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lation des grains et des farines dans l'intérieur du royaume, de province à province, de ville à ville, de bourg à bourg et de village à village, seront exécutées selon leur forme et teneur; casse et annule toutes ordonnances, jugements et arrêts qui auraient pu intervenir contre les vœux desdites lois; fait défenses à tous juges et administrateurs quelconques d'en rendre de semblables à l'avenir, à peine d'être poursuivis comme criminels de lèse-nation; fait pareillement défense à qui que ce soit de porter directement ou indirectement obstacle à ladite circulation, sous les mêmes peines.

II. Fait pareillement défenses à qui que ce soit d'exporter des grains et farines à l'étranger jusqu'à ce que, par l'assemblée nationale, et sur le rapport et réquisitoire des assemblées provinciales, il en ait été autrement ordonné, à peine d'être, les contrevenants, poursuivis comme criminels de lèse-nation.

Et sera le présent décret envoyé dans toutes les provinces, aux municipalités des villes et bourgs du royaume, pour être lu, publié et affiché partout où besoin sera. »>

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CHAP. III. Agitation au Palais-Royal et dans les districts. Menaces contre l'assemblée. Celle-ci, après une longue discussion, passe à l'ordre du jour.Le Palais-Royal porte la question aux districts. Arrêté des représentants de la commune. - Les pouvoirs qu'ils s'attribuent.

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Paris, 30 août. La question des subsistances ne fut qu'un accident dans les travaux de l'assemblée. La grande question qui allait soulever toutes les passions était celle du veto, et, comme nous l'avons dit, elle était fondamentale. Si le veto était rejeté, si le roi n'était plus libre de recevoir ou de refuser les décrets de l'assemblée législative, il était évident que la monarchie n'existait plus; telle était l'opinion des royalistes. Au contraire, s'il était admis, il était évident qu'il y avait deux souverainetés à droits égaux, celle du roi et celle de la nation, et le principe de la souveraineté du peuple était anéanti. Telle était l'opinion des hommes élevés dans la doctrine du Contrat social de Rousseau. La question fut donc vivement débattue parmi les membres de l'assemblée nationale, plus encore dans les bureaux et dans les conversations particulières que dans les séances générales; et devant le public, dans une multitude de brochures.

Le Palais-Royal, qui était habitué à donner le ton aux réunions politiques de Paris, s'en occupa le premier. Le café de Foy était devenu le centre de ce club mobile, depuis les dernières mesures de l'hôtel de ville contre les motionnaires du jardin. On y fit diverses motions: Il faut agir, disait-on, ou dans trois jours la France est esclave et

l'Europe avec elle. On décide qu'il faut partir pour Versailles, et aller dire à l'assemblée qu'il existe dans son sein une ligue nombreuse décidée à faire passer l'infàme veto, qu'on en connaît les membres, que s'ils ne renoncent à leur projet liberticide, quinze mille hommes sont prêts à marcher, etc. On charge le marquis de Saint-Hurugues de porter cette motion; et en effet, vers dix heures du soir, il sortit du Palais-Royal accompagné d'environ quinze cents hommes, et résolu de se rendre à Versailles.

Mais la nouvelle de ce projet était parvenue aux représentants de la commune, et sur leur ordre, par les soins de MM. Bailly et Lafayette, tous les postes avaient été renforcés; les rues par où l'on devait passer étaient barrées par des grenadiers et du canon; on avait envoyé de la cavalerie fermer les routes jusque hors Paris. La députation fut donc repoussée et dissipée. Son président vint rapporter cette défaite au café de Foy. Alors trois députations successives furent envoyées à l'hôtel de ville. Mais là on ne les admit et on ne les écouta qu'à titre de renseignement, et on ne leur donna aucune réponse. Cependant leurs commettants restaient assemblés en les attendant; ils ne se séparèrent point de la nuit, bien que la fermeture des cafés les forçât à la passer debout.

