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les plus courageux, les plus éclairés, les plus zélés pour le maintien de la constitution, par des cartouches infàmantes, par des ordres arbitraires de toute espèce, que le despotisme lui-même n'eût osé se permettre avant la révolution, qui est due en grande partie à leur amour pour la patrie. Qu'est-elle devenue cette puissance qui, par une sainte désobéissance aux ordres sacriléges des despotes, a terminé l'oppression du peuple et rétabli la puissance du souverain? Plus de cinquante mille des citoyens qui la composaient, dépouillés de leur état et du droit de servir la patrie, errent maintenant sans ressource et sans pain sur la surface de cet empire, expiant leurs services et leurs vertus dans la misère et dans l'opprobre.... si l'opprobre pouvait être infligé par le crime à la vertu. Que sont devenus ces corps qui naguère, près des murs de cette capitale, déposèrent aux pieds de la patrie alarmée, ces armes qu'ils avaient reçues pour déchirer son sein?

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Les officiers ne vous montrent-ils pas sans cesse, d'un côté, le monarque dont ils prétendent défendre la cause contre le peuple; de l'autre, les armées étrangères, dont ils vous menaçent, en même temps qu'ils s'efforcent de dissoudre ou de séduire la vôtre; et vous croyez qu'il vous soit permis de les conserver; que dis-je ? Vous mêmes vous semblez croire à la possibilité d'une ligue des despotes de l'Europe contre votre constitution; vous avez paru prendre quelquefois même des mesures pour prévenir des attaques prochaines : or, n'est-il pas trop absurde que vous mettiez précisément au nombre de ces mesures, celle de laisser votre armée entre les mains des ennemis déclarés de notre constitution?

Je rougirais de prouver plus long-temps que le licenciement des officiers de l'armée est commandé par la nécessité la plus impérieuse. Quel motif peut vous dispenser de le prononcer? Vous craignez les suites de cette démarche éclatante. Vous craignez! et vous avez pour vous la raison, la justice, la nation et l'armée; voilà des garans qui doivent vous rassurer au moins sur l'exécu tion de votre décret. Ne souffrez pas que l'intrigue triomphe plus

long-temps, en calomniant sans cesse les soldats, le peuple, l'humanité.

Les soldats, en général, ne se sont signalés que par leur douceur à supporter les injustices les plus atroces, à respecter la discipline et ses lois en dépit de leurs chefs; ils ont présenté le contraste étonnant d'une force immense et d'une patience sans bornes. Par quelle étrange fatalité les idées les plus simples semblentelles aujourd'hui confondues parmi nous? On souffre paisiblement que les officiers violent, outragent publiquement les lois et la constitution, et on exige des inférieurs, avec une rigueur impitoyable, le respect le plus profond, la soumission la plus aveugle et la plus illimitée pour ces mêmes officiers! On s'indigne d'un mouvement, d'un symptôme de vie échappé à l'impatience et provoqué par un sentiment louable et généreux, et l'on peint l'armée tout entière comme une horde de brigands indisciplinés! Pourquoi vous obstiner à lier des guerriers fidèles à des chefs révoltés? Faites qu'ils puissent à la fois respecter leurs officiers et les lois et la justice. Ne les réduisez point à opter entre l'obéissance que vous leur imposez envers leurs officiers, et l'amour qu'ils doivent à la patrie. Législateurs, gardez-vous de vouloir avec obstination des choses contradictoires, de vouloir établir l'ordre sans justice. Ne vous croyez pas plus sages que la raison, ni plus puissans que la nature.

Que nous proposent les comités? punir les soldats, attendre que les intérêts personnels aient attaché les officiers à la constitution, stimuler leur honneur, accorder un traitement à ceux qui refuseront de prêter le serment, cantonner l'armée, voilà tout leur système. De quel honneur vient-on nous parler? quel est cet honneur au-dessus de la vertu et de l'amour de son pays? On peut se passer de tout, pour peu qu'on conserve encore ce principe féodal. (On applaudit dans la partie gauche.) Je me fais gloire de ne pas connaître un pareil honneur. On nous propose d'accorder un traitement à ceux qui ne veulent pas jurer de ne pas conspirer contre leur patrie; quel singulier genre de libéralité! Je finis par un mot sur la proposition de cantonner l'armée;

c'est un système bien entendu pour se faciliter les moyens de la pratiquer, de la travailler, et de parvenir au but que l'on se propose. Je demande la question préalable sur l'avis du comité, et je prétends que le licenciement des officiers est indispensable.

M. Cazalès. Je ne puis me déterminer à répondre à la diatribe calomnieuse.... Je ne rapprocherai point ces lâches calomnies..... (De violens murmures s'élèvent dans la partie gauche.-Plusieurs voix: A l'ordre! à l'ordre! à l'Abbaye!) N'est-ce point assez d'avoir retenu mon indignation en entendant les diatribes prononcées contre le corps des officiers de l'armée française. Quand j'ai entendu accuser dix mille citoyens qui, dans la crise politique où nous sommes, ont donné l'exemple d'un courage héroïque.... (Il s'élève quelques murmures dans la partie gauche.) des citoyens qui n'ont opposé que la patience à l'injure, et la raison à la calomnie; dix mille hommes qui, placés dans la position la plus difficile, entre des émeutes soudoyées et des municipalités faussement patriotes, n'ont pas un instant démenti leur valeur; traduits devant des tribunaux dont certes on ne suspectera pas le zèle pour la constitution, ils en sont sortis tellement irréprochables, qu'il n'y en a pas un seul en qui on ait trouvé l'ombre d'un crime. J'ai entendu le préopinant, parce que je suis, je le déclare, le partisan de la liberté la plus illimitée; mais il est au-dessus de tout pouvoir humain de m'empêcher de traiter ces diatribes avec tout le mépris qu'elles méritent. Je ne répondrai pas à cette proposition, qui tend à priver l'état de dix mille citoyens. (Une voix de la partie gauche: Ce sont de mauvais citoyens.)

