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font naître au milieu de nous des périls réels en lui en présentant sans cesse d'imaginaires. ›

P. S. Je viens dans l'instant, M. le président, de mettre cette lettre sous les yeux de sa majesté, et non-seulement elle m'a permis, mais elle m'a ordonné d'avoir l'honneur de vous l'envoyer, et de vous prier d'en donner communication à l'assemblée nationale..>

Cette lettre obtint de nombreux applaudissemens.

Le Moniteur du 4 y répondit en ces termes :

[Nous ne voyons pas sans surprise que l'on soit étonné de notre silence sur la dénonciation de M. Montmorin, ministre. On prétend s'en servir pour affaiblir la confiance du public, et jamais nous ne l'avons mierx méritée.

Loin de nous justifier de l'emploi que nous avons fait DE LA Lettre datée de Francfort, nous nous applaudissons de l'effet qu'elle a produit, et du désaveu ministériel dont cette lettre a été l'éclatante occasion.

Nous regarderions même ce DÉSAVEU comme parfaitement rassurant, si le correspondant de Francfort avait entendu par le mot de contre-lettre une expédition diplomatique faite par le ministre, et communiquée par la voie des ambassadeurs ou des envoyés. Ce n'est point là le sens que ni l'auteur, ni les lecteurs de cette lettre ont pu y attacher; ainsi nous n'en persistons pas moins à croire au sens éclairé et au patriotisme vrai de celui par qui la lettre a été écrite, en supposant même qu'il eût été trompé. Un ministre des affaires étrangères n'est pas toujours le confident de l'intérieur. Eh! que penserait-on d'un journaliste qui aurait négligé d'employer une lettre d'un si pressant intérêt, et qui ne se serait point dit à lui-même: Si la nouvelle est malheureusement vérital le, il faut la publier; si elle est fausse, elle sera démentie? Dans tous les cas, même dans la supposition d'un mensonge déjà fort répandu, n'est-ce rien que d'avertir les ministres patriotes, s'ils le sont, que les mécontens abusent en pays étrangers de l'idée qu'on partagerait au château des Tuileries leur fureur et leurs abominables desseins.]

Un volume ne suffirait pas à rapporter les diverses preuves de l'immense mouvement qui partout se manifestait. Les villes frontières étaient traversées incessamment par des bandes d'émigrés; les lettres s'accordaient en ce point, que l'explosion aurait lieu au commencement de juillet.

Nous diviserons en deux parties le mois que nous allons raconter. Dans la première nous rendrons compte de toutes les séances de l'assemblée étrangères à la fuite à Varennes, ainsi que des faits capitaux accomplis à Paris et dans les provinces, du 1er au 21 juin; dans la seconde nous placerons le départ du roi, avec ses conséquences parlementaires et extra-parlementaires.

ASSEMBLÉE NATIONALE (du 1er au 21 juin.)

Nos lecteurs n'ont pas oublié que ce fut dans la séance du 1er juin que l'assemblée décréta le maintien de la peine de mort. Nous n'avons à ajouter de la longue discussion sur le Code pénal qu'une circonstance relative au mode même du supplice. Lepelletier proposa lá décapitation, afin d'amener plus facilement l'opinion publique à ne point faire rejaillir la tache de l'exécution sur la famille du condamné. Chabroud et Lachèse, convaincus que ce préjugé n'existait plus, votèrent pour qu'on ne fît pas couler le sang aux yeux du peuple. Larochefoucault-Liancourt sé rangea de leur avis, par le motif que la corde ayant malheureusement servi aux vengeances populaires, devait être proscrite. La décapitation fut décrétée,

Le 3 et le 4 juin, l'assemblée s'occupa du droit de grâce. Le comité en proposait l'abolition. Trois opinions furent ouvertes à ce sujet : les uns voulaient que ce droit fût conservé au roi; les autres, qu'il fût attribué à l'assemblée; d'autres enfin qu'on lé supprimât. Le club des Jacobins entreprit cette question en même temps que l'assemblée. Nous avons lu les discours prononcés en cette circonstance, et nous n'y avons rien trouvé qui méritât un extrait.La solution la plus raisonnable était celle d'abolir le droit de commutation ou de grâce toutes les fois qu'il s'agirait de délits politiques; et de la sorte la méfiance qui s'op

posait à laisser entre les mains du pouvoir le moyen d'absoudre ses propres amis, eût cessé aussitôt. Qui, en effet, eût pu s'alarmer du droit de grâce dans l'ordre des délits civils? — L'assemblée adopta l'avis du comité.

La séance du 9 fut consacrée à discuter l'incompatibilité des fonctions. Après de vifs débats, l'assemblée décréta, sur la rédaction de Duport, que les fonctions d'administrateurs, de juges et de commandant de la garde nationale étaient incompatibles avec la législature, et ne pourraient être reprises par ceux qui en étaient revêtus, qu'à l'expiration de leur mandat de députés au corps-législatif.

Le 10 et le 11, l'assemblée s'occupa d'une question importante, que tout le monde, à Paris et dans les départemens, agitait depuis plusieurs mois : il s'agissait du licenciement de l'armée.