SÉANCE DU LUNDI 31 AOUT. N. Les moments de la constitution semblent encore s'éloigner; des difficultés sans cesse renaissantes, le peu d'harmonie qui règne dans l'assemblée, ont fait fermenter les esprits de la capitale; on interprète mal les intentions de l'assemblée, et la sanction paraît être la pomme de discorde.

Paris est dans l'impatience de cette constitution; Paris la désire, la veut, et cependant on l'éloigne à chaque instant. Voici deux lettres dont je crois devoir vous donner communication.

Extrait d'une lettre écrite à M. de Saint-Priest, ministre de Paris. - Du 30, à dix heures du soir.

L'assemblée des représentants de la capitale me charge de vous informer qu'il y a un nombre considérable de citoyens rassemblés dans le Palais-Royal; ils parlent d'aller à Versailles. Elle a chargé M. le commandant de donner des ordres pour arrêter et prévoir les suites de cet attroupement; nous avons cru devoir vous en instruire pour prévenir tout événement.

Autre lettre. A deux heures du matin.

Je m'empresse de vous apprendre que, malgré l'effervescence

des assemblées du Palais-Royal, les précautions prises par M. le commandant ont réussi; tout est calme.

M. le comte de Lally-Tolendal. Messieurs, le compte que j'ai à vous rendre est bien douloureux, il est bien déchirant pour mon cœur. Cette nuit j'ai reçu une députation composée d'un avocat du district de Saint-Étienne-du-Mont et d'un ingénieur du district des Capucins. Ils m'ont dit qu'ils étaient députés solennellement vers moi, en ma qualité de bon citoyen, pour me remettre une motion qui a été rédigée dans le Palais-Royal, et qui doit être faite demain dans tous les districts; qu'elle tend à nommer d'autres députés, et que ceux qui seraient remplacés, leur personne cessant d'être inviolable, on leur ferait leur procès; que ce nombre de traîtres et d'aristocrates est considérable; qu'ils veulent faire passer le veto absolu; ils les ont nommés.

Je leur ai répondu que les personnes qu'ils venaient de calomnier étaient aussi respectables par leurs vertus que par leurs lumières; que j'avais travaillé toute la nuit à défendre la sanction royale; que je la défendrais encore jusqu'à mon dernier soupir, moins pour le roi que pour le peuple. Ils m'ont répondu qu'il leur paraissait qu'après la constitution, la sanction était nécessaire. Ils ont terminé par me prier de faire lecture de leur motion.

Je ne fais aucune réflexion. Je demanderai la parole lorsqu'il en sera temps pour parler en faveur de la sanction royale.

Extrait de la motion faite au Palais-Royal, pour être envoyée aux . différents districts et aux provinces.

L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme porte : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire et imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté dans les cas prévus par la loi. Nous sommes actuellement au moment décisif de la liberté française.

Instruits que plusieurs membres s'appuient sur différents articles des cahiers, il est temps de les rappeler, de les révoquer; et puisque la personne d'un député est inviolable et sacrée, leur procès sera fait après leur révocation.

Le veto n'appartient pas à un seul homme, mais à vingt-cinq millions.

Les citoyens réunis au Palais-Royal pensent que l'on doit révoquer les députés ignorants, corrompus et suspects.

En conséquence, il a été arrêté unanimement de partir sur-le

champ pour Versailles, tant pour y arrêter l'effervescence aristocratique, que pour y protéger les jours des dignes députés qui y sont en danger. Délibéré au Palais-Royal, ce 30 août.

Des cris d'indignation ont interrompu le morne silence avec lequel cet écrit a été entendu. Un membre s'est écrié qu'il fallait faire imprimer la liste de ces prétendus mauvais citoyens pour les justifier. Mais ce n'était pas tout: on a donné lecture d'une lettre anonyme écrite à M. le président, et qu'il venait de recevoir.

« L'assemblée patriotique du Palais-Royal a l'honneur de vous faire part que si le parti de l'aristocratie, formée par une partie du clergé, par une partie de la noblesse, et cent vingt membres des communes ignorants ou corrompus, continuent de troubler l'harmonie, et veulent encore la sanction absolue, quinze mille hommes sont prêts d'éclairer leurs châteaux et leurs maisons, et les vôtres particulièrement, monsieur. »>

Autre lettre à MM. les secrétaires.

