TABLE DE MORTALITÉ D'APRÈS LE RECENSEMENT DE 1856; PAR M. A. QUETELET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CENTRALE DE STATISTIQUE. L'idée de former des tables de mortalité ne remonte pas à plus de deux siècles : John Graunt paraît l'avoir consignée pour la première fois, en 1661, dans ses annotations sur les bills de mortalité de la capitale d'Angleterre. Cependant, la première table de mortalité ne parut qu'en 1693, dans les Transactions philosophiques de la Société royale de Londres : elle fut calculée par l'astronome Halley, qui prit, comme l'on sait, la ville de Breslau, en Silésie, pour type de ses calculs. Ce savant avait reconnu, en effet, que la population y était sensiblement stationnaire, c'est-à-dire que le nombre annuel des naissances compensait exactement celui des décès, et qu'il n'y avait pas de mutation par suite d'émigrations ou d'immigrations. Il suffit donc de recueillir le chiffre des naissances pendant une année, si ce chiffre est égal à celui des décès survenus pendant le même temps pour les individus d'un an, de deux ans, de trois ans, etc. Cela suppose, toutefois, qu'il n'y ait aucune cause perturbatrice. Cette liste de décès reste annuellement la même, et elle forme ainsi la table de mortalité. Mais pour éliminer les causes perturbatrices, au lieu d'une année, on doit prendre la moyenne de plusieurs années. Cette méthode est fort simple; elle n'exige, en effet, que la connaissance de l'égalité entre le nombre des naissances et celui des décès, en même temps que le nombre, toujours le même, des décès par âges: c'est ce qui l'a fait nommer la méthode des listes mortuaires. Il est bien entendu que les inégalités dans la série des nombres, surtout celles qui proviennent des déclarations trop fortes et qui s'attachent généralement aux 60 TOME VIII. åges de vingt, trente, quarante, etc., années, aux dépens des nombres voisins. doivent être modifiées d'abord par les procédés de calcul qu'indique la science. Mais une population est rarement stationnaire; on la trouve généralement ou croissante ou décroissante; et il convient alors de l'étudier par la méthode directe. Il est essentiel à cet effet de connaître la population de chaque âge, et de comparer à sa valeur le nombre des décès qu'elle fournit : c'est la marche que nous avons suivie, en calculant la table de mortalité de la Belgique pour 1846. Dans certains cas, on simplifie le calcul, si l'on peut supposer que la population ait été croissante ou décroissante, d'après certains principes, par exemple, selon une progression géométrique. Il est douteux cependant qu'une pareille loi puisse s'observer pendant un siècle entier sans subir d'altération sensible. Les tables de mortalité sont d'un usage trop fréquent pour négliger l'occasion de leur donner le plus d'exactitude possible. Les premières tables publiées pour la Belgique n'étaient fondées que sur les relevés annuels des naissances et des décès. Nous avons recommencé le calcul à différentes reprises, et en cherchant à améliorer chaque fois nos résultats par les documents nouveaux que nous pouvions recueillir; mais nous avons indiqué déjà ce que la méthode des listes mortuaires a de défectueux 1. En 1846, on exécuta enfin le premier recensement qui eut lieu sous le Gouvernement actuel 2. Il fut fait avec soin; et la Commission centrale de statistique du royaume mit une attention toute particulière à en surveiller les opérations. Les résultats ne furent connus que quelques années après, et nous servirent à 1 Le premier essai, pour la ville de Bruxelles seulement, et d'après les documents de six années, parut en 1825, dans le tome III des Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles, sous le titre de Mémoire sur les lois des naissances et de la mortalité; in-4°. En 1827, je publiai une table plus étendue; aux nombres de Bruxelles furent joints ceux de Maestricht et de Tournai, dans le mémoire intitulé Recherches sur la population et les naissances, etc., tome IV des Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles et dans le tome III de la Correspondance mathématique de la même ville. En 1832, parurent des tables générales, d'après les registres de l'état civil du royaume, et les trois années antérieures à la révolution de 1830. Nous y faisions la distinction des sexes et du séjour des villes et des campagnes; elles sont publiées dans le volume des Recherches sur la reproduction et la mortalité, etc., par A. Quetelet et Ed. Smits; 1 vol. in-8°; 1832. En 1841, je donnai, dans le Bulletin de la Commission centrale de statistique, deux mémoires, l'un sur la mortalité et l'autre sur la population dans le royaume; j'y présentai un nouvel essai sur la mortalité, mais toujours d'après les listes des naissances et des décès seulement. 2 Un recensement général de la population eut également lieu sous le Gouvernement précédent, vers la fin de 1829. Les résultats qu'il donna présentaient beaucoup plus de garantie d'exactitude qu'on ne pouvait l'espérer alors. calculer une table de mortalité, en employant la méthode directe. Les formules et les procédés auxquels nous eûmes recours, sont exposés dans un mémoire qui parut dans le Bulletin de la Commission centrale de statistique 1. Nous avons eu soin, cette fois, de tenir compte de la population croissante et de tous les moyens qui pouvaient assurer l'exactitude des résultats. La table calculée par cette voie présente, au premier abord, une notable différence avec l'ancienne; elle provient surtout de ce que la méthode nouvelle tient compte de l'accroissement de la population, tandis que l'ancienne suppose la population stationnaire. En prenant la population dans son sens le plus général, en la supposant quelconque, nous n'avions qu'une méthode à suivre: elle était sûre, quoique peutêtre un peu longue; elle consistait à déterminer la mortalité réelle de chaque âge, en comparant le nombre de décès au nombre d'individus qu'accusait le recensement: c'est la méthode que nous avons cru devoir adopter. Elle nous mettait à l'abri de toute idée préconçue; un simple calcul a fait voir ensuite que le rapport entre le nombre obtenu directement par le recensement pour chaque âge et le nombre des décès qu'il produit, permet de supposer que l'accroissement annuel de population se fait approximativement, selon une progression géométrique, ce qui était le cas le plus simple qu'on pût examiner: il suffit en effet d'admettre que chaque individu, par plus de soins et d'aisance, parvienne, quel que soit son âge, à jouir d'une mortalité moindre. A la suite du recensement de 1856, nous crûmes devoir en soumettre les éléments à un nouvel examen. Toutefois les nombres relatifs aux dix premières années de la vie, nous ont paru déterminés avec bien moins de sûreté par le recensement que par les chiffres des naissances et des décès, recueillis par l'état civil pendant ce même laps de temps. Pour les autres chiffres, il a fallu établir la continuité, et surtout avoir égard à ce que les nombres ronds, tels que trente, quarante, cinquante, etc., années, sont toujours surchargés aux dépens des nombres avoisinants, soit par calcul des déclarants, soit par ignorance; pour 100,000 habitants, par exemple, on en trouve 42,541 de 50 ans; et seulement 36,629 et 31,738, de 49 et de 51 ans. Quoi qu'il en soit, nous reproduisons ici les chiffres du recensement réduits à 100,000; nous n'admettons d'autres substitution, dans ce premier essai, que les chiffres des dix premières années que nous déduisons, comme il a été dit, des documents des naissances et des décès recueillis pendant la période décennale antérieure à 18562. Tome V du Bulletin; in-4°; 1855. 1 Une partie des calculs contenus dans ce mémoire ont été faits par mon fils, et spécialement la table qui se trouve à la page suivante. |