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» ART. 93. A l'époque où les dépenses normales de la caisse pourront être éva» luées, si l'actif s'est accumulé au delà des besoins probables de l'avenir, l'on >> pourra, ou diminuer le taux des retenues déterminées ci-dessus, ou cesser d'opé>> rer quelques-unes de ces retenues. >>

On voit, par le texte du second de ces articles, que l'intention des auteurs des statuts avait été d'ajourner toute réduction des retenues jusqu'à « l'époque où les dépenses normales de la caisse pourraient être évaluées; » on cherchait ainsi, mais en vain, à prévenir des changements trop précipités.

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Il y avait, en outre, un autre intérêt : l'obligation de veiller à l'application uniforme des statuts. Des difficultés s'élevant sur des cas douteux, il était opportun d'avoir un conseil composé de quelques-uns des membres qui avaient préparé la loi et les statuts. Un arrêté royal du 5 mai 1845 créa ce conseil sous le nom de Commission consultative, etc. Il fut composé de MM. Visschers, président, baron de Crassier, secrétaire général du Ministère de la justice, baron Émile de T'Serclaes, secrétaire général du Ministère des affaires étrangères; Stevens, directeur au Ministère de l'intérieur; Quoilin, inspecteur en chef, chef de division au Ministère des finances; Flanneau, chef de bureau au Ministère de la guerre. M. Quoilin voulut bien remplir les fonctions de secrétaire.

La commission consultative, qui émit un assez grand nombre d'avis, n'eut que trois ans de durée. Elle ne correspondait qu'avec le Département des finances, et ses avis étaient soumis à l'approbation du chef du Département que la question traitée concernait. Au bout de ces trois années, une dérogation importante introduite dans les statuts de la caisse de l'Ordre judiciaire, entraina la retraite du président de la commission; ce fut le signal de sa dissolution.

En général, les membres des conseils placés près des caisses des veuves et orphelins, manifestèrent bientôt le désir de voir réduire les retenues sur les traitements, et auraient voulu en même temps augmenter les pensions. Heureusement les statuts avaient remis l'administration des caisses aux chefs des Départements et non aux conseils. Il n'y eut qu'un petit nombre de fonctionnaires, parmi lesquels il faut citer les membres du conseil de la caisse du Département des finances, qui, instruits par l'expérience, montrèrent plus de prudence. Ce fut un exemple fâcheux que donnèrent les magistrats composant le conseil de la caisse de l'Ordre judiciaire à peine SIX MOIS s'étaient écoulés depuis l'institution de la caisse, qu'ils réclamaient en même temps « la réduction de la retenue ordinaire >> sur les traitements et l'accroissement immédiat des pensions à raison des années » de contribution. »

Ce fut pour satisfaire à ces réclamations, en date du 26 juin 1845 et du 21 avril 1846, que le Ministre de la justice d'alors (M. le baron d'Anethan) éleva le taux

normal de la pension des veuves, en le portant uniformément à 20 p. % du traitement moyen du défunt, et modifia les règles de l'accroissement des pensions à raison des années de contribution, en commençant cette augmentation après cinq années au lieu de dix, tout en la réduisant à '/, p. au lieu de 1 p.% par an. Cette mesure fit l'objet d'un arrêté royal en date du 26 février 1847 (Moniteur du 1er mars).

Outre l'inégalité que cette dérogation apportait dans les pensions des veuves dont les maris, dans les diverses caisses, avaient supporté les mêmes contributions, cette mesure dérangeait les rapports entre les pensions de retraite des fonctionnaires et celles de leurs veuves, et le système gradué de retenues et de pensions, que les statuts avaient établi pour les petits, les moyens et les grands traitements. Les limites apportées pour restreindre légèrement les pensions calculées sur de gros traitements (art. 45), avaient disparu. Après peu d'années de contribution, du mari, on donnait à la veuve une pension hors de proportion avec les versements opérés; et l'on nuisait essentiellement à la caisse, parce que ces pensions données, par la force des choses, en général à de jeunes veuves, doivent durer longtemps. Et, par une véritable contradiction, on accordait relativement moins à la veuve du magistrat qui, pendant de longues années, avait contribué à la caisse. L'harmonie était rompue; mais les pensions prochaines étant plus belles, on s'inquiétait peu de l'avenir'.

Lancé dans cette voie, après un premier succès, le conseil de la caisse de l'Ordre judiciaire renouvela sa demande relative à la réduction de la retenue. La loi venait d'améliorer le sort des fonctionnaires de l'Ordre judiciaire; pour beaucoup d'entre eux il en résultait une augmentation de traitement d'un cinquième à un quart. L'application du no 2 de l'art. 15 des statuts avait procuré à la caisse une recette extraordinaire de 90,000 francs environ. Par arrêté du 11 août 1850 (Moniteur belge du 18), le Ministre de la justice, M. de Haussy, acheva l'œuvre de son prédécesseur; il réduisit d'un demi pour cent la retenue sur les traitements, et enleva d'un coup 13,000 francs de revenu à la caisse.