Le club des Jacobins avait déjà consacré plusieurs séances à traiter cette matière. Antoine y fit les motions les plus énergiques; Roederer y prononça un long discours sur les moyens de désaristocratiser l'armée; il était rapporteur du comité nommé par le club pour examiner ces moyens. Voici son discours et celui de Robespierre.

CLUB DES JACOBINS, séance du 8 juin.

M. Roederer. Le comité que vous avez chargé de vous rap, porter les moyens de désaristocratiser l'armée, s'est acquitté avec empressement de la tâche que vous lui aviez imposée.

» Deux grandes circonstances l'ont frappé : les dangers et les remèdes pour le temps actuel, et les dangers et les remèdes pour l'avenir. Je ne veux pas vous parler des dangers qui menacent à l'extérieur; je ne veux pas parler des projets de contre-révolution médités par M. de Condé et les princes étrangers. Ces projets et ces conspirations ne seraient dignes que de pitié, s'il n'était pas à craindre qu'ils trouvassent dans l'intérieur du royaume et dans notre armée une trop redoutable et trop puissante assistance.

› Pour le moment actuel, nous avons vu trois grands dangers:

1° que le soldat ne soit trahi par l'officier dans le moment où des étrangers voudraient entrer dans le royaume; 2° que le soldat, perverti par les mêmes officiers, travaillé par eux, ne refusât de combattre ou ne passât à l'étranger; 3° que, mettant de côté ces deux motifs, et craignant d'être trahi, il n'obéît qu'avec inquiétude, ne combattît que mollement, et que l'ennemi ne profitȧt de cette disposition.

› L'état présent de l'armée offre encore un autre danger, et ce danger est de nature à alarmer immédiatement les principes d'égalité qui sont la base de notre constitution et de notre sûreté. Ce danger est l'impossibilité que les citoyens, que l'on appelait ci-devant roturiers, parviennent dans l'armée d'ici à deux ans, et la crainte qu'au moment où ils y arriveront, ils ne puissent y entrer qu'avec l'inquiétude de s'y voir harcelés par les officiers de la ci-devant noblesse. Les cadets gentilshommes qui doivent remplacer les'officiers, fourniront pour ce terme à toutes les places vacantes, et à cette époque la totalité des officiers pourrait harceler les nouveaux arrivans, les forcer à se battre, et dégoûter tous ceux qui ne seraient pas de famille noble d'entrer au service.

› M. Dumourier a lu un papier qui tend à réduire toutes les précautions à prendre à un simple serment prêté individuellement. > Je crois inutile d'entreprendre la réfutation d'un projet aussi futile; il suffit de faire observer que, suivant les officiers, le serment qu'ils ont déjà prêté au roi est contraire à celui qu'ils prêteraient à la nation; par conséquent l'honneur même qui était, à ce que l'on croit, le partage de la noblesse, s'oppose à ce qu'on puisse avoir quelque confiance à ce nouveau serment, qui serait contraire au premier.

› M. Antoine vous a proposé de licencier l'armée, de faire une liste des officiers, et de les placer tous suivant leur rang de service. Ceux qui, par cet arrangement, se trouveraient reculés et accepteraient néanmoins du service, donneraient sans doute une grande preuve de patriotisme, et ce serait un avantage dans ce projet. Mais il faudrait, pour que cela fût parfaitement utile,

qu'il ne fût pas vrai que l'aristocratie fût plus forte, ou au moins autant dans les capitaines que dans les colonels; sans quoi, en élevant à ce grade les capitaines, vous n'auriez fast que changer de mal. J'ajouterai encore qu'il serait possible que l'âge portât au commandement un homme qui n'aurait aucun talent pour le commandement.

› Vous connaissez ce qu'on dit être le projet des comités. Sans doute en adoptant leurs vues, il serait possible de croire que la conduite de l'officier qui commanderait les camps, influât sur la conduite des subalternes. L'influence d'un officier sur la cohorte qu'il commande est réelle; elle tient au caractère des ci-devant nobles en uniforme, souvent aussi rampans sous leurs chefs qu'altiers envers leurs inférieurs.

» Je crois que, si le roi eût été moins retenu de déployer les sentimens patriotiques dont il est sans doute animé, cela eût nécessairement changé le ton et peut-être les cœurs de la noblesse, toujours imitatrice de la cour.

› On a craint, a-t-on dit, que les soldats ne vinssent à se débander. Cette crainte rend encore la mesure de les réunir dans les camps plus dangereuse; il serait à craindre qu'alors ils ne fissent en grand ce qu'ils ont fait en petit dans plusieurs garnisons.

› De tous les remèdes qu'il a pu examiner, votre comité a cru qu'il n'y en avait qu'un qui pût être efficace: le licenciement du corps des officiers. (Applaudissemens universels.)

» Mais il ne faut pas se le dissimuler, cette mesure a des inconvéniens, peut-être des dangers; il est important de prendre garde qu'elle n'apporte des maux pires que ceux qui existent.

> Pour y parvenir, il est nécessaire de faire quelques réflexions sur la nature de l'obéissance du soldat. Ce principe doit vous éclairer sur les moyens que vous avez à employer.

› Notre principe (je vous prie d'entendre avec patience quelques expressions qui vous paraîtront peut-être fortes), notre principe, dis-je, est que le soldat doit être en état d'obéissance absolument passive.

On objecte en général à ce système que les soldats sont des

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