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libre, vous ne voudrez pas que des Français vous adressent des observations, des demandes, des prières, comme vous voudrez les appeler! Non, ce n'est point pour exciter les citoyens à la révolte que je parle à cette tribune, c'est pour défendre les droits des citoyens ; et si quelqu'un voulait m'accuser, je voudrais qu'il mit toutes ses actions en parallèle avec les miennes, et je ne craindrais pas le parallèle. Je défends les droits les plus sacrés de mes commettans; car mes commettans sont tous Français, et je ne ferai sous ce rapport aucune distinction entre eux : je défendrai surtout les plus pauvres. Plus un homme est faible et malheureux, plus il a besoin du droit de pétition; et c'est parce qu'il est faible et malheureux que vous le lui ôteriez! Dieu accueille les demandes non-seulement des plus malheureux des hommes, mais des plus coupables. Or, il n'y a de lois sages et justes que celles qui dérivent des lois simples de la nature. Si vos sentimens n'étaient point conformes à ces lois, vous ne seriez plus les législateurs, vous seriez plutôt les oppresseurs des peuples. Je crois donc qu'à titre de législateurs et de représentans de la nation, vous êtes incompétens pour ôter à une partie des citoyens les droits imprescriptibles qu'ils tiennent de la nature.

Je passe au titre II, à celui qui met des entraves de toutes espèces à l'exercice du droit de pétition. Tout être collectif ou non qui peut former un vœu, a le droit de l'exprimer ; c'est le droit imprescriptible de tout être intelligent et sensible. Il suffit qu'une société ait une existence légitime pour qu'elle ait le droit de pétition; car si elle a le droit d'exister reconnu par la loi, elle a le droit d'agir comme une collection d'êtres raisonnables, qui peuvent publier leur opinion commune et manifester leurs vœux. L'on voit toutes les sociétés des Amis de la constitution vous présenter des adresses propres à éclairer votre sagesse, vous exposer des faits de la plus grande importance; et c'est dans ce moment qu'on veut paralyser ces sociétés, leur ôter le droit d'éclairer les législateurs! Je le demande à tout homme de bonne foi qui veut sincèrement le bien, mais qui ne cache pas sous un langage spécieux le dessein de miner la liberté; je demande si

ce n'est pas chercher à troubler l'ordre public par des lois oppressives, et porter le coup le plus funeste à la liberté.... Je réclame l'ajournement de cette question jusqu'après l'impression du rapport.]

SÉANCE DU 10 MAI.

[M. Grégoire, évêque de Blois. Je combats le projet de décret qui vous est présenté par votre comité de constitution, comme injuste, impolitique, contradictoire et contraire aux droits na turels de l'homme. Je pourrais d'abord observer qu'après avoir anéanti les ordres, on les recrée en quelque sorte par la division des citoyens en actifs et non actifs. (Il s'élève des murmures au milieu de la salle.)

M. Martineau. Je demande que l'opinant soit rappelé à l'ordre. M. Grégoire. Quelques distinctions que l'on ait voulu faire, je dis que le mot pétition signifie demande. Or, dans un État populaire, que peut demander un citoyen quelconque qui rende le droit de pétition dangereux? Des priviléges? Vous les avez anéantis. Il ne pourra que demander des lois relatives à la prospérité publique, ou défendre ses intérêts. Et ne serait-il pas étrange qu'on défendît à un citoyen non actif de provoquer des lois utiles, qu'on voulût se priver de ses lumières? Qu'on ne dise pas qu'il n'y a de citoyens non actifs que les vagabonds : je connais à Paris des citoyens qui ne sont pas actifs, qui logent à un sixième, et qui sont cependant en état de donner des lumières, des avis utiles. (On entend des rumeurs.Les tribunes applaudissent.) Rejeteriez-vous ces citoyens qui vous présente raient des projets, des pétitions relatifs à la tranquillité publique, à l'utilité générale du royaume? Ils s'adresseront à vous pour ré clamer leurs droits lorsqu'ils seront lésés; car enfin la déclara tion des droits est commune à tous les hommes. Refuserez-vous alors d'entendre leurs réclamations? Vous regarderez donc alors leurs soupirs comme des actes de rébellion, leurs plaintes comme un attentat contre les lois?.... Et à qui défendrions-nous aux citoyens non actifs de s'adresser? Aux administrateurs, aux officiers municipaux, à ceux qui doivent être les défenseurs du

peuple, les tuteurs, les pères des malheureux. La plainte n'estelle pas un droit naturel, et le citoyen ne doit-il pas avoir, précisément parce qu'il est pauvre, le droit de solliciter la protec tion de l'autorité publique?

On vous a dit qu'il en résulterait une coalition menaçante pour la tranquillité publique. Or, je soutiens que c'est ce qui résulterait justement du système contraire. Si vous ôtez au citoyen pauvre le droit de faire des pétitions, vous le détachez de la chose publique, vous l'en rendez même l'ennemi : ne pouvant se plaindre par les voies légales, il se livrera à des mouvemens tumultueux, et mettra son désespoir à la place de sa raison.............. Mais vous avez déjà vous-mêmes jugé le contraire. L'année dernière vous avez admis à la barre une députation de domestiques, et la réponse que leur fit le président, de l'aveu de l'assemblée, consacrait le droit de plainte, le droit de pétition, comme un droit imprescriptible de tout homme en société.

