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sophes, avec le bâton et la besace; que dans six mois, l'herbe cachera le pavé de la rue Saint-Denis et de la place Maubert, et que nous aurons des couches de melons sur la terrasse des Tuileries, et des carrés d'ognons dans le Palais-Royal. Adieu les financiers! dit l'auteur; Turcaret renverra son suisse, et mangera du pain sec; les prélats, les bénéficiers à gros ventre vont devenir d'étiques congruistes; si les bonnes mœurs renaissent, adieu les beaux-arts! Ah! monsieur Fargeon, que vous sert d'avoir surpassé tous les parfumeurs de l'Égypte? Et vous, monsieur Maille, que vous servira d'avoir imaginé le vinaigre styptique, qui enlève les rides et unit le front comme une glace; le vinaigre sans pareil, qui blanchit, polit, affermit, embellit; enfin ce vinaigre qui fait les vierges, ou du moins les refait, et dans l'annonce duquel vous prévenez si plaisamment les dames qu'elles peuvent l'envoyer chercher, sans crainte que le porteur en devine l'usage? Tant de belles découvertes vont devenir. inutiles !

« Encore si la réforme ne frappait que sur les filles à la grande pension! Mais cette armée innombrable, dont le sieur Quidor était l'inspecteur; cette armée qui, sous les galeries du Palais-Royal et à la clarté des lampes de Quinquet, passe en revue tous les jours, revue mille fois plus charmante que celle de Xerxès; eh bien! cette armée va être licenciée faute de paye. Bien plus, l'arrière-ban de cette milice va être encore dispersé à la suite de trois mille moines défroqués, de vingt mille abbés décalottés, qui retourneront dans leurs provinces guider l'utile charrue, ou auner dans le comptoir paternel; il faudra bien que trente mille filles descendent des galetas des rues Troussevache et Vide-Gousset, renoncent aux douceurs de Saint-Martin et de la Salpêtrière, et, comme la pauvre Paquette de Candide aux bords du Pont-Euxin, aillent faire de la pâtisserie avec le frère Giroflée. L'auteur de ce pamphlet va plus loin encore. Adieu, dit-il, les tailleurs, les tapissiers, les selliers, les éventaillistes, les épiciers, la grand'chambre, les procureurs, les avocats, les huissiers, les vaudevillistes, les danseurs, les enlumineurs, les bijoutiers, les orfévres, les baigneurs, les restaurateurs : il ruine les six corps, il ne fait pas grâce au boulanger, et se persuade que nous allons brouter l'herbe, ou vivre de la manne.» (Discours de la Lanterne aux Parisiens.)

Ainsi, au milieu des circonstances les plus graves, le ridicule trouvait encore moyen de se faire place.

Le 19 au soir, une scène plus singulière encore, dans ce terrible moment, se passa au Théatre-Français: il se trouva quelques milliers d'hommes capables de s'occuper de littérature. On allait com

mencer la petite pièce, lorsque les spectateurs se mirent à crier : Charles IX! la pièce de Chénier. Les acteurs déclarèrent qu'ils ne pouvaient la jouer sans permission. Point de permission! point de permission! répondit le public. - Messieurs, leur dit Fleury, vous ne nous ordonnerez pas d'enfreindre des lois que nous respectons depuis cent ans. Point de censure... qui a fait les lois?... adressez-vous à la municipalité, répondit le parterre. Nous irons demander la permission à la municipalité quand vous voudrez, ajouta Fleury. Eh bien! allez-y demain, s'écrièrent les spectateurs. En effet, les acteurs du Théâtre-Français portèrent le lendemain à l'assemblée des représentants les vœux du public. Celle-ci ordonna que le manuscrit lui fût apporté, et nomma une commission pour examiner si la pièce pouvait être représentée sans danger.. (Procès-verbal de la commune.)

