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réunion des députés les plus ardents dans les opinions alors opposées. Chaque groupe avait été en augmentant en nombre, au fur et à mesure que les discussions devenaient plus irritantes. Les habitués des bancs de droite appelaient le côté gauche coin du PalaisRoyal; non pas, ainsi qu'on l'a dit plus tard, parce qu'il était composé des partisans de d'Orléans, mais parce qu'ils agissaient dans l'opinion des motionnaires du Palais-Royal: ce surnom lui était donné à titre d'injure. On désignait aussi les motions de ses membres sous le nom d'arrêtés bretons. Mais la majorité des représentants ne se classa complétement dans l'une des deux divisions, qu'après la séance dont nous venons de parler.

Le lendemain 29 août la discussion fut vive, mais sans résultat. Au milieu du tumulte, une voix sortie des tribunes, et dirigée vers les bancs de la noblesse, prononce les mots de mauvais citoyens. Le chevalier de Foucauld répond avec vivacité. M. le président est prié de le rappeler à l'ordre, mais sa voix se perd au milieu des clameurs.

Paris, 29 août. — « Nous avons passé rapidement de l'esclavage à la liberté, s'écrie Loustalot; nous marchons plus rapidement encore de la liberté à l'esclavage. On endort le peuple au bruit des louanges qu'on lui prodigue sur ses exploits; on l'amuse par des fêtes, des processions et des épaulettes.

« On a prononcé, dans ce mois, à Paris, plus de deux mille compliments, dans lesquels on nous élève bien au-dessus des héros de la Grèce et de Rome.

«Les anciens salariés de l'aristocratie se sont couverts du masque de la popularité, pour établir une aristocratie nouvelle sur les débris de l'ancienne. Inactifs tant que la patrie a été en danger, et que la révolution s'est opérée, ils veulent tout faire depuis qu'il y a des places à remplir, et que l'autorité semble devoir appartenir à celui qui aura, non pas le courage, mais l'adresse de s'en emparer.

« Cette cohorte d'ambitieux est composée principalement de gens de robe, de financiers, de secrétaires et de censeurs royaux. Nous observons leur marche, nous suivons leurs projets; mais lorsque le temps en sera venu, nous vous jurons, Français, de ne pas manquer de courage pour les dévoiler!

« Le premier soin de ceux qui aspireront à nous asservir sera de restreindre la liberté de la presse, ou même de l'étouffer, et c'est malheureusement au sein de l'assemblée qu'est né le principe adultérin que nul ne peut être inquiété dans ses opinions, pourvu

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que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi... On ne pourra bientôt plus parler, sans que l'homme en place ne dise qu'on trouble l'ordre public. »

<< O mes chers concitoyens! s'écrie à son tour Ĉ. Desmoulins, je gémis quand je vois autour de moi cette multitude de gens qui de l'auguste et sainte liberté font une affaire, et spéculent sur la constitution. Dans le degré de corruption et d'égoïsme où nous sommes parvenus, si nous voulons conserver la liberté, gardonsnous bien de créer un sénat et des places inamovibles, de mettre la feuille des bénéfices et d'accumuler les richesses dans les mains d'un seul homme. Quand toutes les consciences sont à vendre, il ne reste plus qu'à combiner tellement la constitution, qu'il n'y ait personne en état de les acheter. Les trésors de la Numidie avaient corrompu trois fois et les généraux, et les consuls et la municipalité, et les tribuns et la magistrature, dans l'affaire de Jugurtha. Mais quand le peuple romain en eut évoqué la commission à l'assemblée générale, il fut impossible à Jugurtha de corrompre tout le peuple; non que le peuple fût moins corruptible que les sénateurs, mais où trouver un acheteur assez riche?

« Ce ne sera point assez, dans un siècle corrompu, que le peuple ne se dépouille point de sa toute-puissance, pour en revêtir un sénat, et qu'il soit dispensateur des places; il faut que l'amovibilité des charges soit telle, que les mutations soient si rapides, qu'il n'y ait point d'aliment à la cupidité. Alors les emplois seront réellement des charges et non des bénéfices; alors, à ceux qui veulent primer et se faire remarquer, il restera, non plus l'ambition des grandes places, mais l'ambition des grandes choses. L'ambition qui vient de l'orgueil sera nécessairement détruite; il ne restera que l'ambition qui vient de la bienfaisance, l'ambition nécessaire aux grands cœurs, celle d'être utile. Malheureusement ce n'est point de cette noble ambition que la plupart sont travaillés, mais d'une tout autre fièvre.