<< Vous n'ignorez pas l'influence de l'assemblée patriotique, et ce qu'elle peut contre le pouvoir aristocratique.

« Nous venons d'instruire M. le président sur son désir particulier de faire adopter le veto absolu, que nous regardons comme destructeur de la liberté.

« Il est à craindre qu'il ne passe, et nous en accusons la cabale du clergé et de la noblesse, formée contre le bien public, cent vingt membres des coinmunes qui se sont laissé corrompre. Deux mille lettres sont prêtes à partir dans les provinces afin de les instruire de la conduite de leurs députés vos maisons répondront de votre opinion, et nous espérons que les anciennes leçons recommenceront. Songez-y et sauvez-vous. >>

M. de Clermont-Tonnerre. Ou nous réussirons en faisant le bien, ou nous mourrons en voulant le faire. Mon avis, à moi, est que la liste des citoyens menacés soit imprimée, pour que le blâme des méchants serve de gloire aux honnêtes gens.

Je pense qu'il faut que la justice reprenne son cours ordinaire, et informe contre les hommes tels que ceux qui figurent dans les papiers qui nous ont été envoyés.

En conséquence je propose l'arrêté suivant :

<< L'assemblée nationale arrête que M. le maire de la ville de Paris et le commandant de la milice nationale de Paris seront invités à venir prendre leur place pour déclarer s'ils peuvent répondre

TOME II.

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de la tranquillité de Paris, et, dans les cas où ils ne répondraient pas de la tranquillité de Paris, par suite de la liberté des délibérations de l'assemblée nationale, l'assemblée nationale se transportera dans un autre lieu.

« Arrête, en outre, que le nom des personnes désignées par les factieux, comme mauvais citoyens, sera honorablement inscrit sur le procès-verbal; que les tribunaux informeront contre les auteurs d'un pareil attentat, et qu'il sera sursis à l'exécution des chefs, s'il y échoit, jusqu'au rapport du comité des douze. »>

Un membre demande la question préalable.

M. Goupil de Préfeln. Catilina est aux portes de Rome. Catilina menace d'égorger les sénateurs; et l'on demande la futile et frivole question Y a-t-il lieu à délibérer ? Certes, quand nous sera-t-il permis de délibérer, si ce n'est dans ce moment?

M. le duc de Liancourt propose de ne rien délibérer que M. de Lafayette n'ait été entendu.

M. Duport. Nous n'avons pas été envoyés par nos provinces pour être intimidés par les menaces des factieux.

Nous avons délibéré au milieu de trente mille hommes armés, commandés par un chef expérimenté, et nous pourrions craindre quinze ou vingt mille hommes sans aucun projet, érigés en république, sans lois, sans constitution, au milieu même de leur faction. C'est ici que nous devons sauver l'État, même aux dépens de nos jours; c'est ici que nous devons délibérer au milieu de l'effroi au moins soyons un éternel exemple de la fidélité avec laquelle on doit servir la patrie.

Un membre demande que chaque député soit autorisé à envoyer sur-le-champ un courrier dans sa province, pour prévenir les menaces des factieux du Palais-Royal.

M. Mounier. J'appuie la motion de M. le comte de Clermont, en y faisant cependant un amendement.

C'est ici que le comité des douze doit agir; j'ajouterai encore qu'il faut accorder une récompense de 500,000 livres à celui qui viendra dénoncer les auteurs et les instigateurs de ces faits. L'assemblée ne doit pas quitter Versailles; elle doit braver les périls, et s'il faut qu'elle périsse, les bons citoyens de Paris et des provinces la vengeront.

M. Muguet de Nanthou. J'applaudis au zèle de M. le comte de Clermont; mais n'est-il pas en contradiction avec lui-même! Lorsque les citoyens du Palais-Royal ont été arracher des prisons quelques soldats des gardes françaises, M. le comte de Clermont a dit qu'il n'y avait lieu à délibérer, que l'assemblée devait laisser gronder

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