si elle trouve des partisans, on fait monter l'orateur sur une chaise; s'il est applaudi, il la rédige; s'il est sifflé, il s'en va. Ainsi faisaient les Romains, dont le Forum ne ressemblait pas mal à notre Palais-Royal. Ils n'allaient point au district demander la parole; on allait sur la place, on montait sur un banc sans craindre d'aller à l'Abbaye. Si la motion était bien reçue, on la proposait dans les formes; alors on l'affichait sur la place; elle y demeurait en placard pendant vingt-neuf jours de marché. Au bout de ce temps, il y avait assemblée générale; tous les citoyens, et non pas un seul, donnaient la sanction. Honnêtes promeneurs du PalaisRoyal, ardents promoteurs de tout bien public, vous n'êtes point des pervers et des Catilina, comme vous appellent M. de ClermontTonnerre, et le Journal de Paris, que vous ne lisez point. Catilina, s'il m'en souvient, voulait se saisir du veto, et l'arracher au peuple, à l'exemple de Sylla. Ainsi, loin d'être des Catilina, vous êtes tout le contraire, et les ennemis de Catilina. Mes bons amis, recevez les plus tendres remercîments de la Lanterne. C'est du Palais-Royal que sont partis les généreux citoyens qui ont arraché des prisons de l'Abbaye les gardes françaises détenus ou présumés tels pour la bonne cause. C'est du Palais-Royal que sont partis les ordres de fermer les théâtres et de prendre le deuil le 12 juillet. C'est au Palais-Royal que le même jour on a crié aux armes et pris la cocarde nationale. C'est le Palais-Royal qui, depuis six mois, a inondé la France de toutes les brochures qui ont rendu tout le monde, et le soldat même, philosophe. C'est au Palais-Royal que les patriotes, dansant en rond avec la cavalerie, les dragons, les chasseurs, les Suisses, les canonniers, les embrassant, les enivrant, prodiguant l'or pour les faire boire à la santé de la nation, ont gagné toute l'armée, et déjoué les projets infernaux des véritables Catilina. C'est le Palais-Royal qui a sauvé l'assemblée nationale, et les Parisiens ingrats, d'un massacre général. Et parce que deux ou trois étourdis (voyez séance du 31 août), qui eux-mêmes ne veulent pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse, auront écrit une lettre comminatoire, une lettre qui n'a pas été inutile, le PalaisRoyal sera mis en interdit, et on ne pourra plus s'y promener sans être regardé comme un Maury et un d'Espremenil !

« On ne réfléchit pas assez combien ce veto était désastreux. Peut-on ne pas voir qu'au moyen du veto, en vain nous avions fait chanter un Te Deum au clergé pour la perte de ses dîmes; le clergé

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