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LES

CONSTITUTIONS DE LA FRANCE

CHAPITRE PREMIER

CONSTITUTION DE 1791

L'ancienne France avait une constitution. Cette constitution n'avait jamais été écrite, mais elle existait dans une coutume constante et reconnue. Le pouvoir monarchique était héréditaire d'après des règles fixes et bien déterminées. Le roi possédait la ¦ plénitude du pouvoir exécutif. La partie la plus importante du pouvoir législatif appartenait aux États-Généraux divisés en trois ordres. Une portion du pouvoir législatif était laissée au roi, qui l'exerçait sous le contrôle des parlements revêtus du droit de n'enregistrer les ordonnances qu'après examen. Le pouvoir judiciaire était suffisamment indépendant du pouvoir exécutif. Les États provinciaux jouissaient d'attributions suffisantes. La dynastie capétienne avait été élue à l'origine par une assemblée d'évêques et de nobles, et en cas d'extinction ou de déchéance, une nouvelle dynastie ne pouvait sortir que de l'élection. Il est vrai que ces principes furent souvent méconnus, mais ils n'étaient pas moins considérés comme la base du droit public de la France. Cette constitution n'avait rien de commun, ni avec le despotisme qui est le pouvoir d'un seul sans aucune règle, ni avec le césarisme qui est le pouvoir d'un seul sans autre règle que le soin des intérêts matériels du peuple. Si notre ancienne constitution avait été viciée par le despotisme ou par le césarisme, la dynastic capétienne n'aurait pas pu donner à la France un gouvernement

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de 800 ans plein de gloire et d'honneur, sans aucune révolution, sans aucun crime, avec la transmission régulière et légitime du pouvoir; car il est dans la volonté de la Providence que même dans ce monde la vertu seule procure les longs succès. Mais lorsque Louis XVI convoqua les États-Généraux qui devinrent l'Assemblée constituante de 1789, l'ancienne constitution n'existait plus elle avait péri par la faute des rois qui avaient cessé de convoquer les États-Généraux depuis 1614, et aussi par la faute du clergé et de la noblesse qui n'avaient pas réclamé. Cependant Louis XVI regardait l'ancienne constitution du royaume comme toujours en vigueur, et il ne voulait que la réformer avec le concours des États-Généraux. Mais on ne peut pas réformer ce qui n'existe plus. Les États-Généraux, après s'être déclarés, comme ils en avaient le droit, Assemblée constituante, se virent dans la nécessité de raser les débris et les ruines qui encombraient le terrain et d'y construire à neuf. La Hollande en 1579, l'Angleterre en 1688, l'Amérique du Nord en 1776 avaient été dans une situation bien différente. Chez ces trois peuples, la révolution était conservatrice; elle avait pour but de maintenir et de défendre contre des usurpations récentes les mœurs et les droits établis depuis un grand nombre d'années; elle n'apportait aucun changement dans l'état social. C'est une tâche facile de faire. une nouvelle constitution politique quand on peut l'appuyer sur des mœurs et des droits anciens et quand l'état social ne subit aucun trouble. En France, ce fut le contraire en 1789. Les mœurs établies et les droits acquis depuis plusieurs siècles étaient intimement liés avec les principes de l'ancienne constitution qui n'existait plus depuis 175 ans. De telle sorte que la France avait non-seulement à décréter une nouvelle constitution, mais encore à former de nouvelles mœurs. La religion seule était restée debout. Ce n'était pas tout la France avait à faire du même coup nonseulement les lois politiques qui régissent la forme du gouvernement, mais encore les lois sociales, qui régissent la famille, la propriété, les successions et les contrats. En effet, quand les lois politiques et ensuite les mœurs d'une nation sont peu à peu tombées en ruines, l'état social lui-même se brise après elles. Alors il faut reconstruire à la fois les lois politiques, les mœurs et les lois sociales. Telle fut la tâche de l'Assemblée nationale de 1789. En