L'article II du projet de votre comité renferme une double contradiction; son titre porte: Projet de décret sur la pétition des administrateurs du département de Paris. Et par le même projet on propose d'ôter aux administrateurs le droit de pétition! On permet cependant aux corps municipaux, administratifs et judiciaires, de présenter des mémoires; or ces mémoires renfermeront nécessairement une demande quelconque : une demande est une pétition. Voilà donc une seconde contradiction.

Je finis par quelques réflexions sur le droit d'affiche. Il y a différentes manières de manifester sa pensée : par des discours, par des écrits, par des placards. Or vous avez reconnu formellement le droit qu'a tout citoyen de manifester sa pensée d'une manière quelconque.

M'objectera-t-on que la liberté d'afficher peut avoir des inconvéniens? Si vous ne voulez faire que des lois qui ne puissent avoir aucun inconvénient quelconque, il faut renoncer à être législateurs; car il n'est aucune loi qui, à côté de grands avantages, ne puisse faire craindre quelques inconvéniens. Les inconvéniens vous donnent-ils le droit d'ôter aux citoyens une faculté

que vous avez reconnue leur appartenir d'une manière impres criptible? Punissez tous ceux qui abuseraient de ce droit, comme vous puniriez celui qui vendrait des drogues empoisonnées, sans pour cela défendre l'exercice de la pharmacie. Priver l'homme du droit naturel de manifester sa pensée parce qu'il peut en abuser, c'est vouloir paralyser toutes ses facultés, de peur qu'il n'en abuse; engourdir son bras, de peur qu'il n'assassine..... La liberté de penser et de manifester sa pensée d'une manière quelconque, est le levier de la liberté politique. Peut-être la révolution serait-elle encore à faire, si la loi qu'on vous propose eût subsisté il y a deux ans. (Quelques membres de l'assemblée et les tribunes applaudissent.) Est-ce après deux ans de discussion, après avoir reconnu et proclamé solennellement les principes de la liberté, qu'on veut l'enchaîner? En vérité, je croirais que nous sommes en arrière de la révolution, et que nous rétrogradons, parce que nous ne sommes pas faits pour la liberté..... demande la question préalable sur le projet de votre comité. Baumetz propose l'article suivant :

Je

«Le droit de pétition est individuel et ne peut se déléguer; en conséquence il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps électoraux, judiciaires, administratifs ou municipaux, ni les communes ou sections de communes, ni enfin par les sopar ciétés de citoyens. Tout pétitionnaire signera sa pétition, et s'il ne le peut ou ne le fait, il en sera fait mention. ›

M. Andrieux. Je demande qu'il soit établi des formes pour constater la pétition des citoyens qui ne savent pas écrire.

M. Robespierre: Je demande que le droit contesté hier aux citoyens appelés non-actifs, soit déclaré formellement, et qu'au lieu de dire que le droit de pétition est un droit individuel, on dise qu'il appartient à tout citoyen sans distinction. (On entend des murmures dans le milieu de la salle; quelques applaudissemens dans l'extrémité gauche.)

M. Moreau. J'appuie l'amendement de M. Andrieux. Il est essentiel que le vœu des pétitionnaires qui ne savent pas écrire soit constaté par un acte judiciaire: sans cela un intrigant pour

rait présenter, au nom de deux ou trois mille citoyens, une pétition qui paraîtrait imposante, et ne serait qu'une imposture. A l'égard de l'amendement du préopinant, je ne crois pas qu'il puisse être admis. Le droit de pétition est un droit politique qui ne doit être exercé que par ceux qui font partie de la société et en supportent les charges, et auxquels la nation, la constitution a attribué tous les droits de cité, le droit de voter dans les assemblées primaires, le maintien de l'ordre public comme gardes nationales. Ce n'est pas là avoir rétabli les ordres, les distinctions anciennes tout citoyen est présumé citoyen actif, ou peut le devenir.... Je demande la question préalable sur l'amendement de M. Robespierre.

M. le Chapelier. Je réponds à l'observation de M. Robespierre, qui cherche à renouveler la querelle commencée hier. (Il s'élève quelques murmures.) Le projet de M. Baumetz paraît devoir concilier les opinions. Il réunit dans sa rédaction le droit de pétition, le droit de demande, le droit de plainte, le droit de requête. Et si le premier est le droit du citoyen, les trois derniers sont le droit de tout homme. Aussi le projet de M. Baumetz les comprend tous, en disant que tout pétitionnaire signera sa pétition. Cet article passe et tranche sur toutes les difficultés ; il évite une discussion qui pourrait être considérable, et il dit

tout.

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Une partie de l'assemblée demande à aller aux voix.

;

M. Robespierre. Il résulte de ce que M. le Chapelier vient de dire, qu'il ne convient pas que tout citoyen sans distinction puisse exercer le droit de pétition. Il ne peut donc pas dire que sa rédaction concilié toutes les opinions..

Il faut, ou que M. le Chapelier nous accorde la rédaction que nous demandons, et qui tend à déclarer le droit le plus sacré de l'homme, ou qu'il combatte la demande que nous formons; en un mot, il est impossible qu'on tranche une question de cette importance d'une manière aussi brusque. (Les tribunes applaudissent.) J'insiste donc pour obtenir la permission de prouver que l'article doit être rédigé de manière que le droit de pétition

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