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elle au niveau du crime même, et doit-elle être punie comme lui? Punira-t-on de mort un projet lorsqu'il ne tend pas à compromettre le salut public? Ce voleur est fondé à vous dire: je. n'ai pas tué, et en prononçant contre ce criminel la peine capitale, vous le conduisez à assassiner, puisque par-là il supprime un témoin. Tel est le grand reproche qu'on n'a cessé d'élever contre la loi de François I. Convenons de sa justesse'; mais avouons en même temps que, la vie de chacun étant sous la garde de tous, la condamnation à la mort contre un assassin n'est que la déclaration d'un droit naturel, et que c'est quelque. chose que le repos de la société.

Bien certainement il faut joindre la pitié à la justice, changer, autant que cela est praticable, les scélérats en serviteurs de la patrie, punir utilement, punir exemplairement, sans répandre un sang nécessaire à l'État: le grand objet doit être de le servir.

Mais le comité, en proposant la peine de mort contre les criminels de lèse-nation, reconnaît donc que cette peine est utile, qu'elle est nécessaire; il reconnaît qu'elle n'est pas bonne la prétendue maxime que la mort ne répare rien.

Ceux qui menacent l'existence physique de tous les membres de la société et attentent à celle de plusieurs, sont-ils plus dignes de vivre que ceux qui menacent sa vie politique? La nature me donne le droit d'ôter la vie à celui qui veut me la ravir, dès qu'il ne me reste que ce moyen de me sauver. La société ne m'en a interdit l'usage qu'en me disant: Je me charge de l'exercer.i

Il est d'une inutilité complète de prouver que ce sont là les seuls crimes qu'elle doit punir de mort.: l'équité naturelle n'á besoin que d'être avertie. Quelle proportion des législateurs ont-ils pu apercevoir entre une somme d'argent et la vie d'un homme? Comment donc ont-ils calculé ces rapports-là?

S'ils étaient pour un moment rappelés à la vie, je leur dirais : La superstition des anciennes règles n'est plus; consultez tous les hommes assemblés, et j'emploie d'avance leur réponse.

J'ajouterais: Aidez-moi plutôt à transporter au milieu de nous

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l'autel que les Athéniens avaient fait élever à la miséricorde, Ah! nous avons bien quelques sacrifices expiatoires à lui faire!

J'excepte cependant, et l'assemblée exceptera sûrement avec moi le fabricateur de faux assignats: celui-là tue le corps social, et tout est dans ce mot, Périsse cet affreux talent, périssent ses affreux possesseurs!

Au reste, si jamais il plaît à l'Éternel de former un peuple neuf, et de l'établir dans une île toute neuve, le comité pourra lui proposer son code: encore si ce peuple est sage et ses législateurs avisés, la proposition sera-t-elle ajournée à mille et un

ans.

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les

Je demande donc que la peine de mort soit conservée pour l criminels de lèse-nation, les assassins, les empoisonneurs, les incendiaires et les fabricateurs de faux assignats, sans que jamais il puisse être prononcé aucune peine au-delà de la simple

mort.

[M. Robespierre. La nouvelle ayant été portée à Athènes que des citoyens avaient été condamnés à mort dans la ville d'Argos, on courut dans les temples, et on conjura les dieux de détourner des Athéniens des pensées si cruelles et si funestes. Je viens prier non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la Divinité a dietées aux hommes, d'effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs moeurs et leur constitution nouvelle. Je veux leur prouver, 4o que la peine de mort est essentiellement injuste; 2° qu'elle n'est pas da plus réprimante des peines, et qu'elle multiplie les crimes beaucoup plus qu'elle.ne les prévient. The 409) to es sina vanne

Hors de la société civile, qu'un ennemi acharné vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont cultivé, puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue; et la loi de la défense naturelle me justifie et m'approuve. Mais dans la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l'autoriser à

lui donner la mort? quelle nécessité peut l'en absoudre? Un vainqueur qui fait mourir ses ennemis captifs est appelé barbare! Un homme fait qui égorge un enfant qu'il peut désarmer et punir, paraît un monstre! Un accusé que la société condamne n'est tout au plus pour elle qu'un ennemi vaincu et impuissant; il est devant elle plus faible qu'un enfant devant un homme fait.

Ainsi, aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de mort, qu'elle ordonne avec tant d'appareil, ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels, commis, non par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales. Quelque cruelles, quelque extravagantes que soient ces lois, ne vous en étonnez plus: elles sont l'ouvrage de quelques tyrans; elles sont les chaînes dont ils accablent l'espèce humaine; elles sont les armes avec lesquelles ils la subjuguent; elles furent écrites avec du sang. Il n'est point permis de mettre à mort un citoyen romain: telle était la loi que le peuple avait portée, Mais Sylla vainquit, et dit: Tous ceux qui ont porté les armes contre moi sont dignes de mort. Octave et les compagnons de ses forfaits confirmèrent cette loi.