rasant tout, sauf la royauté, pour tout reconstruire, cette Assemblée n'obéit pas à un caprice coupable, mais à la nécessité. La royauté était la seule des antiques institutions qui eût conservé le respect et l'affection des Français. L'Assemblée la maintint, mais pour tout le reste la tradition était rompue. La religion catholique aurait pu seule relier le nouveau régime à l'ancien; elle demeurait intacte depuis seize siècles; l'Assemblée qui professait la foi la plus sincère, ne voulut jamais y porter atteinte et la confirma dans son rang de religion de l'État. Mais, quoique la religion publique fût maintenue avec foi, quoique la dynastie fût conservée avec respect, l'édifice politique et social était à bas. En le reconstruisant, l'Assemblée séparée de l'ancien régime par un gouvernement arbitraire qui avait duré 175 ans n'eut aucun souci des anciennes mœurs ni des anciennes lois. Les Français sont peut-être de toutes les nations la plus passionnée pour la justice pure. Imprudents non moins qu'héroïques, ils foulèrent aux pieds les intérêts accumulés par les siècles et voulurent refaire tout leur droit public et social sur le modèle idéal de la justice.

Voilà comment la France fut jetée dans une période révolutionnaire qui, au moment où j'écris, après 85 ans, n'est pas close.

La constitution de 1791 ne fut pas votée en quelques mois d'un seul jet. Les États-Généraux élus d'après le règlement du 24 janvier 1789 se réunirent à Versailles le 5 mai. Ils se constituèrent le 17 juin en Assemblée nationale. Cette Assemblée siégea sans interruption jusqu'au 30 septembre 1791, d'abord à Versailles jusqu'au 15 octobre 1789, ensuite depuis le 19 octobre à Paris. Dès le 6 juillet 1789 l'Assemblée nomma le comité chargé de préparer la constitution. D'abord composé de trente membres, puis de huit, ce comité proposa une série de décrets sur les matières constitutionnelles ces décrets furent votés séparément, les uns après les autres, et ensuite révisés et rassemblés dans l'acte constitutionnel qui fut adopté définitivement par l'Assemblée le 3 et accepté par Louis XVI le 14 septembre 1791. Les deux premiers de ces décrets constitutionnels sont en même temps les plus importants : c'est celui du 26 août 1789 portant Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et celui du 1er octobre 1789 sur les fonctions du Roi et du Corps législatif. Dans ces deux décrets sont contenus les principes essentiels de la constitution de 1791.

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Nous allons donner dans ce chapitre, selon l'ordre chronologique, à partir du règlement électoral du 24 janvier 1789, jusqu'à la réunion de la Convention le 21 septembre 1792, tous les actes relatifs à notre constitution politique.

ARTICLE PREMIER.

24 janvier 1789. ORDONNANCE ROYALE PORTANT REGLEMENT POUR L'ÉLECTION DES ÉTATS-GÉNÉRAUX,

Le Roi, en adressant aux diverses provinces soumises à son obéissance, des lettres de convocation pour les États-Généraux, a voulu que ses sujets fussent tous appelés à concourir aux élections des députés qui doivent former cette grande et solennelle assemblée ; Sa Majesté a désiré que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu'à elle ses vœux et ses réclamations; Sa Majesté ne peut souvent atteindre que par son amour à cette partie de ses peuples, que l'étendue de son royaume et l'appareil du trône semblent éloigner d'elle, et qui, hors de la portée de ses regards, se fie néanmoins à la protection de sa justice et aux soins prévoyants de sa bonté. Sa Majesté a donc reconnu, avec une véritable satisfaction, qu'au moyen des assemblées graduelles, ordonnées dans toute la France pour la représentation du tiers-état elle aurait ainsi une sorte de communication avec tous les habitants de son royaume, et qu'elle se rapprocherait de leurs besoins et de leurs vœux d'une manière plus sûre et plus immédiate. Sa Majesté a tâché de remplir

encore cet objet particulier de son inquiétude, en rappelant aux assemblées du clergé tous les bons et utiles pasteurs qui s'occupent de près et journellement de l'indigence et de l'assistance du peuple, et qui connaissent plus intimement ses maux et ses appréhensions. Le Roi a pris soin néanmoins que, dans aucun moment, les paroisses ne fussent privées de la présence de leurs curés, ou d'un ecclésiastique capable de les remplacer; et, dans ce but, Sa Majesté a permis aux curés qui n'ont point de vicaires, de donner leur suffrage par procuration.

