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Cette réponse, qui n'offre qu'un consentement incertain, aussi variable que les circonstances, paraît vivement affecter l'assemblée. Elle a reçu néanmoins quelques applaudissements parmi les membres du haut clergé et de la noblesse.

L'assemblée décrète que cette réponse sera imprimée à la suite de tous les droits et des articles auxquels le roi promet accession. On allait reprendre l'ordre du jour, c'est-à-dire, la rédaction du droit sur l'imposition du quart des revenus, lorsque M. Muguet a changé la délibération, en demandant la parole sur la réponse du roi.

M. Muguet de Nanthou. Rappelez-vous les intentions de vos commettants, lorsqu'ils ont exigé qu'aucun impôt ne fût accordé avant la constitution. Vous pouvez aujourd'hui en faire l'application aux circonstances.

Quelle réponse ambiguë et insidieuse vous venez d'entendre! Ce n'est pas là la réponse que la nation avait droit d'attendre : elle fait entrevoir que cette constitution pourrait être altérée par la suite; si nous accordons au roi le droit de la modifier, n'est-ce pas lui donner celui de la refuser? S'il peut la changer, ne pourra-t-il pas la détruire? Cette faculté anéantit la liberté, consacre le despotisme. La déclaration des droits expose ceux de tous les hommes et de toutes les nations ces principes sont indestructibles; ils sont inattaquables. Le roi ne peut que les reconnaître, dès qu'ils sont présentés. Il faut donc lui en demander sur-lechamp une acceptation pure et simple.

La contribution extraordinaire doit être le prix de notre liberté; il faut donc que notre liberté soit assurée sans retard.

Je propose de continuer le travail de la constitution et d'arrêter que le décret proposé par le premier ministre des finances n'aura son exécution, et que la contribution ne sera payée qu'après la constitution acceptée.

M. Robespierre. La réponse du roi est destructive, non-seulement de toute constitution, mais encore du droit national à avoir une constitution. On n'adopte les articles constitutionnels qu'à une condition positive; celui qui peut imposer une condition à une constitution a le droit d'empêcher cette constitution; il met sa volonté au-dessus du droit de la nation. On vous dit que vos articles constitutionnels ne présentent pas tous l'idée de la perfection; on ne s'explique pas sur la déclaration des droits : est-ce au pouvoir exécutif à critiquer le pouvoir constituant de qui il émane? il n'appartient à aucune puissance de la terre d'expliquer des principes, de s'élever au-dessus d'une nation, de censurer ses volontés. Je considère donc la réponse du roi comme contraire aux

principes, aux droits de la nation, et comme opposée à la constitution.

Tout vous fait assez connaître que les ministres veulent rivaliser d'autorité avec la nation on a sanctionné vos arrêtés, les uns par un arrêt du conseil avec les formes anciennes du despotisme, car tel est notre bon plaisir, etc.; un autre est transformé en règlement, et le roi fait des lois sans vous, tandis que vous n'en pouvez faire sans lui. Vous n'avez d'autre moyen d'éviter les obstacles qu'en brisant les obstacles. Quelle espèce de religion y a-t-il donc à couvrir les droits de la nation d'un voile qui ne sert qu'à favoriser les atteintes qu'on voudrait leur porter? Il faut examiner franchement s'il est une puissance humaine qui puisse opposer aucun obstacle à la constitution qu'un peuple veut se donner, si le veto suspensif doit porter sur les actes d'une convention nationale: il faut régler la formule de l'acceptation de ces actes et celle de la sanction pour les actes des législatures ordinaires.

MM. Bouche, Prieur, Duport, Goupil de Préfeln, parlent dans le même sens.

M. le vicomte de Mirabeau veut défendre la réponse du roi. Il semble attaquer l'assemblée, en disant qu'il y a assez longtemps qu'on cherche à attaquer le pouvoir exécutif.

A peine a-t-il prononcé ces paroles, que l'on demande qu'il soit rappelé à l'ordre.

Après quelques moments de murmures, M. le vicomte de Mirabeau reprend la parole, et dit qu'il n'a pas besoin que l'assemblée le rappelle à l'ordre; qu'il la supplie de recevoir ses excuses pour une expression impropre.

