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Dans mon Mémoire sur la statistique considérée sous le rapport du physique, du moral et de l'intelligence de l'homme, j'ai cherché à montrer que la pluralité des caisses des veuves et orphelins est contraire aux principes de la science, et que « le petit nombre d'observations doit établir nécessairement des divergences considérables entre le calcul et l'observation; on ne procède plus alors par probabilités, disais-je, mais, comme l'indiquent la théorie et l'expérience, par simples possibilités. »

Sans répondre à cette proposition scientifique, l'un de mes honorables collègues a cru voir dans ces mots un sens que j'étais loin d'y attacher. Je laisse aux personnes qui ont quelques connaissances de la théorie des probabilités le soin de juger si j'ai été dans l'erreur. Quant aux observations étrangères à la question, que je suis loin d'approuver, je les abandonne également à leur appréciation.

AD. QUETELET.

LES

SOCIÉTÉS D'ASSURANCES SUR LA VIE EN ALLEMAGNE,

PARTICULIÈREMENT LA BANQUE D'ASSURANCES DE GOTHA,

ET LA MORTALITÉ DE SES ASSURÉS.

NOTICE

PAR G. HOPF, membre correspondant de la Commission centrale.

Des caisses de veuves et des sociétés de funérailles ont existé en grand nombre en Allemagne depuis plus de deux cents ans. Il n'y avait aucune ville de quelque importance qui ne possédât une ou plusieurs de ces institutions. C'étaient ordinairement les corps de métiers qui les entrenaient en faveur de leurs membres, et aussi dans un but d'union de leurs intérêts communs.

Le goût de ces institutions qui avait pris naissance dans les corps des métiers, joint au désir de venir en aide aux survivants, s'étendit aux autres classes du peuple : c'est ainsi qu'en Allemagne on compte par centaines, même par milliers, de caisses de funérailles. A la mort d'un de leurs membres, elles payent une certaine somme aux survivants, pour couvrir les frais de l'enterrement et de l'entretien momentané de la famille.

TOME VIII.

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La participation à ces caisses, même de la part des classes les moins aisées du peuple, était de tout temps très-grande, parce que les plus pauvres tenaient à honneur de s'assurer, après leur mort, un enterrement convenable, accompagné d'une certaine pompe : c'était pour beaucoup d'entre eux, surtout pour les femmes, le motif qui les portait à s'affilier à une caisse de funérailles.

Les caisses des veuves qui, à la mort du mari, servent à sa veuve une pension annuelle sont moins nombreuses que les premières. Ce sont principalement les gouvernements et les princes qui fondèrent ces institutions pour leurs employés et serviteurs, et l'on trouve à peine un pays en Allemagne où il n'existe une ou plusieurs caisses de veuves, soit pour les employés de l'État et les serviteurs de la cour, soit, et ce cas se présente le plus généralement, pour les pasteurs, les instituteurs et les officiers de l'armée.

Le duc Ernest de Gotha, surnommé le Pieux, la souche des princes des maisons ducales de Saxe, qui fit beaucoup pour l'instruction et le culte, fonda, dès l'année 1645, une caisse de veuves pour les pasteurs des églises de ce duché, et, en 1662, une caisse semblable pour les instituteurs, établissements qui subirent diverses modifications dans leurs statuts primitifs, mais qui durèrent jusqu'à leur réunion, il y a une quarantaine d'années, à la caisse des veuves fondée. en 1775, pour les fonctionnaires du duché.

Toutes ces institutions d'origine ancienne étaient organisées d'une manière très-incomplète, et beaucoup d'entre elles, qui ne reposaient pas sur la participation obligatoire des membres d'une corporation quelconque, ont fini par se ruiner. Au temps de leur fondation, les éléments scientifiques faisaient entièrement défaut d'une part, on n'avait pas encore suffisamment étudié les lois de la mortalité; d'autre part, les mathématiciens n'avaient guère fixé leur attention sur les parties de leur science qui se rapportent à la vie probable. Ces études ne datent que du XVIIIme siècle. Il est vrai qu'on avait déjà recueilli en Allemagne des données sur la mortalité, et l'on sait que Halley fonda sa table de mortalité sur les observations faites dans la ville de Breslau, pendant les années 1687-1691. Mais, malgré la perfection de la méthode de calcul de ce grand savant, il était cependant évident qu'avec des observations aussi restreintes que celles qui avaient été faites dans une seule et même ville, durant la courte période ci-dessus, on ne pouvait représenter la loi de mortalité des hommes, et, par conséquent, accorder de confiance à la table de mortalité de Halley. Aussi n'a-t-elle jamais pu être appliquée à des caisses de funérailles ou de veuves ni à d'autres institutions semblables.

