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spéciale. Les deux bases qu'il établit sont, 1° que le code pénal ne comprend que les crimes susceptibles d'être poursuivis par la procédure par jurés, et les peines applicables à ces seuls crimes; 2° qu'il se divise en deux parties: la première relative à la description des peines, la seconde à l'énumération des crimes et à leur punition. Il est remarquable qu'il ne donne point la définition des crimes. Quant aux peines, il se résume ainsi :

Il faut que les peines soient humaines, justement graduées, dans un rapport exact avec la nature du délit, égales pour tous les citoyens, exemptes de tout arbitraire judiciaire; qu'elles ne puissent être dénaturées après le jugement dans le mode de leur exécution; qu'elles soient répressives principalement par des gênes et des privations prolongées, par leur publicité, par leur proximité du lieu où le crime a été commis; qu'elles corrigent les affections morales du condamné par l'habitude du travail ; qu'elles décroissent en approchant du terme fixé à leur durée et enfin qu'elles soient temporaires. >

Les comités n'avaient conservé la peine de mort que pour le cas seul où un chef de parti serait déclaré rebelle par un décret du corps-législatif.

Lepelletier Saint-Fargeau termina son rapport par l'exposé d'un système de réhabilitation, qu'il appela second baptême civique, et dont il fit connaître les conditions et la forme.

La discussion s'ouvrit le 30, par cette question principale: La peine de mort sera-t-elle ou non conservée ? Le 1er juin, l'assemblée décréta que la peine de mort serait conservée, mais qu'elle consisterait dans la simple privation de la vie, sans qu'il pût jamais y être ajouté aucune torture, et que tout condamné aurait la tête tranchée. On ajourna le mode d'exécution. Nous donnerons les discours de MM. Prugnon, Robespierre et Duport. Le premier parla pour, les deux autres parlèrent contre.

SÉANCE DU 30 MAI.M. Prugnon. La peine de mort serat-elle conservée ou abolie? Si on la conserve, à quels crimes sera-t-elle réservée ? Je passe avec respect devant un autre problème qui précède ces deux-là; il est de savoir si l'homme a pu

transmettre à la société le droit, qu'il n'a pas lui-même, de disposer de sa propre vie.

Dans le nombre des hommes qui gouvernent l'opinion, Montesquieu, Rousseau, Mably et Filangieri maintiennent qu'il l'a pu; Beccaria le nie, et chacun sait quel est depuis vingt-cinq ans l'ascendant de son esprit sur les autres esprits. Cette question a des profondeurs que l'œil peut à peine mesurer ; je m'arrête donc sur les bords, et je suppose que la société ne puisse priver de la vie un de ses membres sous peine d'être injuste; cette supposition adoptée, voici mon raisonnement: garantissezmoi que la société pourra dormir paisible sans cette injustice-là. C'est un point si considérable, et tout y tient tellement, qu'il faut d'abord s'y attacher.

Une des premières attentions du législateur doit être de prévenir les crimes, et il est garant envers la société de tous ceux qu'il n'a pas empêchés lorsqu'il le pouvait ; il doit donc avoir deux buts: l'un, d'exprimer toute l'horreur qu'inspirent de grands crimes; l'autre, d'effrayer par de grands exemples: oui, c'est l'exemple, et non l'homme puni, qu'il faut voir dans le supplice.

L'âme est agréablement émue; elle est, si je puis le dire, rafraîchie à la vue d'une association d'hommes qui ne connaît ni supplices ni échafauds.... Je conçois que c'est bien la plus délicieuse de toutes les méditations; mais où se cache la société de laquelle on bannit impunément les bourreaux? Le crime habite la terre, et la grande erreur des écrivains modernes est de prêter leurs calculs et leur logique aux assassins; ils n'ont pas vu que ces hommes étaient une exception aux lois de la nature, que tout leur être moral était éteint: tel est le sophisme générateur des livres. Oui, l'appareil du supplice, même vu dans le lointain, effraie les criminels et les arrête; l'échafaud est plus près d'eux que l'éternité: ils sont hors des propositions ordinaires; sans cela assassineraient-ils? Il faut donc s'armer contre le premier jugement du cœur, et se défier des préjugés de la vertu.

1° Il est une classe du peuple chez qui l'horreur pour le crime

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se mesure en grande partie sur l'effroi qu'inspire le supplice; son imagination a besoin d'être ébranlée; il faut quelque chose qui retentisse autour de son âme, qui la remue profondément, pour que l'idée du supplice soit inséparable de celle d'un crime, singulièrement dans ces grandes cités où la misère soumet tant d'individus à une destinée malheureuse.

Cette quantité n'est point à négliger dans le calcul du législateur. Avant de briser un ressort tel que celui de la terreur des peines, il faut bien savoir que mettre à sa place, et se souvenir du précepte, hâtez-vous lentement, dès là surtout que la mesure du danger est inconnue.

2o Vous avez effacé l'infamie qui faisait partie de la peine; le criminel, s'il est père, ne léguera plus l'opprobre à ses enfans. Or, si vous supprimiez à la fois et la mort et la honte, quel frein vous resterait-il?

Personne ne combine comme un scélérat froid; il se dirait alors j'ai deux chances: la première est la fuite (et l'homme conserve toujours l'espérance d'échapper); la seconde est la soustraction à la mort, si j'ai la maladresse de me laisser prendre... Telle serait sa petite géométrie ; et à quel degré ne menaceraitelle pas la société entière!