On voit que l'assemblée des représentants se trouvait saisie de tous les pouvoirs; c'était une convention au petit pied. Les districts seuls, qui eussent dû lui obéir en toutes choses, lui résistaient. Ce déplacement du pouvoir, l'anarchie qui en résultait, faisaient désirer à tout le monde un règlement sur l'organisation de la municipalité parisienne. L'on commença, en effet, à s'en occuper. Brissot, membre de l'assemblée des représentants, en fournit les bases; il y avait d'ailleurs nécessité de prendre parti sur une multitude de questions de police. Depuis la nuit du 4 août, le peuple avait pris au mot la nouvelle de la suppression des priviléges: des imprimeries s'établissaient sans autorisation, des projets nombreux de journaux étaient annoncés; il y avait fermentation dans le commerce et parmi les ouvriers; de nouveaux étals de bouchers s'ouvraient ; les clubs du Palais-Royal continuaient à se réunir on faisait toujours des pétitions à l'hôtel de ville. Le maire et la municipalité défendaient toutes ces choses; mais on leur obéissait aussi peu que l'on pouvait si l'on en juge par les mémoires de Bailly, toutes ces hardiesses de la population l'embarrassaient beaucoup et ne troublaient pas moins les habitudes des représentants de la ville.

Les Parisiens étaient animés d'un tel esprit de mouvement, qu'il se communiqua jusqu'aux petits garçons. Ceux-ci, dans leurs jeux, simulaient des batailles. Cela devint chose si fréquente et si générale, qu'un grave arrêté de l'hôtel de ville vint défendre cet enfantillage aux polissons des rues.

Les provinces n'étaient pas plus tranquilles, et les nouvelles qui en provenaient, souvent fausses et exagérées, ne contribuaient pas peu à entretenir l'agitation de Paris. Ainsi l'on répandit le bruit qu'en Franche-Comté, le jour anniversaire de la Saint-Barthélemi, le

TOME II.

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peuple avait résolu d'égorger tous les nobles. Quatre coups de fusil devaient être le signal du massacre: mais celui qui tirait les coups, ayant été surpris avant de tirer le quatrième, avoua le complot, et on pendit trois bourgeois et trois soldats des plus coupables. (Mémoires de Rivarol, t. I, p. 96.) Cette histoire a tout le caractère d'un conte; mais quoi qu'il en soit, elle n'était rien moins que rassurante pour tous ceux qui étaient assez effrayés, ou assez hostiles à ce qui se passait, pour l'accueillir comme une réalité.

Telle était la situation des esprits, lorsque la discussion du veto vint retentir à Paris. L'assemblée avait terminé en effet, le 26 août, la discussion sur la déclaration des droits, la constitution avait enfin été mise à l'ordre du jour, et là se présentait en première ligne une question vitale, celle du droit de sanction à accorder au roi. Parmi les principes fondamentaux de la constitution future, il en était deux qui ne pouvaient faire doute. D'un côté, l'assemblée tout entière et avec elle la nation voulaient le gouvernement monarchique; de l'autre, la majorité de l'assemblée et avec elle la bourgeoisie et tout le parti révolutionnaire voulaient que la puissance législative fût confiée à une assemblée nationale. Mais le roi devaitil participer à la puissance législative, aurait-il le droit d'apposer son veto aux lois décrétées par l'assemblée, ou son pouvoir serait-il borné à la puissance exécutive? telle était la grande question. Or la situation des esprits et les circonstances étaient telles, que cette question, au lieu de rester une affaire de raisonnement, dut nécessairement devenir une affaire de parti. Pratiquement elle se réduisait à celle-ci Louis XVI sera-t-il le maître d'arrêter toutes les réformes projetées par l'assemblée, ou bien ne sera-t-il que l'exécuteur de la volonté nationale?

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A cette question s'en rattachait une autre: celle de savoir si la représentation nationale se composerait de deux chambres. Déjà on accusait divers membres de la minorité de la noblesse et du clergé de chercher à se créer une position dans ce sénat nouveau, proposé par Lally-Tolendal.

Dès le premier jour, les passions que cette discussion allait soulever, s'annoncèrent.

SEANCE DU 28 AOUT. M. Mounier prend la parole au nom du comité de constitution. Après avoir exposé l'ordre général des matières que la constitution doit embrasser, il donne lecture du projet suivant :

Du gouvernement français proposé par le comité de constitution.

Art. Ier. Le gouvernement français est un gouvernement monar

chique. Il n'y a pas en France d'autorité supérieure à la loi. Le roi ne règne que par elle; et quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger obéissance.

II. Aucun acte de législation ne pourra être considéré comme loi, s'il n'a été fait par les députés de la nation, et sanctionné par le monarque.