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Le Département de l'intérieur résista longtemps aux velléités de réduction des retenues un arrêté royal du 2 décembre 1854 (Moniteur du 3 décembre) réduisit d'un demi pour cent les retenues ordinaires de 3 et de 2 1⁄2 p. %; un second arrêté du 8 décembre 1855 (Moniteur du 13 décembre) a encore réduit ces retenues d'un demi pour cent. Mais l'effet de ces réductions échappe à la période décennale (1845 à 1854) dont nous allons examiner les résultats.

1 Les conséquences de cette dérogation aux statuts de la caisse de l'Ordre judiciaire ont déjà été exposées dans un Mémoire inséré au tome IV, p. 93, du Bulletin de la Commission centrale de Statistique.

2 Le Département de l'intérieur ne s'est pas arrêté à ces réductions. Un arrêté royal du 30 mars

Pour le Département des affaires étrangères, un arrêté royal du 10 décembre 1854 (Moniteur du 14 décembre) a réduit d'un p. %, à partir du 1er janvier 1855, les retenues ordinaires de 3 et de 2 1⁄2 p. % 1.

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A la caisse des professeurs de l'Enseignement supérieur, un arrêté royal du 25 septembre 1850 (Moniteur du 29 septembre) a autorisé les veuves et les orphelins des professeurs en fonctions lors de la promulgation de la loi sur les pensions, à réclamer, pour la liquidation de leurs pensions, l'application du règlement du 25 septembre 1816, qui leur est plus favorable que ne le sont les statuts. Cela a été encore une source d'aggravation de dépenses.

Dans un sens contraire, le conseil de la caisse des veuves et orphelins du Département des finances, appréciant les charges qui résultent pour la caisse de l'admission des années de contribution à l'ancienne caisse de retraite, sans compensation d'un actif équivalent, a sagement représenté au chef de ce Département la nécessité de pourvoir à une augmentation de recettes.

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Le Ministre (M. Mercier) accueillit cette proposition, et, dans son rapport au Roi, il établit en ces termes la situation réelle de la caisse : « Un examen attentif >> des faits réalisés pendant une période de douze ans est venu inspirer de vives inquiétudes sur l'avenir de la caisse, et malgré une situation présente, en apparence très-prospère, malgré une réserve de plus de trois millions placés aujour>> d'hui en fonds publics, des calculs faits avec soin et soumis à une vérification rigoureuse ont révélé cette circonstance grave, que, dans les conditions actuelles, >> l'institution serait en déficit dans peu d'années.

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>> En ce qui concerne les revenus de la caisse et le nombre des pensions à servir, les prévisions de 1844 se rapprochent d'une manière remarquable des

>> faits constatés à la fin de 1856; mais elles présentent un écart sensible en ce qui concerne les extinctions et la moyenne du montant des pensions.

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Dans les premières années de l'établissement des tontines, une situation se produit de nature à séduire généralement ceux qui ont reçu mission d'en assurer ›› le maintien. Les revenus principaux sont dès l'origine ce qu'ils doivent rester >> dans l'avenir, tandis que les dépenses, nulles ou très-faibles au commencement, >> s'accroissent successivement pendant un grand nombre d'années. De là ce résultat

1857 (Moniteur du 3 avril), exécutoire à partir du 1er janvier de cette année, a réduit les retenues ordinaires à 111⁄2 et à 1 p. %, et fixé à 17 et à 18 p.%, au lieu de 15 et 16 p. %, le montant de la pension normale des veuves. Nous verrons plus loin quels seront les effets de ces mesures. 1 Des arrêtés royaux du 12 décembre 1856 (Moniteur du 24) et du 18 décembre 1857 (Moniteur du 20) ont successivement élevé le taux de la liquidation des pensions des veuves à 19 et à 20 p.% des traitements moyens des défunts, et réduit les retenues ordinaires à 1 et à 1/2 p. % des traitements. Les conséquences de ces mesures ne se feront que trop tôt sentir.

» fatal et trop fréquent, que, sans le savoir, on est amené, faute de prévoyance, >> à compromettre l'avenir au profit du présent '. »

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Un arrêté royal, en date du 30 avril 1857 (Moniteur du 2 mai), pris à la suite de ce rapport, a fixé, pour la caisse du Département des finances, à 4 p. % la retenue sur les traitements de douze cents francs et au-dessus, et à 3, p. % la retenue sur les traitements inférieurs à cette somme. La retenue par suite de mariage a été haussée et portée peut-être au delà des limites indiquées à l'article 34, no 7, de la loi générale. La retenue par suite de disproportion d'âge a aussi été augmentée; là également, on s'est exposé à dépasser la limite tracée au no 1 de l'article 34. Mais au fond, sauf régularisation si c'est nécessaire, ces mesures sont excellentes. Suffiront-elles pour rétablir, dans la caisse de ce Département, un équilibre qu'a détruit l'énormité des charges transmises, sans actif réel, par l'ancienne caisse de retraite ?