Celui qui veut commettre un crime, répondra-t-on peut-être, commence par se persuader qu'il échappera au supplice, et il part de cette espèce de certitude qu'il se compose.

Si l'objection est exacte, la conséquence immédiate est qu'il faut abolir non la seule peine de mort, mais toutes les autres, puisque le scélérat calcule comme si ces deux choses n'existaient pas: si c'est ce qu'on veut dire, toute discussion doit finir là; mais c'est à peu près discuter l'évidence que d'ériger en problème si la perspective de la mort, si le spectacle de ceux qui la subissent, laisse le scélérat tranquille : il faut un ébranlement et des impressions physiques; son âme est fermée à toute autre émotion.

Le méchant ne craint pas Dieu, mais il en a peur; tel est le sentiment qu'éprouve le scélérat à la vue de l'échafaud, Gardez

vous donc de désespérer de l'énergie de ce ressort, très-malheureusement nécessaire! Que prétend-on au reste y substituer? Un supplice lent, un supplice de tous les jours? L'idée n'est pas neuve. Mais quelques années sont à peine écoulées que le sentiment d'horreur qu'inspire le crime s'affaiblit; on ne voit plus que la peine et son éternelle action; le criminel finit par intéresser, et alors on est bien près d'accuser la loi; tout cela ne varie que par des plus ou des moins plus difficiles à exprimer qu'à saisir: or, est-ce une bonne législation que celle qui fait infailliblement passer la pitié de l'assassiné à l'assassin?

La société doit garantir, protéger, défendre; le pourra-t-elle réellement avec cela? Observez que la nécessité a presque dicté les mêmes lois par toute la terre, et c'est une terrible autorité que celle du genre humain. A côté d'elle se place un raisonnement qui n'en est pas indigne : qui vous répondra qu'aucun de ces criminels que vous condamnerez à un perpétuel esclavage ne brisera ses fers et ne viendra effrayer la société par des crimes nouveaux ? Que deux seulement échappent dans une année, et voilà cent autres scélérats qui se livreront au crime dans l'espoir d'échapper comme eux.

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Quelle inégalité ne jetez-vous pas entre le pauvre et le riche! De tous les êtres un geôlier n'est pas le plus incorruptible; il y a des choses que le riche trouve toujours à acheter, ou par lui ou par sa famille, lorsqu'il a une grande mesure d'intérêt à le faire, Ainsi, vous assurez l'impunité à celui qui aura de l'or et des patrons; toujours il échappera à vos lois, et le pauvre seul sera puni. Je me trompe encore dans un sens, l'adresse du scélérat robuste finira, dans plus d'une occasion, par lui tenir lieu d'or ; quelle est la prison dont à la longue des êtres de cette trempe ne s'échappent pas?

Je suppose (et l'hypothèse est dure) qu'ils subissent leurs douze ou leurs vingt-quatre années; combien ne se corrompront pas entre eux des hommes qui seront en communauté de vices pendant vingt-quatre ans! Que feront-ils en sortant de là? Si à la longue l'haleine de l'homme est mortelle à l'homme plus encore

au moral qu'au physique, qu'aurez-vous à espérer d'eux? Mettez pendant vingt-quatre ans, pendant dix, et même beaucoup moins, un honnête homme en société avec des assassins; s'il ne se corrompt pas, l'expérience des siècles aura tort.

Sans être exagérateur ni fataliste, on peut dire qu'il est des hommes dont la probité n'est qu'une impuissance; il en est qui ne s'échappent de Brest ou de Toulon que pour se faire conduire à la mort: c'est ce qui explique l'endurcissement des vieux criminalistes. Si vous forcez vos juges à respecter la vie de ces êtres qui regardent les supplices comme leur mort naturelle, que deviendra la sûreté publique? Il faudra donc rendre à chaque citoyen l'exercice de sa force individuelle.

Observez qu'aujourd'hui la justice criminelle est généreuse, qu'elle est même magnanime; la procédure n'est plus un duel entre elle et l'accusé; elle associe le public à ses décrets, et l'on a épuisé tout pour que la tête d'un innocent ne puisse plus tomber. Si à l'établissement des jurés vous joignez l'abolition de la peine de mort; si vous ôtez à l'homme, c'est-à-dire à un être qui abuse de tout, le plus grand des freins, craignez que dans vingt ans la France ne soit plus qu'une forêt.

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La Toscane, me dira-t-on, en est-elle une? et cependant la peine de mort y est abolie.

Quelle distance entre les rapports! La Toscane est un petit état, et le prince un père de famille qui surveille et embrasse d'un coup d'eil tout son duché.

Écoutons M. Dupaty dans ses Lettres sur l'Italie: Le grandduc voit passer pour ainsi dire une pensée mécontente au fond de l'âme, et l'arrête tout court par un seul mot. On lui reproche d'avoir des espions, il répond: je n'ai pas de troupes.>

Un tel gouvernement prévient les crimes, et n'a plus à les punir. C'est une machine qui peut, aller en petit parce que tout est sous la main du mécanicien, et que les frottemens sont presque nuls; mais essayez de les exécuter en grand!...... Voyez si l'empereur a confirmé, s'il a adopté les lois du grand-duc!

L'impératrice de Russie, Élisabeth, fit serment en montant

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