Ce n'est que vers le milieu du dernier siècle que l'étude de la loi de la mortalité fit des progrès plus marquants. Ce fut Süssmilch, homme d'un grand mérite qui, non-seulement a approfondi cette branche de la statistique, mais, scrutant en même temps le domaine entier de l'ethnographie, l'a élevée au rang d'une science. L'ouvrage qu'il publia sous ce titre: De l'ordre Divin dans les variations du genre humain, parut d'abord en 1741 et eut plusieurs éditions successivement et considérablement augmentées : il forme la base de toutes les recherches ultérieures dans le domaine de cette science. Peu de temps après que Süssmilch eut construit une table de mortalité, plusieurs savants allemands fixèrent les formules pour établir, d'après ces tables, les assurances sur la vie et les rentes viagères. Les principaux sont : Euler', Florencourt *, Karstens et Tetens '. Ce dernier, qui indiqua dès cette époque (1785) des règles pratiques pour l'extension des calculs, cultiva tout le domaine de cette partie de la science avec une telle perspicacité et une telle profondeur, qu'aujourd'hui même ses œuvres ne peuvent être considérées comme surannées, et servent de base à tous les travaux faits depuis sur cette matière. Seulement, ce ne fut que longtemps après que les principes posés par ces savants furent appliqués aux institutions relatives à la durée de la vie humaine. Après la publication de leurs ouvrages, un grand nombre de caisses de funérailles et caisses de veuves, fondées depuis, étaient encore empreintes des mêmes vices d'organisation.

Les caisses de funérailles sont des sociétés d'assurances sur la vie d'une moindre importance. Chaque membre verse le montant de sa cotisation, soit périodiquement, soit en une seule fois; après son décès, on paye à ses héritiers une somme fixée d'avance. Mais l'expérience acquise en Angleterre par des institutions qui comprennent des valeurs plus considérables et admettent, par conséquent, des membres dans un cercle moins restreint, était nécessaire pour fonder en Allemagne des établissements analogues, bien que le grand nombre de caisses de funérailles dùt faire naître l'idée d'y donner plus de développement. C'est à Gotha que l'initiative fut prise. On y fonda une banque d'assurances sur la vie, établie sur les mêmes principes que la banque d'assurances mutuelles contre l'incendie et actuellement dans l'état le plus florissant. Elle a inspiré l'idée de la création de celle de Gotha

Histoire de l'Académie de Prusse, année 1760, p. 165. Berlin, 1761. Neues Hamburger Magazin. (Nouveau Magasin de Hambourg). Leipzick, 1770, no 43.

* Florencourt, Abhandlungen aus der juristischen und politischen Rechenkunst. (Études sur l'arithmétique juridique et politique). Altenbourg, 1781.

3 Karstens, Theorie der Wittwen Cassen. (Théorie des caisses de veuves). Halle, 1784. * Tetens, Einleitung zur Berechnung der Leibrenten und Anwartschaften, die vom Leben und Tode einer oder mehrerer Personen abhangen. (Introduction au calcul des rentes viagères et du payement aux survivants, dépendant de la vie et de la mort d'une ou de plusieurs personnes). Leipzick, 1785 et 1786, 2 vol.

et est maintenant dans un état prospère. Le projet de cette société fut publié en 1827, après des essais et des calculs nombreux; on fit appel à des participants, qui se présentaient bientôt en grand nombre; cependant les polices de cette société ne furent émises qu'au 1er janvier 1829, et la première période de 30 ans de l'existence de ce genre d'assurances sur le sol allemand, n'expira qu'en 1858. Depuis l'établissement de cette banque, il ne s'est presque pas écoulé d'année sans que l'on ait fondé une ou plusieurs de ces institutions.

Le tableau no 1 indique les résultats obtenus par toutes ces fondations jusqu'à la fin de 1858. Les primes qu'elles se font payer pour une assurance sur la vie entière sont indiquées dans le 2me tableau.

Le nombre des sociétés d'assurances sur la vie qui existaient en Allemagne en 1858, s'élevait à 26. Le nombre des sociétés anglaises, françaises et belges qui ont étendu leurs relations en Allemagne atteint également ce chiffre et le depasse quelquefois. Parmi celles-ci, ce sont surtout les sociétés anglaises qui font des opérations considérables dans les grands centres de commerce et de navigation. Dans la plupart des États allemands, l'assentiment du gouvernement est nécessaire pour chaque agence étrangère, mais cette autorisation est souvent refusée, ou bien on entrave les opérations par des prescriptions gênantes. La législation qui régit cette matière dans ces divers pays est très-différente: ainsi quelques gouvernements, comme ceux des villes hanséatiques du royaume de Saxe et de la Thuringe, se montrent très-libéraux et laissent toute liberté aux opérations dans le domaine des assurances sur la vie, ou ne prescrivent que quelques conditions faciles à remplir; dans d'autres pays, au contraire, il est très-difficile d'obtenir l'autorisation pour ces agences. Ces entraves s'étendent aux établissements allemands aussi bien qu'à ceux de l'étranger. Jusqu'ici l'Autriche n'a pas encore admis dans ses États une seule société d'assurances étrangère; et tandis que les fondations autrichiennes s'étendent à plusieurs pays allemands, elle se montre très-rigoureuse chez elle envers les sociétés étrangères. Cependant la protection donnée à quelques sociétés indigènes d'assurances sur la vie, tout en excluant la concurrence étrangère, ne les a nullement conduites à une position très-prospère. Au contraire, nous pensons que cette interdiction leur a été plus nuisible que favorable, et nous invoquons le premier tableau comme preuve de notre opinion. Des cinq sociétés d'assurances sur la vie, les plus anciennes de l'Autriche, il n'y en a que deux jusqu'ici qui aient publié des rapports sur leurs opérations, et parmi elles, il n'y en a qu'une, le Assicurazioni generali de Trieste, qui ait fait quelques progrès peu importants.

En général la position des autres sociétés autrichiennes est très-modeste, et nous croyons ne pas nous tromper en disant que les opérations de trois d'entre

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