M. Foucault. Il n'y a qu'un lâche qui puisse proférer une telle parole.

M. Cazalès. Aucun officier n'a été trouvé coupable, et l'on ne peut douter de la bonne conduite des officiers, en réfléchissant à la vigilance avec laquelle ils ont été examinés et épiés.

On vous parle d'une invasion, et ceux qui vous répètent sans cesse ces frayeurs, n'y croient pas plus que moi. Le danger réel, le danger pressant, ce sont les troubles intérieurs, et c'est en ce

moment que l'on vous propose de priver la nation des plus braves citoyens français ; c'est en ce moment que l'on vous propose de priver la nation d'hommes qui, au jugement du roi de Prusse, sont l'élite des guerriers. On vous trompe quand on vous dit que l'officier n'est pas l'objet de l'amour et du respect du soldat. Les événemens attestent ce que j'avance. Vous avez vu les moyens qu'on a employés pour égarer les soldats; mais l'oubli de leurs devoirs n'a jamais duré que le temps de leur ivresse, et ils sont venus expier leurs erreurs par leur repentir. Les fumées du vin ont bienpu obscurcir un moment leur confiance; mais rien ne saurait la détruire, parce qu'elle repose sur les principes mêmes du soldat, et qu'elle ne les abandonnera dans aucune circonstance. Dans ce moment, où l'esprit d'insubordination s'est propagé avec une incroyable rapidité, sil'armée est encore réunie sous ses drapeaux, si elle n'est pas débandée, si elle n'a pas livré le royaume au pillage, c'est qu'elle a été retenue par son respect pour les officiers. (Une voix de la partie gauche: Pour la loi.)

Je ne veux déprécier personne, et je ne viens pas ici jouer le rôle de dénonciateur; mais la force des circonstances, mais l'intérêt de la patrie m'obligent à dire que ce sont les bas-officiers qui sont pour les soldats un objet de haine. Jamais ils n'obtiendront cet amour, cette confiance à laquelle nous avons été tant de fois redevables du succès de nos armes. Si vous adoptez le projet de licencier les officiers, vous n'avez plus d'armée; vos frontières sont livrées à l'invasion de l'ennemi, et l'intérieur du royaumé au pillage d'une soldatesque effrenée. Je vous ai dit que les basofficiers étaient loin d'obtenir la confiance dont jouissent les officiers; et cette assertion ne peut être contestée par personne. Interrogez les soldats sortant des troupes de ligne, et servant actuellement dans la garde nationale de Paris, ils vous apprendront les causes de cette différence. Je ne pousserai pas plus loin cette dissertation, parce qu'elle est fàcheuse, et qu'au moment où l'armée apprendra cette discussion, les inconvéniens peuvent en être terribles, si elle n'apprend pas en même temps que ce projet de licenciement a été rejeté à l'unanimité.]

SÉANCE DU 11 JUIN.

Après un rapport de Fréteau sur les mesures à prendre pour la sûreté du royaume, la question du licenciement fut reprise. Le projet du comité fut décrété après de violentes altercations. Le sujet du débat était la déclaration suivante que chaque officier devait signer:

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Je promets, sur mon honneur, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, de ne prendre part directement ni indirectement, mais, au contraire, de m'opposer de toutes mes forces à toutes conspirations, trames ou complots, qui parviendraient à ma connaissance, et qui pourraient être dirigées, soit contre la nation et le roi, soit contre la constitution décrétée par l'assemblée nationale et acceptée par le roi, d'employer tous les moyens qui me sont confiés par les décrets de l'assemblée nationale acceptés ou sanctionnés par le roi, pour les faire observer à ceux qui me sont subordonnés par ce même décret, consentant, si je manque à cet engagement, à être regardé comme un homme infàme, indigne de porter les armes et d'être compté au nombre des citoyens français.»

La proposition de Fréteau portant sommation au prince de Condé de rentrer dans le royaume, en déclarant qu'il n'entreprendrait rien contre la sûreté de l'état, sous peine d'être traité comme rebelle, lui et ses adhérens, acheva d'aigrir la discussion.

Cazalès réclama vainement contre la clôture.Comme on refusait de l'entendre, il accusa l'assemblée d'être ennemie de sa dignité et de sa justice. L'article fut décrété. Nous donnons le rapport de Fréteau, parce qu'il est une analyse de plusieurs pièces importantes à connaître ; et de plus un état de situation qui complète ce que nous avons dit nous-mêmes.

[M. Fréteau. Vos décrets ont chargé les comités de constitution, diplomatique, militaire, des rapports et des recherches, de l'examen de plusieurs pièces envoyées de divers départemens à l'assemblée nationale. Ces pièces consistent en différentes adresses de directoires, d'administrations, et des lettres soit des municipalités, soit de différens membres des corps administratifs, soit

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