<«< A la ville, on sait quel conflit il y a eu entre les électeurs et les représentants de la commune, chacun se disputant et tirant à soi la chaise curule (1). Dans les districts, tout le monde use ses poumons et son temps pour parvenir à être président, vice-président, secrétaire, vice-secrétaire. Ce ne sont que comités de subsistances,

(1) L'auteur parle de l'époque où l'assemblée des représentants se substitua à celle des électeurs. Nous n'avons trouvé nulle part des renseignements assez étendus sur la lutte secrète qui s'éleva entre ces deux corps dont aucun ne voulait quitter le pouvoir. Les procès-verbaux sont muets. Nous avons donc été obligés de négliger ce détail, qui eût peut-être été assez curieux.

comités de finances, comités de police, comités civils, comités militaires. Hors des districts, on se tue pour des épaulettes; on ne rencontre dans les rues que dragonnes et graines d'épinards.

«Que voulez-vous? chacun cherche à paraître.

<< Il n'est pas jusqu'au fusilier qui ne soit bien aise de me faire sentir qu'il a du pouvoir. Quand je rentre à onze heures du soir, on me crie qui vive? Monsieur, dis-je à la sentinelle, laissez passer un patriote picard. Mais il me demande si je suis Français, en appuyant la pointe de la baïonnette. Malheur aux muets! Prenez le pavé à gauche! me crie une sentinelle; plus loin, une autre crie: Prenez le pavé à droite! Et dans la rue Sainte-Marguerite, deux sentinelles criant: Le pavé à droite, le pavé à gauche! j'ai été obligé, de par le district, de prendre le ruisseau.

« Je prendrai la liberté de demander à MM. Bailly et Lafayette ce qu'ils prétendent faire de ces trente mille uniformes je n'aime point les priviléges exclusifs; le droit d'avoir un fusil et une baïonnette appartient à tout le monde. >>

Ce jour même, la garde nationale fut appelée à faire de grandes manifestations, pour appuyer quelques ordres des représentants de la commune, qui donnaient lieu, d'ailleurs, à de nombreuses réclamations.

Quelques jours auparavant, le 13 août, les garçons tailleurs s'étaient assemblés au nombre de trois mille sur le gazon en face le Louvre. Ils avaient envoyé vingt députés à l'hôtel de ville, dont dix étaient maîtres tailleurs. Ils demandaient que le prix de la journée fût porté à 40 sous; et qu'il fût défendu aux fripiers de faire des habits neufs. Le comité ne put que se récuser dans la dernière de ces deux questions; mais il ordonna qu'il leur fût donné pleine satisfaction sur la première.

En même temps, les garçons perruquiers se réunissaient aux Champs-Élysées. Leur premier soin fut d'envoyer au district le plus prochain pour demander la permission de rester assemblés. Un officier bourgeois qui faisait sa ronde à la tête d'une patrouille voulut les disperser, et frappa l'un d'eux d'un coup de sabre. Ses propres soldats le désarmèrent, et le livrèrent aux garçons qui le conduisirent à l'hôtel de ville. Cette réunion avait pour but de demander qu'une taxe payée au bureau de la communauté par chaque nouveau garçon perruquier fût réduite, et le surplus employé à fonder des lits à l'Hôtel-Dieu. Le comité de la commune leur accorda leur demande.

A leur exemple, les domestiques sans place se réunirent au nombre d'environ trois mille sur les gazons du Louvre ; ils deman

daient l'expulsion des Savoyards. On envoya des patrouilles pour les empêcher de délibérer; aussitôt que l'un d'eux voulait parler, la patrouille arrêtait l'orateur. Ce n'était pas assez on barra les rues environnantes; on empêchait d'arriver vers le Louvre; on laissait seulement sortir; en sorte que l'attroupement fut bientôt dissipé.