III. Le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du roi.

IV. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais être exercé par le roi; et les juges auxquels il est confié ne pourront être dépossédés de leurs offices pendant le temps fixé par les lois, si ce n'est par les voies légales.

V. La couronne est indivisible et héréditaire de branche en branche, de mâle en mâle, et par ordre de primogéniture. Les femmes et leurs descendants en sont exclus.

VI. La personne du roi est inviolable et sacrée; mais les ministres et autres agents de l'autorité royale sont responsables des infractions qu'ils commettent à la loi, quels que soient les ordres qu'ils aient reçus.

Après cette lecture, M. Mounier avertit que ces articles sont tirés du projet de M. l'archevêque de Bordeaux; que le comité n'a fait que les classer dans leur ordre naturel. Il fait ensuite quelques observations générales sur ces articles.

Une multitude de membres se précipitent à la tribune, et proposent des modifications à la rédaction du premier article. Cependant il était besoin d'une discussion plus profonde, plus sérieuse sur la théorie même du gouvernement. Un curé vint essayer de traiter la question générale; sa voix fut étouffée par les cris.

M. Robespierre. D'aussi grands intérêts que ceux qui nous agitent me donnent le courage de vous proposer une réflexion que je crois nécessaire. Je demande qu'avant de délibérer on adopte un moyen qui satisfasse à la conscience; je veux dire d'établir une délibération paisible; que chacun puisse, sans crainte de murmures, offrir à l'assemblée le tribut de ses opinions. Il faudrait donc ajouter aux règlements quelques articles qui seraient conformes à ce que j'ai l'honneur de vous proposer.

A peine l'orateur a-t-il achevé ces mots, que les cris répétés à l'ordre, à l'ordre, l'ont interrompu.

M. le président lui fait observer qu'il ne s'agit pas du règlement. M. Robespierre veut répondre; les cris recommencent, et il descend de la tribune.

Plusieurs membres s'élèvent contre un pareil despotisme, et réclament la liberté des opinions.

M. Robespierre remonte à la tribune, et y propose, sans succès, d'ajouter quelques articles nécessaires à la tranquillité de la délibération, préalablement à toute discussion sur la constitution.

M. le comte de Mirabeau cherche à donner quelque faveur à l'avis de M. Robespierre. Si un membre, dit-il, soutenait que l'on ne peut aller aux voix par assis ou levé, parce que ce mode est une espèce d'acclamation, l'opinant serait dans l'ordre du jour.

Puisqu'il y a lieu à délibérer sur la série de questions proposées, et qu'ainsi nous allons enfin nous occuper de la constitution, je demande que tous les objets constitutionnels soient jugés par appel nominal, et non par assis et levé.

M. Mounier. Je vais plus loin; je demande qu'il soit fait une liste de tous ceux qui parleront sur les questions qui viennent d'être posées, et que cette liste, divisée en deux colonnes, l'une remplie par les noms de ceux qui parleront pour l'affirmative, et l'autre destinée à ceux qui soutiendront la négative, soit ensuite insérée dans le procès-verbal.

M. le comte de Mirabeau. Qu'il soit permis à un homme qui signe et qui a toujours signé, de représenter comme dangereuse la motion du préopinant; elle ne convient ni à la dignité, ni à la fraternité de l'assemblée. Je crois qu'après avoir combattu pour notre opinion, avec une opiniâtreté zélée, il ne doit rester parmi nous nulle trace de dissentiment. Tel est le principe de toute assemblée régulière et sage, et rien ne peut vous empêcher de penser que votre souverain, c'est le principe.

Personne ne vient à la tribune relever cette objection. La discussion d'ordre tombe donc, n'étant pas soutenue, et les motions recommencent plus de quarante-cinq projets de rédaction sont présentés.

Après avoir entendu un grand nombre de discours, l'assemblée remet la décision au lendemain.

Ce fut à la suite de cette séance que l'assemblée se sépara définitivement en côté gauche et côté droit. Tous les partisans du veto allèrent s'asseoir à droite du président; tous les antagonistes se groupèrent dans la partie opposée. Cette séparation rendait plus facile le calcul des voix dans le vote par assis et levé, qui avait été conservé.

Depuis longtemps déjà, et dès avant la réunion des ordres, l'extrême gauche et l'extrême droite étaient devenues le point de

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