Le Roi appelle au droit d'être élus pour députés de la noblesse, tous les membres de cet ordre indistinctement, propriétaires ou non pro priétaires; c'est par leurs qualités personnelles, c'est par les vertus dont ils sont comptables envers leurs ancêtres, qu'ils ont servi l'État dans tous les temps, et qu'ils le serviront encore; et le plus estimable d'entre eux sera toujours celui qui méritera le mieux de les représenter.

Le Roi, en réglant l'ordre des convocations et la forme des assemblées, a voulu suivre les anciens usages, autant qu'il était possible. Sa Majesté, guidée par ce principe, a conservé à tous les bailliages qui avaient député directement aux

États-Généraux, en 1614, un privilége consacré par le temps, pourvu, du moins, qu'ils n'eussent pas perdu les caractères auxquels cette distinction avait été accordée; et Sa Majesté, afin d'établir une règle uniforme, a étendu la même prérogative au petit nombre de bailliages qui ont acquis des titres pareils, depuis l'époque des derniers Etats-Généraux.

Il est résulté de cette disposition, que de petits bailliages auront un nombre de députés supérieur à celui qui leur aurait appartenu dans une division exactement proportionnée à leur population; mais Sa Majesté a diminué l'inconvénient de cette inégalité, en assurant aux autres bailliages une députation relative à leur population et à leur importance; et ces nouvelles combinaisons n'auront d'autre conséquence que d'augmenter un peu le nombre général des députés. Cependant le respect pour les anciens usages, et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l'ensemble de l'organisation des prochains des prochains Etats-Généraux, et toutes les dispositions préalables très-difficiles, et souvent imparfaites. Cet inconvénient n'eût pas existé, si l'on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l'équité; mais Sa Majesté a cru mieux répondre au vœu de ses peuples, en réservant à l'assemblée des États-Généraux le soin de remédier aux inégalités qu'on n'a pu éviter, et de préparer pour l'avenir un système plus parfait.

Sa Majesté a pris toutes les précautions que son esprit de sagesse

lui a inspirées, afin de prévenir les difficultés et de fixer toutes les incertitudes; elle attend des différents officiers chargés de l'exécution de ses volontés, qu'ils veilleront assidûment au maintien si désirable de l'ordre et de l'harmonie; elle attend surtout que la voix de la conscience sera seule écoutée dans le choix des députés aux États-Généraux. Sa Majesté exhorte les électeurs à se rappeler que les hommes d'un esprit sage méritent la préférence, et que par un heureux accord de la morale et de la politique, il est rare que, dans les affaires publiques et nationales, les plus honnêtes gens ne soient aussi les plus habiles. Sa Majesté est persuadée que la confiance due à une assemblée représentative de la nation entière, empêchera qu'on ne donne aux députés aucune instruction propre à arrêter ou à troubler le cours des délibérations. Elle espère que tous ses sujets auront sans cesse devant les yeux, et comme présent à leur sentiment, le bien inappréciable que les États-Généraux peuvent opérer, et qu'une si haute considération les détournera de se livrer prématurément à un esprit de défiance, qui rend si facilement injuste, et qui empêcherait de faire servir à la gloire et à la prospérité de l'État, la plus grande de toutes les forces, l'union des intérêts et des volontés. Enfin, Sa Majesté, selon l'usage observé par les rois ses précédesseurs, s'est déterminée à rassembler autour de sa demeure les États-Généraux du royaume, non pour gêner, en aucune manière, la liberté de leurs délibérations, mais pour leur conserver le

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