Sous Tibère, avoir loué Brutus fut un crime digne de mort. Caligula condamna à mort ceux qui étaient assez sacriléges pour se déshabiller devant l'image de l'empereur. Quand la tyrannie eut inventé les crimes de lèse-majesté, qui étaient ou des actions indifférentes ou des actions héroïques, qui eût osé penser qu'elles pouvaient mériter une peine plus douce que la mort, à moins de se rendre coupable lui-même de lèse-majesté?

Quand le fanatisme, né de l'union monstrueuse de l'ignorance et du despotisme, inventa à son tour les crimes dé lèse-majesté divine; quand il conçut, dans son délire, le projet de venger Dieu lui-même, ne fallut-il pas qu'il lui offrît aussi du sang, et qu'il le mît au moins au niveau des monstres qui se disaient ses images?

La peine de mort est nécessaire, disent les partisans de l'antique et barbare routine; sans elle il n'est point de frein assez puissant pour le crime. Qui vous l'a dit? Avez-vous calculé tous

les ressorts par lesquels les lois pénales peuvent agir sur la sensibilité humaine? Hélas! avant la mort, combien de douleurs physiques et morales l'homme ne peut-il pas endurer!

Le désir de vivre cède à l'orgueil, la plus impérieuse de toutes les passions qui maîtrisent le cœur de l'homme. La plus terrible de toutes les peines pour l'homme social, c'est l'opprobre, c'est l'accablant témoignage de l'exécration publique. Quand le législateur peut frapper les citoyens par tant d'endroits sensibles et de tant de manières, comment pourrait-il se croire réduit à employer la peine de mort? Les peines ne sont pas faites pour tour menter les coupables, mais pour prévenir le crime par la crainte de les encourir.

Le législateur qui préfère la mort et les peines atroces aux moyens plus doux qui sont en son pouvoir, outrage la délicatesse publique, émousse le sentiment moral chez le peuple qu'il gouverne; semblable à un précepteur mal habile qui, par le fréquent usage des châtimens cruels, abrutit et dégrade l'âme de son élève; enfin, il use et affaiblit les ressorts du gouvernement, en voulant les tendre avec trop de force.

Le législateur qui établit cette peine renonce à ce principe salutaire, que le moyen le plus efficace de réprimer les crimes est d'adapter les peines au caractère des différentes passions qui les produisent, et de les punir, pour ainsi dire, par elles-mêmes. Il confond toutes les idées, il trouble tous les rapports, et contrarie ouvertement le but des lois pénales.

La peine de mort est nécessaire, dites-vous. Si cela est, pourquoi plusieurs peuples ont-ils su s'en passer? Par quelle fatalité ces peuples ont-ils été les plus sages, les plus heureux et les plus libres? Si la peine de mort est la plus propre à prévenir de grands crimes, il faut donc qu'ils aient été plus rares chez les peuples qui l'ont adoptée et prodiguée. Or, c'est précisément tout le contraire. Voyez le Japon : nulle part la peine de mort et les supplices ne sont autant prodigués; nulle part les crimes ne sont ni si fréquens ni si atroces. On dirait que les Japonais veulent disputer de férocité avec les lois barbares qui les outragent

et qui les irritent. Les républiques de la Grèce, où les peines étaient modérées, où la peine de mort était ou infiniment rare, ou absolument inconnue, offraient-elles plus de crimes et moins de vertu que les pays gouvernés par des lois de sang? Croyezvous que Rome fut souillée par plus de forfaits, lorsque, dans les jours de sa gloire, la loi Porcia eut anéanti les peines sévères portées par les rois et par les décemvirs, qu'elle ne le fut sous Sylla, qui les fit revivre, et sous les empereurs, qui en portèrent la rigueur à un excès digne de leur infâme tyrannie. La Russie a-t-elle été bouleversée depuis que le despote qui la gouverne a entièrement supprimé la peine de mort, comme s'il eût voulu expier par cet acte d'humanité et de philosophie le crime de retenir des millions d'hommes sous le joug du pouvoir absolu.

Écoutez la voix de la justice et de la raison; elle vous crie que les jugemens humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d'autres hommes sujets à l'erreur. Eussiez-vous imaginé l'ordre judiciaire le plus parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus éclairés, il restera toujours quelque place à l'erreur ou à la prévention. Pourquoi vous interdire le moyen de les réparer? pourquoi vous condamner à l'impuissance de tendre une main secourable à l'innocence opprimée? Qu'importent ces stériles regrets, ces répérations illusoires que vous accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible! elles sont les tristes témoignages de la barbare témérité de vos lois pénales. Ravir à l'homme la possibilité d'expier son forfait par son repentir ou par des actes de vertu, lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, à l'estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau encore tout couvert de la tache récente de son crime, est à mes yeux le plus horrible raffinement de la cruauté.

Le premier devoir du législateur est de former et de conserver les mœurs publiques, source de toute liberté, source de tcut bonheur social. Lorsque, pour courir à un but particulier, il s'écarte de ce but général et essentiel, il commet la plus grossière

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