Qui avait raison, de la commission d'hommes qui avaient apporté la plus grande prudence dans la rédaction des statuts, ou des membres des conseils préposés à la surveillance des caisses? C'est avec fondement, pensons-nous, que les statuts ont rendu nécessaire l'intervention de ces conseils dans tous les actes d'administration; mais l'on a aussi agi prudemment, afin que les intérêts de l'avenir ne fussent pas sacrifiés aux exigences du présent, en ne leur confiant pas le droit de fixer le taux des retenues ou les bases de la liquidation des pensions. Toutefois. les membres de ces conseils ont vivement insisté sur des réductions de retenues: on a même modifié le taux de liquidation des pensions des veuves avant que les faits ne vinssent éclairer l'administration sur la portée de ces mesures.

Ce n'est pas que nous pensions que le travail de la commission générale doive être considéré comme parfait dans toutes ses parties et comme ne devant recevoir aucune amélioration par suite des leçons de l'expérience. D'abord, nous croyons que l'on aurait pu réduire le nombre des caisses et répartir ainsi sur un plus grand nombre de participants les chances bonnes et mauvaises. C'était notre avis primitivement. Ensuite la commission elle-même reconnaissait que, pour remplir

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L'importance de ce rapport et de l'arrêté royal qui l'a suivi nous détermine à insérer ces deux pièces en entier, à la suite des statuts de la caisse du Département de l'intérieur. (Voir ci-après aux Documents officiels.)

2 M. Quetelet, l'honorable président de la Commission centrale de statistique, allait même plus loin. Pénétré de l'idée que l'on ne peut asseoir avec justesse des calculs de probabilité que sur des nombres très-élevés, il n'aurait voulu qu'une caisse générale d'assurances, et il fit, à ce sujet, ses réserves formelles dans la commission.

D'autres idées prévalurent. La magistrature, les professeurs attachés à l'enseignement supérieur, la généralité même des fonctionnaires réclamaient des caisses séparées.

complétement son mandat, il lui manquait des renseignements essentiels. Ainsi, pour calculer à l'aide des tables de mortalité la durée probable des pensions, il eût fallu connaître au préalable, pour chaque caisse, l'âge moyen auquel les veuves sont admises à la pension, le nombre probable de celles qui se remarieraient, etc. Après avoir admis pour base normale de la pension le taux de 15 ou de 16 p. % du traitement moyen du défunt pendant les cinq dernières années, on avait accordé dans les statuts 1 p. % d'augmentation (calculé sur ce même traitement) pour chaque année de contribution à la caisse au delà de dix. On ne pouvait encore préjuger si, à l'époque où les opérations de la caisse seraient en plein exercice, le taux de la liquidation des pensions dépasserait en moyenne un taux déterminé, par exemple, 30 ou 32 p. % des traitements moyens. Maintenant encore on ne peut se livrer, à cet égard, qu'à des conjectures; et puis les résultats ne varieront-ils pas dans les différentes caisses? Les fonctionnaires et employés sont plus ou moins stables, ils entrent dans l'administration plus ou moins jeunes; un plus ou moins grand nombre d'entre eux sont mariés. Parmi les veuves, combien se remarieront? Cela peut faire modifier les calculs fondés sur les tables de survie. Enfin, s'il s'agit de têtes choisies, c'est-à-dire de conditions qui ne sont point celles de la généraralité de la population, quelle fraction faut-il ajouter pour les chances de survie ? Toutes ces considérations expliquent comment la commission générale a dù souvent procéder par tâtonnements et montrer une grande réserve.

Ces mêmes considérations justifieront la prudence que nous mettrons dans les

On objectait qu'une seule caisse serait mal gérée, chacun ne cherchant qu'à en tirer profit pour les siens, sans s'inquiéter des versements à faire dans l'intérêt commun. Dans cet ordre d'idées, pouvait-on obliger les célibataires et les veufs sans enfants à y contribuer ?

La solidarité, qui est le principe de toute association, suppose l'existence d'un lien, une affinité. Or, disait-on, quel rapport y a-t-il entre les employés des douanes et les membres de l'ordre judiciaire, entre les gardiens des prisons, les gardes convoi, les mécaniciens attachés à l'exploitation des chemins de fer et les professeurs des universités de l'État ?

Puis plusieurs caisses, comme celles des Départements des finances et des travaux publics, étaient dans une situation particulière succédant à des caisses plus anciennes, elles devaient tenir compte aux veuves des années pendant lesquelles leurs maris avaient contribué à ces caisses; spécialement les fonctionnaires du Département des finances avaient à supporter, de ce chef, des retenues plus élevées que les fonctionnaires des autres Départements.

On admit donc le principe de la pluralité des caisses; mais on alla trop loin dans l'application. Nous avons exposé nos vues ci-dessus à cet égard. Quelle sécurité présentent contre de mauvaises chances, des caisses qui, ainsi que celles du Département des affaires étrangères et des professeurs de l'Enseignement supérieur, ne comptent que 175 et 90 participants?

Sous ce rapport, nous avons partagé les appréhensions de l'honorable président de la Commission centrale.

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