Cette rétractation est applaudie.

M. le comte de Virieu pense qu'il faut renvoyer cette réponse aux bureaux pour y être examinée.

M. Pétion de Villeneuve s'élève contre l'altération du décret de l'assemblée. Il parle du repas donné jeudi dernier par les gardes du corps au régiment de Flandre et aux dragons. Depuis longtemps, s'écrie-t-il, la liberté nationale est menacée. Je ne parle pas des cris de vive le roi! portés jusqu'aux nues dans cette orgie; ils ont retenti dans cette assemblée, ils retentissent dans tous les cœurs; mais quelles imprécations n'y a-t-on pas proférées contre l'assemblée nationale! Doit-elle être insultée dans son sanctuaire?

Je passe à la réponse du roi. Vous avez reconnu qu'il ne pouvait jamais refuser la constitution, en arrêtant qu'on ne lui en demanderait pas la sanction mais l'acceptation. Le délégué de la nation ne peut la régir que par les lois par lesquelles elle veut être gou

vernée. Le roi vous dit cependant que vos lois sont imparfaites, qu'il les accepte, quant à présent, qu'elles expriment le vœu présent de l'assemblée!... Il doit accepter pour toujours; le vœu de l'assemblée ne peut pas varier, il est celui de la nation. Enfin, si j'explique l'esprit de la réponse du roi, il se rend aux circonstances; elles changeront, il croira pouvoir changer.

Il paraîtrait convenable d'exposer franchement les principes, dans une adresse qui serait présentée au roi par le président à la la tête d'une députation.

M. l'abbé Grégoire. Le roi est bon, il est homme ; il a été trompé, il le sera encore. Comment répond-il à la présentation d'une constitution qui établit des droits sacrés, et qui est l'objet de tous les vœux? Je crains de nouveaux troubles. Une disette affreuse se fait sentir au moment même d'une récolte abondante : quels événements y donnent lieu? Le ministre doit en être instruit ; qu'il s'excuse, ou il est coupable.

Je demande pourquoi cette lettre envoyée à un meunier, avec 200 livres, et la promesse d'autant par semaine, s'il ne veut pas moudre. Je demande si les gardes du corps doivent prêter serment. Je demande pourquoi M. de Bouillé ne l'a pas prêté. Je demande pourquoi cette cocarde noire et blanche arborée, et la cocarde nationale foulée aux pieds dans une orgie qu'on appelle fête militaire. Je demande que cette orgie soit dénoncée au comité des recherches.

M. le comte de Mirabeau. Avant de passer à la grande question de l'acceptation du monarque, je crois devoir dire un mot sur la question de circonstance qu'on vient d'élever, peut-être avec plus de zèle que de prévoyance.

Je n'entrerai pas dans les détails auxquels on peut croire comme homme, et non comme membre du souverain.

Il s'est passé des jours tumultueux. L'on a vu des faits coupables; mais est-il de la prudence de les révéler?

Le seul moyen que l'on doit prendre sur cet objet, c'est de requérir que le pouvoir exécutif tienne les corps et les chefs de corps dans la discipline exacte qu'ils doivent surtout observer dans le lieu où résident le monarque et le souverain; qu'il défende surtout ces festins prétendus fraternels, qui insultent à la misère publique, et jettent des étincelles sur des matériaux rassemblés et trop combustibles.

Je reprends la question de l'acceptation.

L'acceptation qui vient d'être donnée est-elle ou n'est-elle pas suffisante? Il y a sur cela plusieurs observations à faire. La pre

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mière, c'est qu'il importe souverainement au monarque, pour le succès de la tranquillité publique, que nos arrêtés soient acceptés, et que surtout ils paraissent l'avoir été volontairement.

Il me semble qu'on pourrait faire au roi une adresse, dans laquelle on lui parlerait avec cette franchise et cette vérité qu'un fou de Philippe II mettait dans ces paroles triviales: Que ferais-tu, Philippe, si tout le monde disait non, quand tu dis oui?

La réponse du roi n'est pas contre-signée d'un ministre, elle devrait l'être; car sans cela la loi salutaire de la responsabilité sera toujours éludée. La personne du roi est inviolable, la loi doit l'être aussi; et quand elle est violée, les victimes ne peuvent être que les ministres.