Dans la partie opposée de Paris, une autre scène se passait. La commune avait ordonné que les ouvriers de Montmartre seraient évacués sur leurs provinces, avec une indemnité de 3 sous par lieue. On craignait qu'ils ne voulussent point partir en conséquence, on avait encombré Montmartre de troupes; on avait fait marcher l'artillerie. Il est remarquable qu'on avait mis en tête des gardes nationaux, une troupe d'élite, composée des vainqueurs de la Bastille. De Montmartre on envoyait les ouvriers à l'Abbaye, remettre leurs outils, recevoir 24 sols et un passe-port. Il en fut délivré environ quatre mille.

Pendant que la garde nationale était ainsi occupée, les bruits les plus sinistres se répandaient dans Paris. On disait qu'il existait une coalition entre le clergé, la noblesse et quatre cents membres des communes; on disait que Monsieur (Louis XVIII) quittait la France; que Mirabeau avait été tué d'un coup d'épée. « Il semble, dit un écrivain patriote, que l'on veuille nous faire haïr la liberté. La disette, naissant de spéculations avides, les travaux suspendus, le commerce languissant, les ligues secrètes de nos ennemis, tout nous afflige et nous effraye. >>

En effet, les bruits de famine se maintenaient plus effrayants encore que les jours précédents. Les boulangers couraient la halle, accusant le commissaire aux farines, et le menaçant de la lanterne. De là ils se jetaient dans leurs districts et allaient y répandre la terreur qui les préoccupait. Quel sombre et redoutable avenir !

SÉANCE DU SAMEDI 29 AOUT, au soir. L'assemblée essaya de conjurer les dangers immédiats par des mesures législatives.

L'avant-veille, le soir avait été employé à l'examen de l'exportation et de la circulation des grains; au milieu de la diversité des opinions, il était impossible de prendre une décision, et l'affaire avait été renvoyée à cette séance. Les mêmes embarras, les mêmes inconvénients ont reparu. Beaucoup de membres présentent des arrêtés qui tous portent sur ces deux bases: 1o Défendre l'exportation des grains chez l'étranger; 2° autoriser et commander même la circulation des grains de province à province.

N. Il y a plus d'un an que nous connaissons l'importance de ces deux grandes vérités.

La première appauvrit la France et enrichit nos voisins; ils achètent à bon compte ce que leur avarice nous revend avec usure. Ils combinent mieux que nous, parce que nous le voulons bien, et que l'exportation chez nous a toujours été illimitée ou limitée gauchement.

La seconde circonscrit la famine dans une province, et fait mouvoir le commerce dans une autre qui languit conséquemment au milieu de l'abondance.

Il y a plus d'un an que ces deux vérités auraient dû être respectées, proclamées, consacrées par les lois, et maintenues par la force du pouvoir exécutif; au moins nous n'aurions pas à dévorer un pain corrompu, et qui peut donner la mort à l'homme qu'il doit alimenter

Je demande donc qu'on aille sur-le-champ aux voix sur les propositions faites.

N. II se présente un très-grand inconvénient, auquel le gouvernement seul est dans le cas de remédier. Depuis longtemps cet abus subsiste, et il subsistera longtemps encore, si, malgré les dénonciations qui ont été faites au gouvernement, il ne se hâte de le réprimer.

La circulation intérieure se fait aussi par mer. On charge dans un port quelconque de France pour se rendre dans un port français. Ainsi, les blés du Poitou sont embarqués à La Rochelle pour être transportés au Havre-de-Grâce : le nom du vaisseau, celui du capitaine, le chargement, le lieu même de sa destination, tout est inscrit sur les registres de l'amirauté; le vaisseau part, mais il ne se rend pas au Havre: il va porter les grains chez l'étranger, y prend d'autres marchandises, et se rend au Havre; le moment de son arrivée, la nature de ses marchandises, sont inscrits sur les registres de l'amirauté du Havre.

Si le dernier juge pouvait avoir un résultat, un relevé des registres du lieu du départ, la fraude serait connue et punie; mais le juge de l'amirauté du Havre ne peut rien exiger de celui de La Rochelle. Le gouvernement a été pressé, sollicité de remédier à cela; mais le gouvernement a répondu que cela n'était pas. Il faut donc que l'assemblée prenne une détermination.

Après une assez longue discussion, l'assemblée termine par porter le décret suivant :

« L'assemblée nationale a décrété et décrète :

ART. Ier. Que les lois subsistantes et qui ordonnent la libre circu

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