Je propose le projet d'arrêté suivant :

L'assemblée nationale ordonne que le président se retirera par devers le roi, à l'effet de le supplier,

1° De donner des ordres exprès à tous les chefs des corps militaires, plus spécialement à ceux qui résident actuellement à Versailles, pour les maintenir dans la discipline et dans le respect dû au roi et à l'assemblée nationale;

2o D'interdire aux corps les prétendus festins patriotiques, qui insultent à la misère du peuple, et dont les suites peuvent être funestes;

3° Que tout acte émané de Sa Majesté ne puisse être manifesté sans la signature d'un secrétaire d'État;

4o Qu'il plaise à Sa Majesté de donner à sa réponse un éclaircissement qui rassure les peuples, sur l'effet d'une acceptation conditionnelle, motivée seulement par les circonstances, et qui ne laisse aucun doute sur cette acceptation.

Un murmure approbatif se faisait entendre en faveur des dispositions présentées par l'orateur, lorsque M. de Monspey change l'ordre de la discussion, en demandant que M. Pétion soit tenu de rédiger par écrit, de signer et de déposer sur le bureau la dénonciation qu'il a faite relativement à ce qui s'est passé dans ce qu'il appelle les fêtes militaires des gardes du corps.

M. le comte de Mirabeau. Je commence par déclarer que je regarde comme souverainement impolitique la dénonciation qui vient d'être provoquée; cependant, si l'on persiste à la demander, je suis prêt, moi, à fournir tous les détails et à les signer; mais auparavant je demande que cette assemblée déclare que la personne du roi est seule inviolable, et que tous les autres individus de l'État, quels qu'ils soient, sont également sujets et responsables devant la loi.

· Cette interpellation soudaine et si justement appliquée frappe

d'étonnement l'assemblée, et M. de Monspey se hâte de retirer une motion qu'il eût mieux aimé n'avoir pas faite, et à laquelle il eût peut-être mieux valu qu'on donnât suite.

La délibération est continuée.

Trois amendements sont admis sur la motion de M. le comte de Mirabeau, et le décret est ainsi adopté :

« L'assemblée nationale ordonne que le président, à la tête d'une députation, se retirera aujourd'hui devers la roi, à l'effet de le supplier de donner son acceptation pure et simple aux articles de la déclaration des droits, et à ceux de la constitution qui lui ont été présentés. >>

M. Target. Des députés arrivés de Paris ce matin m'ont appris que les subsistances y manquent absolument, et que la fermentation est à son comble. Ils sollicitent de votre justice d'interposer votre autorité pour obtenir du pouvoir exécutif l'exécution de votre décret concernant la circulation des blés de province à province, de ville en ville. Je vous supplie donc d'engager votre président à prier le roi d'employer toute la force publique qui est entre ses mains pour appuyer l'exécution d'un décret d'une aussi grande importance.

A peine M. Target finissait de parler, qu'une députation d'un très-grand nombre de citoyennes de Paris, déjà arrivées à Versailles, se présente à la barre. M. Maillard est à leur tête et porte la parole.

Maillard. Nous sommes venus à Versailles pour demander du pain, et en même temps pour faire punir les gardes du corps qui ont insulté la cocarde patriotique. Les aristocrates veulent nous faire périr de faim. Aujourd'hui même on a envoyé à un meunier un billet de 200 livres, en l'invitant à ne pas moudre, et en lui promettant de lui envoyer la même somme chaque semaine.

L'assemblée pousse un cri d'indignation, et de toutes les parties de la salle on lui dit: Nommez.

Maillard. Je ne puis nommer ni les dénoncés, ni les dénonciateurs, parce qu'ils me sont également inconnus; mais trois personnes que j'ai rencontrées ce matin dans une voiture de la cour m'ont appris qu'un curé devait dénoncer ce crime à l'assemblée nationale.

Une voix s'élève alors à la barre, et désigne M. l'archevêque de Paris.

L'assemblée entière s'empresse de répondre que ce prélat est incapable d'une pareille atrocité.

Maillard. Je vous supplie, pour ramener la paix, pour calmer

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